Ça roule au CAPMO – mars 2017 , année 17, numéro 07
Nouvelle synthèse interprétative
Au départ, chaque individu apprend à se connaître à travers une filiation, un point d’origine et un récit inscrit dans son ascendance. Malgré tout le mérite acquis par ses efforts personnels, chacunE se sait tributaire de ceux et celles qui l’ont précédé, redevable envers la culture qui l’engendre à lui-même et donne sens à son existence. De même, son sentiment d’appartenance et son rapport identitaire lui enseignent qu’il est un être grégaire et interdépendant, que sa vie n’acquiert consistance que dans la mesure où d’autres partagent ces mêmes racines. En ce sens, chaque individu conserve un système racinaire qui le structure aux fondements de son être. Mais ces identités, souvent meurtrières, rejoignent néanmoins l’universel de la condition humaine.
Or, si chaque expérience engendre son propre mythe; d’abord dans le rêve anticipatoire du réel désiré, puis dans le récit magnifié par le temps d’un quotidien autrefois si banal, certainEs parviennent à construire leur propre légende en s’affranchissant des conditionnements et des prescriptions sociales dans un exemple de surdétermination de soi. Ce sont les protagonistes d’une conscience nouvelle en devenir et d’un nouveau tissu humain.
Le monde tel que nous le connaissons éprouve l’urgent besoin d’une nouvelle synthèse interprétative, d’un nouveau regard sur lui-même, sur son passé et son avenir. En effet, chaque peuple, société ou civilisation, s’édifie sur la représentation qu’il a de lui-même, sur ses mythes fondateurs et sur une certaine vision partagée de l’avenir; ce que plusieurs qualifient de narrativité. Ce concept illustre que si chaque parcours s’avère particulier, c’est l’interprétation qu’on en fait qui apporte une certaine cohérence au présent. Ainsi, la signification de la déclaration universelle des droits de l’homme s’inscrit dans l’histoire. Elle représente le seuil que l’humanité ne doit pas dépasser après les atrocités commises pendant la Seconde guerre mondiale. Elle est la résultante du hiatus de l’horreur vécu par des centaines de millions de gens. Par ailleurs, l’utilité d’un sens partagé attribuée à l’histoire d’une nation projette un rêve collectif permettant de s’élever au-delà de la médiocrité du réel et de la fatalité.
À ce titre, les récits bibliques nous offrent la parfaite illustration d’une narrativité servant de levier pour se sortir des impasses de l’histoire en dépassant les raisonnements désuets. C’est l’histoire d’un peuple en genèse qui construit sa propre représentation de lui-même en réinterprétant siècle après siècle ses mythes fondateurs lorsqu’ils ne correspondent plus au défis présentés par l’actualité et qu’ils n’offrent plus de perspectives innovantes. Cette réinterprétation magnifiée du passé constitue une narrativité nouvelle qui, en tenant compte du présent, ose envisager les anciennes interprétations sous un jour nouveau tout en demeurant fidèle à l’intention transmise par les fondateurs et les fondatrices.
De Samuel de Champlain à Lionel Groulx, de René Lévesque à Laure Waridel, et de Boucar Diouf au réfugier syrien en train de franchir le frontière de l’impossible, le Québec est mûr pour une nouvelle synthèse interprétative de son histoire en devenir. Déjà, nous apercevons les nouvelles moutures de ce peuple francophone métissé et fier de ses origines qui s’efforce sans relâche de bâtir l’avenir dans un effort solidaire avec les autres peuples du monde. Mais il y a plus encore, l’humanité entière est conviée à transformer les représentations qui l’enferment dans l’impuissance d’agir. Aujourd’hui, responsables de notre destinée commune, nous devons abandonner nos prétentions hégémoniques pour prendre à bras le corps les problèmes qui affligent les humains de la Terre et ceci passe par l’autonomie nécessaire des corps intermédiaires. À suivre…
Yves Carrier
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UNE NOUVELLE THÉORIE DE LA VALEUR
Une nouvelle théorie de la valeur émergerait des travaux sur la géographie structurale, théorie de la forme urbaine, théorie du rachat, sur les morphogénèses (évolutions déterminées par des formes, des structures). L’originalité de cette nouvelle approche est qu’elle n’est pas strictement économiste. La valeur est d’origine anthropologique, voire même spirituelle, ce qui paraît évident quand on y pense.
La valeur est attribuée par l’homme, est projetée dans l’espace et décrétée par le pouvoir. Ce n’est pas la richesse du sol, l’argent ou le travail qui sont premiers, mais le sens, la signification, qui semblent se dégager d’un lieu et de sa position. Le lieu nous parle, qu’il ait une valeur spirituelle, historique, esthétique, culturelle, et il est sacralisé, protégé, interdit au commun des mortels par ceux qui s’auto-désignent comme délégués de la puissance supérieure, de la divinité, donc investis d’un certain pouvoir dont celui de produire un acte politique que l’on appelle un décret de valeur. La valeur, de tout temps, peut être décrétée.
Si, à l’origine, l’ensemble de la terre est sacré pour vraisemblablement tous les peuples non organisés en civilisation, des élites, chefs et chamans ou politiciens et religieux d’aujourd’hui, décident que certains lieux sont privilégiés et interdits. Ainsi le Lendit, la Plaine-St-Denis au-delà de Montmartre, les Plaines d’Abraham, le Mont Royal, des places centrales, Central Park, des quartiers comme à Québec, Boston, Nouvelle Orléans. Ces lieux interdits sont aussi attrayants et les gens se sédentarisent aux alentours de ces endroits, ce qui amène beaucoup de personnes pour servir les riches et les puissants, et assurer leur consommation. Pour maintenir et accroître cette consommation, les nomades, qui maîtrisent l’espace et la société par le biais du sacré, mettent sur le marché des portions de plus en plus grandes de ces espaces sacrés qui, rachetés et vendus, conservent encore beaucoup de valeur, donc sont vendus très chers. Et plus on s’éloigne de ces espaces sacrés ou vendus, moins les terrains coûtent chers. La ville s’agglomère près des espaces préservés et les banlieues et les campagnes sont réservées à la production des biens de consommation.
Il n’y a pas de plus-value ou de profits satisfaisants si l’on est obligé de payer un terrain à un prix exorbitant ou une rente foncière élevée. La valeur qui n’a pas de prix, non-monnayable, détermine la richesse et cela se fait par le passage de la valeur implicite, portion de la valeur qui est monnayée. Exemple : les Plaines d’Abraham ne sont pas à vendre, mais ce qu’il y a autour vaut très cher et plus on s’éloigne, plus on peut construire des usines pour faire de l’argent, car la rente foncière et le coût du terrain sont moins élevés. L’organisation de la ville, l’urbanisme, l’économie, sont déterminés par la position dans l’espace de lieux privilégiés.
Robert Lapointe
États-Unis, vagues croissantes de résistance contre la présidence Trump
David Brooks, correspondant à new York pour La Jornada, Mexico, 7 février 2017
New York, les vagues de résistance sans précédent à la présidence de Donald Trump continuent d’augmenter à travers l’ensemble du pays dans d’innombrables secteurs et fronts, avec de nouvelles expressions de solidarité fondées sur le rejet civique des politiques immigrantes. Des alliances surprenantes entre musulmans et latino-américains, des artistes, des chefs cuisiniers, des docteurs, des chefs d’entreprise, des défenseurs des droits humains et des libertés civiles, la communauté gay, des organisations de femmes, des environnementalistes, des indigènes, des athlètes professionnels, etc., s’expriment quotidiennement dans les rues, les tribunaux et jusque dans les publicité du Superbold.
Dans les marches et les rassemblements flottent ensemble le drapeau mexicain et des affiches en arabe, ou dans les constantes réunions d’organisation d’actes de résistance, on retrouve des enseignants avec des environnementalistes, des syndicalistes avec des activistes du mouvement noir Black Live Matter, des anarchistes avec des vétérans des luttes des années 1960′ et d’autres combinaisons qui très rarement se sont côtoyées dans cette société si fragmentée, même parmi les forces progressistes.
Des scènes de manifestation se répètent où des commerçants musulmans yéménites reçoivent la solidarité des juifs hassidiques tandis que certains des principales organisations nationales musulmanes et juives cimentent des alliances formelles contre les mesures du gouvernement. Cette semaine,(06 février), 20 rabbins ont été arrêtés devant l’un des hôtel Trump de New York lors d’un acte de désobéissance civique en rejet des ordres exécutives à l’encontre des musulmans. Stonewall Inn, la fameuse cantine de New York qui est un monument national officiel du mouvement pour les droits des gays, a été le site d’une manifestation de milliers de personnes samedi ( 04 février) dernier. Cette manifestation a été définie comme un meeting de solidarité entre cette communauté et les immigrants et réfugiées. L’un des leaders et membre du conseil municipal, Cory Johnson, a déclaré que : « Non seulement le mouvement résistera aux offensives anti-gays de ce gouvernement, mais qu’il réagira aux injustices commises envers nos voisins comme si c’était envers nous-mêmes, » en faisant référence aux mesures anti-immigrants et anti-musulmans.
Tandis que se poursuivent les actions locales à travers le pays, des actions s’organisent au niveau national. Plus de mille employés techniciens de Facebook, Apple et Google, parmi d’autres entreprises de haute technologie, organisent une grève et une manifestation le 14 mars (jour de Pi) dans la région de San Francisco, Los Angeles et Austin, en protestation des politiques de Trump et pour appeler à une plus grande solidarité entre les techniciens et les utilisateurs de ces services. (https://www.facebook.com/events/1947456268818943/). (La semaine dernière, plus de 2000 travailleurs de Google ont effectué un arrêt de travail (avec l’appui tacite de leurs chefs exécutifs), tout comme les travailleurs de l’entreprise de télécommunication Comcast à Philadelphie, dans un mouvement que certains appellent « une nouvelle conscience sociale » parmi les techniciens.
Des scientifiques appellent une manifestation nationale – la première de mémoire – pour le 22 avril, jour où nous sortirons des laboratoires pour prendre les rues en défense de la science, de la diversité et de l’engagement social des scientifiques, motivés par leur alerte envers les positions antiscientifiques de ce gouvernement.
(https://www.marchforscience.com).
Le 20 avril, on appelle à « La marche du peuple pour le climat » et une « Marche pour les immigrants » est convoquée pour le 6 mai.
(https://www.facebook.com/events/245084992585200/). Des centaines d’églises et d’universités se sont déclarés sanctuaires pour les immigrants et les persécutés. Le Nouveau mouvement sanctuaire réalisent des ateliers et des réunions en permanence avec des religieux, des étudiants, des professeurs et d’autres personnes, pour mieux organiser ses efforts de résistances. « Il y a des aînés qui n’ont jamais milité dans des actions à caractère politique qui se présentent à nos réunions pour s’engager et un nombre incalculable d’avocats retraités viennent offrir gratuitement leurs services – parfois nous sommes débordés par le nombre de gens qui veulent se joindre à cet effort, commente Juan Carlos Ruiz, l’une dirigeant du mouvement, à la Jornada.
Des chefs et des propriétaires de restaurants (dont plusieurs sont eux-mêmes immigrants) se joignent aussi à cette lutte contre les mesures anti¸-immigrants de Trump. Il y a des réunions dans les cuisines pour dire que tous ceux et celles qui travaillent là doivent demeurer unis devant les menaces, mais qu’ils utiliseront également leurs restaurants pour éduquer et résister aux mesures anti-immigrants. La chaine : « Restaurantes sanctuario » affirme : « qu’il y a une place à table pour tous » et qu’ils offrent un appui à leurs travailleurs comme à leurs clients conte le « sexisme, le racisme, et la xénophobie » » (http://sanctuaryrestaurants.org) Sur les reçus du restaurant néozélandais de Brooklyn, Kiwana, les propriétaires impriment désormais en bas de la facture : « Les immigrants font la grandeur des États-Unis (ils cuisinent ta nourriture et te la servent aussi) ».
Également, il y a présentement une campagne de boycott et des pressions des consommateurs contre les produits et les services portant le nom de Trump. La chaîne de magasins départementales Nordstrom vient d’annoncer qu’elle cesse de vendre la marque Ivanka Trump dans ses boutiques (la raison officielle est la chute des ventes). Neiman Marcus a enlevé toute la ligne de bijou de la fille du président de son site internet. Maintenant, Macy’s, un grand magasin newyorkais subit la pression de sa clientèle (et de ses employés) pour faire la même chose, rapporte le magazine Business Insider. D’autres initiatives d’organisations latino-américaines se multiplient, comme la campagne : « États-Unis hors du Mexique », lancée par l’Institut William C. Velazquez pour promouvoir une campagne de défense du Mexique contre le mur et d’éducation et de mobilisation des latino-américains et des immigrants contre les menaces de Trump envers cette communauté. (http://wcvi.org). Les messages contre les mesures anti-immigrants proviennent d’endroits inattendus, d’une publicité transmise pendant le Superbold, payée par une chaine de quincailliers. Publicité partiellement censurée par la chaine Fox et dont la version complète est devenue virale sur Internet. Jusqu’aux commentaires des joueurs étoiles de l’équipe championne des Patriotes, comme Martellus Bennett qui en entrevue à la chaine Fox Sport a répondu à une question sur ce qu’il pensait du Mexique en disant : « Abattez le mur ! Abattez le mur !» Bennett avait déjà déclaré auparavant qu’il n’assisterait pas à la visite traditionnelle des champions à la Maison Blanche « parce qu’il n’appuyait pas la personne qui s’y trouve. »
Devant des audiences massives, les animateurs de tribunes télévisées émettent des commentaires et des comédiens comme Samantha Bee et Stephen Colbert, transmettent des satires toujours plus féroces contre Trump. Le Saturday Night Live, le programme de sketchs de NBC qui avait perdu sa prédominance comme point de référence culturelle a été ressuscité par Trump en grande partie parce qu’il ne peut s’empêcher d’exprimer son dégoût envers les blagues qui s’adressent à lui et à son gouvernement. L’actrice comique Melissa McCarthy a détruit pour toujours l’image du porte-parole de Trump, Sean Spicer, lors d’un récent programme, une parodie qui est devenue virale puis une nouvelle sur les chaines d’information.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Pour un développement juste ? Respecton les droits humain !
Réflexion de Guy Aurenche de ACAT Canada
Le retour de la barbarie ?
Le XXIe siècle risque de tourner à la barbarie si nos sociétés ne favorisent pas un développement humain. Nous sommes prévenus : « La méconnaissance des droits de l’homme a conduit à des actes de barbarie » ! [1] En 1948, l’humanité venait de connaître l’une des pires périodes de son histoire : près de 60 millions de morts, les camps de la mort, l’usage de la bombe atomique… Pour éviter que cela ne recommence, elle proposa aux nations du monde entier de se mettre d’accord sur une Déclaration qui représenterait une base minimale pour assurer au moins la survie de tous. Cet « idéal à atteindre » repose sur « l’acte de foi en la valeur et la dignité de la personne humaine » [1]. De là découle la reconnaissance de droits et devoirs qui s’imposent à tous. Une méthode était alors proposée pour la mise en œuvre : la solidarité entre tous les acteurs de la société mondiale. Ce programme, complété depuis par de nombreux autres textes, énumère les droits civils et politiques qui rassemblent les grandes libertés et l’exercice de la responsabilité des citoyens. Les droits économiques, sociaux et culturels viennent ensuite : alimentation, santé, travail, culture….
Les droits économiques, sociaux et culturels
Cette proposition de Déclaration universelle des droits de l’homme est faite à « tous les organes de la société qui doivent agir dans un esprit de fraternité ». Cela ne suffit pas, et de nombreux mécanismes de contrôle, voire de sanction furent instaurés… mais très inégalement mis en œuvre ! Il faut le reconnaître : les droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas pris au sérieux. Les inégalités grandissent. Près de 1200 morts dans l’effondrement de l’atelier du Rana Plaza (2013 Bangladesh), des millions de familles chassées de leur terre par l’agriculture industriel-le, des milliards de dollars volés aux populations par l’évasion fiscale, la torture contre ceux qui dénoncent l’inhumanité de certaines conditions de travail… Plusieurs textes internationaux visent le développement, mais la dynamique des droits humains n’a pas vraiment pris sa place dans le domaine du développement économique.
Les droits humains en débat
Ils sont parfois présentés comme un remède capable de sortir l’humanité de la misère. Il s’agit là d’une mauvaise interprétation. Les textes ne proposent pas de solutions, mais des principes à partir desquels les solutions peuvent être construites. Il convient ensuite de tenir compte des réalités locales, du niveau de richesse et des possibilités d’action. Les droits humains ne relèvent pas du miracle. Ils peuvent inspirer des stratégies de développement juste. Ils ne sont pas davantage figés et peuvent évoluer. Ainsi en est-il du domaine de l’écologie, du respect de la Terre et du maintien des nécessaires équilibres environnementaux. Sont-ils une idéologie que les nations riches et occidentales imposeraient au reste du monde? Certes ils ont été formulés dans cet univers. Aujourd’hui, j’atteste que les « résistants » du monde entier, s’ils souhaitent compléter la liste des droits ainsi que les mécanismes de contrôle, s’appuient sur eux pour défendre leurs revendications.
Au nom de la parole donnée
Ces textes ont été signés par les États, même s’ils comptaient bien ne pas les respecter. Il est donc possible d’en exiger l’application au nom du principe du respect de la parole donnée.
Les gouvernants ont bien conscience des engagements qu’entraîne la signature de textes relatifs aux droits humains. Ils craignent d’être pris en flagrant délit de mensonge ! Lors de la réunion de la COP 21 à Paris en décembre 2015, la société civile voulut insérer dans la déclaration finale la mention du droit à l’alimentation et ses conséquences dans le domaine du respect de l’environnement. Les États s’y opposèrent et n’acceptèrent qu’une vague mention de ce droit, pourtant essentiel, dans une introduction non contraignante. Les gouvernants craignaient de voir leur responsabilité engagée s’il était fait référence à un droit humain !
Des valeurs communes ?
La dynamique des droits humains, avec toutes ses limites, représente la seule base obligatoire « commune » à partir de laquelle les nations du monde peuvent se mettre d’accord pour « ajuster » leurs actions vers davantage de justice et d’humanité. Sans cette référence commune, comment espérer établir un dialogue pour plus de coopération ? Pendant plusieurs décennies l’on a cru que le progrès technique, le libre marché et la croissance économique suffiraient à établir un peu plus de justice et d’égalité. S’il ne faut pas méconnaître les progrès accomplis dans ces domaines, l’on doit constater que cela ne suffit pas. Comment passer d’une approche quantitative (le profit maximal) à une approche qualitative (la dignité), alors que la communauté humaine ne sait à quelles valeurs s’ajuster ? La mondialisation, la financiarisation de toutes les relations brouillent les repères fondamentaux. Les pouvoirs politiques ont largement perdu de leur efficacité au profit des grandes entreprises multinationales qui imposent leur loi. Le seul horizon proposé est celui du gain maximal, en espérant que les plus pauvres qui représentent près de 2 milliards d’êtres humains, en percevront quelques miettes.
Près de 40% des conflits de la planète sont liés à la recherche des ressources naturelles et minières, ainsi qu’à la maitrise de l’eau. Par exemple en République Démocratique du Congo, l’exploitation des ressources minières déstabilise des régions entières. Au cœur de ces affrontements, les habitants restent sans recours face aux violences et au pillage des minerais – cela sans évoquer la pollution de l’eau, de l’air et des sols par l’utilisation de produits chimiques lors de l’exploitation « sauvage » ! Il en est de même dans de nombreux pays d’Amérique latine. L’Europe, devant tant d’abus, a proposé une réglementation de l’exploitation des « minerais du sang » ! Vraiment l’économie est-elle encore au service de la personne humaine ?
La dignité au cœur des traités économiques mondiaux
Sans référence aux droits humains, il est bien difficile d’introduire la dignité au cœur des activités économiques nationales ou mondiales. Ainsi l’Organisation mondiale du commerce a-t-elle longtemps résisté avant d’introduire dans ses critères de « jugement » ou dans ses propositions d’accords commerciaux, le respect de clauses sociales, c’est-à-dire de la dignité des travailleurs et des droits sociaux. Aujourd’hui encore, il n’existe pas de clauses contraignantes à ce sujet, alors que les clauses commerciales sont obligatoires et passibles de sanction.
L’accord Transpacifique (TPP) signé le 4 février 2016 et soumis aujourd’hui à la ratification de plusieurs pays des continents américain et asiatique comporte quelques obligations de respecter des standards minimaux dans le domaine du travail et de l’environnement … mais le nouveau président des USA envisage de le dénoncer ! Le projet de traité transatlantique de libre-échange (TTIP ou TAFTA) qui fait l’objet d’âpres discussions comporte un volet social et environnemental, mais ce sont les seuls chapitres du projet qui n’ont pas de caractère contraignant ! Tout dépend de la bonne volonté des entreprises.
Le Parlement européen a voté une résolution le 25 octobre 2016 : « Le respect intégral des droits de l’homme dans la chaîne de production est fondamental et n’est pas simplement une question de choix pour le consommateur ». Il s’agit de créer un «label» attestant du respect des droits humains, assorti d’un organe de suivi indépendant, régi par des règles strictes et doté de pouvoir d’inspection. Son rôle serait de vérifier et de certifier qu’aucune violation n’a été commise lors des différentes étapes de la chaîne de production des produits concernés.
D’une manière plus générale, la dynamique des droits humains peut influer sur le développement en faisant inscrire dans les projets nationaux, continentaux ou mondiaux l’obligation de rendre toutes les clauses sociales et environnementales contraignantes, susceptibles de déclencher la saisie d’organe de contrôle. Dans le même esprit, il convient d’ajouter des clauses obligatoires concernant la lutte contre l’évasion fiscale et la corruption.
Les droits culturels au cœur du développement
Enfin la logique des droits humains suggère de prévoir qu’avant toute initiative industrielle ou agricole de grande ampleur, une obligation de consultation participative de tous les acteurs s’impose. Une évaluation sérieuse des impacts sociaux et environnementaux des projets devrait être réalisée préalablement. Le développement ne peut se réduire à la production matérielle. Il comporte de nombreux aspects culturels. Là encore, les droits humains peuvent jouer un rôle bénéfique. Ils exigent d’une manière indivisible le respect de tous les droits, y compris ceux de participation des citoyens/nes. Le développement ne sera durable que si les cultures, les manières de vivre des peuples concernés sont effectivement prises en compte.
La société civile joue alors un rôle déterminant en formant des animateurs compétents et en diffusant l’information auprès de la population. Si son pouvoir reste faible face à celui de certaines entreprises multinationales, il n’est pas négligeable. La référence aux droits humains ne fera pas de miracle. Elle fixe un cap obligatoire puisque juridiquement énoncé et invite les autorités à créer des organes de contrôle. Chaque citoyen/ne est investi d’un droit, d’un devoir de contribuer au développement juste. C’est possible !
Source
Nations Unies. 1948. Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme. [1]
* Guy Aurenche a été président de la FIACAT et du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire). Il est aussi l’auteur de La solidarité j’y crois (Bayard) et de Justice sur la terre comme au ciel (Salvator)
On ne peut pas apaiser les loups en blessant leur proie
Aziz Gjaout, 13 février 2017, Ricochet : https://ricochet.media/fr
Contre le faux consensus Bouchard-Taylor : On ne sacrifie pas les droits fondamentaux des groupes minoritaires pour apaiser la majorité.
Maintenant que le sang a coulé dans l’enceinte d’une mosquée québécoise, on parle enfin de l’islamophobie au Québec. Des politiciens de premier plan, des journalistes réputés, même certains islamophobes repentis l’ont finalement affirmé : l’islamophobie existe chez nous et peut aller jusqu’à insulter, agresser, vandaliser, incendier ou même assassiner pour cause d’appartenance – réelle ou imaginée – à l’islam.
Cependant, très vite après le choc, ces élites politiques et médiatiques ont dirigé les regards accusateurs vers une certaine islamophobie extrême et vulgaire : celle qui sévit dans les milieux de l’extrême droite et sur les réseaux sociaux, les radios-poubelles et la chronique malfaisante de certains journaux. Cette thèse a ainsi cherché à perpétuer, sous une nouvelle forme, le déni qui a prévalu jusqu’ici quant à la réalité islamophobe au Québec. Elle refusait d’admettre que celle-ci est davantage l’œuvre d’une élite politique et journalistique bien établie dans les institutions démocratiques et les grands médias de la province. Et qu’elle ne se limite pas à un phénomène marginal enfermé dans deux ou trois têtes brûlées.
Ce stratagème était néanmoins trop grossier pour résister à la critique. Plusieurs voix honnêtes – musulmanes ou pas – ont rappelé que, depuis quelques années, les Québécois-e-s de confession musulmane (surtout lorsqu’ils/elles arborent des signes les identifiant facilement à leur religion), ainsi que leurs lieux de culte, ont fait l’objet d’une campagne de diabolisation systématique de la part d’un courant central de la vie médiatique et politique québécoise. On a également rappelé que cette diabolisation a été encouragée par le silence et l’inaction non pas seulement des autorités officielles, sous le leadership péquiste ou libéral, mais aussi – quoiqu’à des degrés divers – de l’ensemble des forces politiques du Québec.
Lorsqu’il devint donc clair que le précédent stratagème ne pouvait résister à la charge des faits qui l’invalident, les principales formations politiques ont ensuite évacué, ici aussi à l’unisson, le débat qui s’imposait concernant le problème particulier de l’islamophobie en le diluant dans un discours en apparence altruiste sur des questions plus générales de vivre-ensemble, d’intégration et de racisme systémique. La formule était consensuelle : exprimons nos sympathies aux musulmans, disons-leur combien nous les aimons, mais poursuivons l’instrumentalisation de leur nouvelle présence au Québec pour les besoins de nos agendas politiques respectifs, que ces derniers soient rétrogrades ou progressistes.
Évidemment, les questions du vivre-ensemble et du racisme systémique demeurent cruciales et doivent être prises au sérieux par les pouvoirs publics dans les meilleurs délais. C’est d’ailleurs ce que demande, depuis maintenant trop longtemps, une large coalition d’organisations de la société civile. En même temps, ces questions ne doivent pas faire perdre de vue la spécificité et la gravité d’une islamophobie québécoise en croissance, certes étrangère aux traditions d’ouverture et d’hospitalité de notre société, mais qui s’y est malheureusement bien implantée et qui devient de plus en plus radicale et de plus en plus violente. Aussi, si on veut se donner une réelle chance de le contrer, le danger islamophobe ne peut être traité comme simple adjuvant à de plus larges problématiques.
Le troisième acte de la pièce tragi-comique qui a suivi la fusillade de Québec se déroule présentement devant nos yeux. L’Assemblée nationale s’apprête à voter unanimement une loi sur la laïcité qui se dirige vers l’interdiction des signes religieux – entendez essentiellement le voile – dans les postes d’autorité (magistrature et corps policiers).
Pour justifier cet interdit, certains le présentent faussement comme étant «le consensus national minimal» concernant le port de signes religieux au sein de la fonction publique. C’est notamment le cas d’Amir Khadir, de Québec solidaire. On oublie alors que les groupes religieux qui vont subir ce «consensus», toutes confessions confondues, le refusent majoritairement. Et que les libéraux, qui n’y adhèrent pas pour l’instant, détiennent la majorité parlementaire. De plus, on peine à croire que c’est le porte-parole du principal bastion du progressisme québécois qui nous sert cet argument foncièrement populiste. En effet, quand bien même ils seraient réels, les consensus nationaux ne peuvent légitimer des restrictions injustifiées aux droits fondamentaux des groupes minoritaires. Si ses consensus sont certes au cœur du principe démocratique, la démocratie et l’État de droit ne s’y réduisent pas.
D’autres, comme le sociologue Gérard Bouchard, défendent cette mesure liberticide parce qu’elle pourrait, selon eux, apaiser les extrémistes laïcs et/ou islamophobes. Pourtant, le PQ a déjà signifié que l’interdit partiel ne lui convient pas. Et la CAQ explique, tout aussi clairement, qu’elle n’accepte ce compromis que momentanément. Or, s’il y a une leçon que la France peut bien donner au Québec, c’est bien celle-ci : on ne peut apaiser les loups en blessant légèrement leur proie.
Depuis l’adoption en 2004 de sa première loi interdisant le port de signes religieux dits ostentatoires dans les écoles, la France islamophobe n’a aucunement été apaisée, bien au contraire. Elle est plutôt devenue hystérique, multipliant ses crises et ses pressions pour introduire de nouveaux interdits visant des pratiques islamiques jugées trop visibles de son point de vue. À preuve : les affaires des mamans qui ne peuvent plus accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires, du mets hallal que l’on dit menaçant pour le plat républicain que constitue le jambon, des jeunes filles musulmanes expulsées de l’école à cause d’une jupe trop longue selon la nouvelle unité de mesure d’un laïcisme bête et méchant, etc. Les exemples sont nombreux.
Du reste, il faut comprendre qu’en dépit de tous les interdits que l’on pourra éventuellement voter pour restreindre la visibilité musulmane dans les espaces publics – puisque c’est de cela dont il s’agit – le problème de l’islamophobie ne disparaîtra pas de sitôt. Il est dû à des facteurs globaux et structuraux qui dépassent le champ d’action de nos élus. Il s’enracine dans les avatars violents d’un ordre mondial impérialiste, dysfonctionnel et injuste; dans des crises identitaires occidentales exacerbées par des flux migratoires qui proviennent essentiellement du monde musulman; et, enfin, dans une industrie islamophobe hyperactive qui enrichit, en capital financier et politique, des secteurs importants des puissantes machines médiatiques et politiques occidentales.
Aussi, quand bien même nous interdirions le voile à la juge et la policière musulmanes qui n’existent pas, nous aurons tout de même, dès le lendemain, à nous poser la question suivante : comment protéger nos concitoyen-ne-s musulman-e-s d’une situation dangereuse et à certains égards semblable à celle des juifs entre les deux Guerres mondiales?
Autrement dit, la question qui se pose aujourd’hui à nous tous n’est pas de savoir quel morceau de viande peut-on offrir à la meute des xénophobes, des racistes et des islamophobes pour qu’ils arrêtent de grogner. Elle est plutôt celle des moyens que l’on peut se donner collectivement pour garantir sécurité et justice à l’ensemble des Québécois, sans égard à leurs différences sexuelles, religieuses, raciales ou de classe. Et, à cet égard, une chose est déjà claire : la réponse à cette question ne viendra pas des atermoiements et des compromissions actuels de notre classe politique.
Point de vue de Nadia El-Mabrouk en faveur de la laïcité au Québec
« Alors que le recueillement devrait être de mise, alors que les familles des victimes sont en période de deuil et n’ont pas encore enterré leurs morts, la récupération politique est lancée. Et on se lâche pour accuser la laïcité et le nationalisme Québécois de racisme.
Des analyses ont l’allure de procès d’intention contre tout ce qui fait du Québec une société distincte en Amérique du Nord. À les entendre, on devrait tous avoir honte de défendre la laïcité, l’égalité entre les hommes et les femmes et notre conception républicaine de l’État.
L’heure est à la flagellation publique et à la repentance face à un islam qui, lui par contre, est dispensé de toute remise en question. L’heure est grave pour le Québec, et annonce le retour de lois anti-blasphème, l’instauration de commissions appelant à la dénonciation publique, à l’accusation des citoyens du Québec. Tout cela ne fera qu’exacerber les tensions et fragiliser encore plus la paix sociale qui s’effrite avec, d’un côté la montée des communautarismes religieux et leurs demandes incessantes, et de l’autre la montée de groupes clandestins s’érigeant en justiciers. Pour lutter contre les uns, la solution n’est pas de se mettre à genoux devant les autres.
Cette montée de la violence était prévisible. À force de fermer les yeux sur les dérives communautaristes, à force de refuser toute balise permettant de nous protéger contre la montée des intégrismes, à force de diaboliser les Québécois qui manifestent une crainte légitime face à la flambée meurtrière commise au nom de l’islam partout sur la planète, à force de les traiter de racistes et d’ignorants, évidemment que le terreau est fertile à la montée d’une extrême droite prête à tuer. C’est bien ce discours irresponsable d’une certaine gauche et de nos dirigeants qui, pour des raisons électoralistes, ont choisi la complaisance envers l’intégrisme islamiste au détriment de nos valeurs les plus fondamentales, qui est en cause.
Je voudrais porter un message différent. Celui d’une immigrante reconnaissante au Québec de l’avoir accueillie à bras ouverts. Je fais partie de ceux qui, comme Boucar Diouf, sommes devenus des Québécois de cœur. J’ai peur de retour en arrière pour le Québec. Renoncer à la laïcité serait renoncer à l’héritage de la révolution tranquille, à l’indépendance de l’État face aux courants religieux, renoncer à se protéger contre la montée des intégrismes religieux que l’on observe à tous les niveaux.
La paix sociale ne passe pas par l’exacerbation des différences religieuses et la fragmentation de la société en communautés distinctes qui s’observent en chiens de faïence. Elle ne passe pas non plus par l’opprobre, la mise en accusation d’un peuple démuni devant l’attaque frontale de sa culture, mise à mal par d’innombrables dérives communautaristes banalisées par les autorités. La paix sociale passe par des mesures politiques courageuses qui placent le bien commun au-devant de visées électoralistes à courte vue.
Mexique, de pays de transit à nation refuge
Mexique : de pays de transit à nation refuge
Par Kirk Semple 13 de février 2017
En 2016, plus de 8100 migrants ont demandé l’asile au Mexique, près de trois fois plus que l’année précédente.
SALTILLO, Mexique — Lorsque ses fils ont quitté leur appartement le matin, Wendy ne s’inquiète plus à savoir si ses enfants vont arriver vivant à l’école. Les souvenirs des gangs qui tourmentaient sa vie au Honduras s’effacent peu à peu de sa mémoire. La famille a fuit sa demeure l’an dernier après que des membres d’un gang aient tenté de recruter ses fils en menaçant de les tuer s’ils ne se joignaient pas à eux. Ils ont reçu l’asile au Mexique et ils sont ainsi devenus des résidents permanents du pays. «Comme vous pouvez l’imaginer, ce n’est pas facile de tout recommencer à zéro», rapporte Wendy pendant l’entrevue qu’elle donne dans cette petite ville du nord-ouest mexicain où sa famille est venue s’établir. «Mais nous sommes mieux ici parce que nous sommes en sécurité.»
Pendant longtemps, les États-Unis ont été la destinée rêvée pour de nombreux émigrants latino-américains, soir parce qu’ils fuyaient la pauvreté, l’agitation politique, les désastres naturels ou la violence. Toutefois, désormais plusieurs font leurs racines au Mexique, légalement ou illégalement, au lieu d’utiliser seulement ce pays comme un chemin vers les États-Unis. Ils ont de nombreuses raisons pour y demeurer. Traverser la frontière entre le Mexique et les États-Unis devient de plus en plus difficile disent les migrants, spécialement en raison de la hausse des prix demandés par les passeurs et la sévérité croissante des forces policières. CertainEs se découragent en raison de la trop grande quantité de dangers sur la route pour traverser le Mexique. D’autres croient qu’il serait plus facile de remplir les critères pour obtenir leur statu légal au Mexique qu’aux États-Unis.
Cependant, depuis quelques semaines, il y a un autre facteur déterminant qui dissuade les migrants qui se dirigent vers le nord : le président des États-Unis, Donald Trump. Même si tous les détails de ses récentes déclarations sur la politique migratoire appartiennent aux rumeurs qui circulent parmi les migrants, ses promesses antérieures de restreindre l’immigration ont fait naître parmi eux l’impression croissante que les États-Unis deviennent moins hospitaliers pour les immigrants, avec ou sans document.
«Ici au moins les gens sont accueillants et ils nous aident», dit Josué, un immigrants de 31 ans du Honduras qui est logé dans la maison des migrants, un refuge pour les migrants situé à Saltillo. «Pourquoi voudriez-vous aller vivre dans un pays où l’on ne veut pas de vous ? » (Comme les autres immigrants interviewés, Josué a demandé l’anonymat partiel parce qu’il est sans document. D’autres personnes interviewées qui demandent l’asile craignent que ceux qui les recherchent ne les trouvent). Josué est arrivé au Mexique il y a presqu’un an avec l’intention d’aller aux États-Unis, mais ayant trouver du travail, il a aimé le Mexique et il a choisi d’y rester un moment avant de poursuivre sa route.
Toutefois, avec l’ascension au pouvoir de Trump et ses promesses de renforcer les frontières des États-Unis et d’augmenter les déportations, Josué a décidé de demeurer au Mexique dans l’immédiat. «Dans mon cas, j’aimerais travailler aux États-Unis, mais ce président ne veut voir personne parce qu’il n’aime pas personne.» Josué cherche présentement comment légaliser son statu au Mexique. La quantité de migrants qui choisissent de demeurer au Mexique ne représente qu’une petite fraction des centaines de milliers qui utilisent le pays comme corridor pour entrer aux États-Unis. Cependant, l’attraction croissante du Mexique se reflète clairement dans le programme d’asile du pays. L’an dernier, plus de 8100 étrangers ont sollicité l’asile, presque trois fois plus qu’en 2015 et quinze fois plus que le nombre de personnes qui le firent il y a cinq ans. En 2016, 63% des demandeurs d’asile, sans inclure ceux ou celles qui ont renoncé pendant le processus de révision de leur demande, ont obtenu l’asile ou une autre forme de protection, en comparaison avec 46% en 2015, selon les statistiques officielles.
La grande majorité des demandeurs d’asile des dernières années proviennent du El Salvador et du Honduras qui ont été secoués par la violence et les gangs de rues. L’augmentation des demandes d’asile au Mexique est aussi due en partie à l’accroissement du nombre des détentions à la frontière sud du pays, l’effet d’un plan appuyé par les États-Unis, lequel a débuté en 2014 pour mieux contrôler le flux des personnes et des biens qui traversent la frontière entre le Mexique et le Guatemala. Après avoir été détenus par les fonctionnaires de l’immigration, certains apprennent par des codétenus ou par des officiers d’immigration qu’ils peuvent être éligibles au droit d’asile.
«Plusieurs arrivent ici sans savoir que les expériences par lesquelles ils sont passés sont un exemple pour solliciter le droit d’asile », nous dit Javier Martinez Hernandez, un avocat de la Maison des migrants qui a aidé plus de cent migrants à solliciter le statut de réfugier en 2016, plus du double qu’en 2015. Si les tendances actuelles perdurent, les fonctionnaires des Nations Unies prédisent que le Mexique pourrait recevoir plus de 20 000 demandes d’asile en 2017. Néanmoins, les groupes d’activistes et de défense des droits humains croient que la population des migrants potentiellement éligibles à la protection au Mexique est bien plus grande. Une bonne partie des 147 000 étrangers déportés l’an dernier pourraient ne pas avoir su qu’ils étaient éligibles au droit d’asile, ni n’ont eu l’opportunité de présenter leur cas avant d’être déportés, disent les activistes.
Au cours des derniers mois, le gouvernement mexicain a amélioré son système d’asile, incluant une augmentation de son personnel et des modifications au processus de sélection pour s’assurer que les migrants éligibles aient l’opportunité de la solliciter. Les autorités mexicaines ont également commencé à libérer les demandeurs d’asile qui sont détenus en attendant la résolution de leur cas, un processus qui peut prendre plus de trois mois en moyenne. Elles ont aussi amélioré l’accès des demandeurs à l’aide humanitaire et à l’aide juridique et psychologique, disent les fonctionnaires.
«Le gouvernement mexicain a reconnu qu’il s’agit d’une question de réfugiés», dit Mark Manly, représentant au Mexique du Haut Commissariat aux Réfugiés, le HCR. Manly a ajouté que les autorités mexicaines ont fait «un véritable progrès» en améliorant les processus et les services envers les demandeurs d’asile.
Avec les Nations Unies, le gouvernement a coparrainé un projet pilote réalisé à Saltillo pour aider à intégrer les demandeurs d’asile à la société mexicaine. Ce projet, qui a débuté au mois d’août 2016, jusqu’à maintenant est venu en aide à 38 réfugiés. Parmi eux, 26 poursuivent le programme tandis que les autres sont partis dans d’autres lieux. Saltillo a été choisi comme lieu pour mettre en marche le programme parce qu’on y retrouve de nombreuses possibilités de travail et que l’endroit est relativement tranquille et sécuritaire, disent les fonctionnaires des Nations Unies.
Plusieurs participants au programme disent que la vie au Mexique n’a pas été facile malgré l’aide qu’ils ont reçue. Le salaire minimum qu’ils reçoivent couvre à peine leurs dépenses. De plus, afin de se déconnecter d’avec le monde menaçant qu’ils ont laissé derrière eux, plusieurs ont cessé toutes relations avec leurs amis, leur famille et leurs anciens collègues. «C’est très triste de devoir abandonner son pays, » dit Ana, âgée de 41 ans, une Salvadorienne qui a émigré au Mexique avec son fils de 18 ans et ses deux filles de 15 et 21 ans, après que les gangs de rues aient tenté de recruter l’un de ses enfants et qu’ils aient menacé l’une de ses filles. «Vous imaginez-vous ? Nous avions tout. Mes fils étudiaient et maintenant ils dorment sur le sol. Ce n’est pas facile.» Mais même ainsi, la famille remarque qu’ils sont plus heureux au Mexique en grande partie parce qu’ils ne craignent plus pour leur vie. «J’ai laissé tout mes amis et ma famille, mais après ce qui s’est passé, partir fut pour nous un grand soulagement», raconte le fils de 18 ans qui a trouvé du travail dans un hôtel comme homme de ménage. Son grand frère qui planifiait d’aller à l’université au El Salvador pour étudier la médecine, travaille maintenant dans la buanderie d’un autre l’hôtel.
Mais, même ainsi, pour plusieurs, il est difficile d’oublier l’appel des États-Unis avec ses promesses. Wendy, la Hondurienne et son mari José, ont trouvé un emploi. Il travaille pour une entreprise d’airs climatisés et il fait le ménage d’une maison. Ses fils sont contents de leur nouvelle école et ils se font de nouveaux amis. Toutefois, il est difficile pour cette famille de couvrir toutes ses dépenses. «J’ai encore ce rêve d’aller aux États-Unis ou au Canada un jour», admet José tandis qu’il est assis dans la cuisine avec Wendy. Les deux portent des manteaux d’hiver dans leur appartement parce qu’ils ne peuvent pas se payer un système de chauffage pour se protéger du froid.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Manifeste pour un Islam de liberté et de citoyenneté
PRÉAMBULE
Montréal, 19 février 2017
Le manifeste qui suit a été écrit au courant du mois de janvier 2017, avant l’attentat raciste qui a visé des musulmans – parce que musulmans – dans la ville de Québec le 29 janvier 2017, et qui a fait six morts, cinq blessés graves, et un nombre incalculable de victimes, blessées au plus profond d’elles-mêmes. Ces événements nous ont convaincu, plus que jamais, de la pertinence de notre démarche. Cet attentat à aussi ravivé la mémoire de beaucoup de citoyens originaires des pays qui ont vécu le terrorisme islamiste.
Nous présentons avant tout nos condoléances envers les familles des victimes et leur exprimons toute notre solidarité. Les pertes qu’elles ont subies sont irréparables.
Les réactions massives qu’il y a eu, les dénonciations, les remises en question et les actes de solidarité démontrent bien que les accusations de racisme généralisé envers la société québécoise sont infondées et injustes. Il y a bien sûr du racisme au Québec comme ailleurs, mais il y a aussi de l’ouverture et de la solidarité. Les prises de positions de toutes les forces politiques sont allées bien au-delà du minimum nécessité par les relations publiques, et ont démontré une véritable volonté de vivre ensemble.
Nous déplorons la récupération de la tragédie et son instrumentalisation par ceux qui veulent se faire du capital politique alors que le moment était au recueillement et au respect envers les familles endeuillées.
Certains activistes en ont profité pour se faire passer pour « les » porte-parole d’une prétendue « communauté », alors qu’il y a des groupes nombreux et diversifiés qui se réclament de l’islam comme religion, bien sûr, mais comme culture aussi, avec un rapport extrêmement diversifié à la croyance et à la pratique religieuse. Et il y a aussi ceux et celles qui veulent avant tout être des citoyens et des citoyennes, et non pas membres d’une communauté religieuse. C’est à ce titre que nous signons ce manifeste.
MANIFESTE POUR UN ISLAM DE LIBERTÉ ET DE CITOYENNETÉ
Montréal, 28 janvier 2017
Nous, les sousigné.e.s, étant de cultures musulmanes et ayant des rapports très diversifiés avec la foi et la pratique religieuse, déclarons ce qui suit. Nous nous considérons avant tout citoyens, et c’est en tant que citoyennes et citoyens que nous voulons occuper pleinement notre place dans la société québécoise. Notre démarche s’inscrit également dans le contexte des résistances à l’intérieur même des sociétés musulmanes face à l’islamisme et ses manifestations sociales.
Les citoyens de cultures musulmanes du Québec sont originaires d’une trentaine de pays et sont de cultures et de traditions très diversifiées. Nul n’a le monopole de leur représentation. Nous déplorons le détournement de la foi musulmane par les courants de l’islam politique présents à l’échelle internationale, et nous contestons leur prétention de représenter les musulmans du Québec. Ces courants sont en partie responsables des impasses profondes auxquelles sont confrontées les sociétés musulmanes. Leurs stratégies identitaires et leurs interprétations rigides des obligations religieuses entraînent inévitablement un repli identitaire qui compromet l’épanouissement des musulmans dans les sociétés occidentales.
Tout en étant conscients des injustices que génèrent les politiques des puissances occidentales au Proche-Orient et dans le reste du monde musulman, nous condamnons l’usage fait par les islamistes de ces injustices pour justifier des violences contre des innocents et pour promouvoir la préparation idéologique qui est faite en amont, et qui légitimise la violence djihadiste.
Nous n’approuvons pas toutes les demandes d’accommodements religieux, surtout celles qui remettent en question la notion même de citoyenneté et les acquis du Québec en matière d’égalité et de neutralité de l’État et des institutions publiques. En général, ces mesures ne favorisent pas l’intégration des immigrants, mais ont plutôt l’effet inverse de fragiliser ou d’empêcher leur insertion professionnelle. Le caractère souple et accommodant qui a caractérisé l’islam durant des siècles signifie que les musulmans ont le droit et l’obligation d’adapter leurs pratiques religieuses aux conditions dans lesquelles ils vivent, de façon à faciliter l’harmonie et la bonne entente avec les sociétés d’accueil. Cette attitude, légitimée par l’histoire des sociétés musulmanes, est conforme aux valeurs universelles définies par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et elle est en opposition aux valeurs sectaires que défend l’islamisme.
Le sensationnalisme des médias, qui accordent une place énorme à des comportements choquants mais marginaux, donne une fausse image des musulmans du Québec et il contribue à faire mousser l’hostilité qui s’exprime envers l’ensemble des citoyens de cultures musulmanes. Nous appelons les médias à assumer leur responsabilité sur cette question car c’est le climat social tout entier qui en est affecté.
Les images sensationnalistes et stéréotypées de l’islam dans certains médias ont amplifié les insécurités identitaires dans la société québécoise. Les calculs électoraux fondés sur l’exploitation de ces insécurités sont à courte vue : ils valident dans la population québécoise une méfiance envers l’ensemble des citoyens de cultures musulmanes, et ils instaurent une dynamique du soupçon qui a des effets discriminatoires envers eux et des effets très néfastes sur le climat social en général.
Parallèlement, nous rejetons les tentatives de manipuler le concept d’islamophobie pour museler toute opposition aux courants islamistes, qui sont, en grande partie, responsables du climat d’hostilité envers l’ensemble des musulmans. Cette hostilité est fondée sur la confusion entre islam et islam politique. Elle valide le discours de victimisation des islamistes, qui est fondamental dans leur stratégie, ainsi que la prétention des islamistes et de leurs alliés d’être les défenseurs des musulmans « persécutés ». Cette confusion est dangereuse et contribue à vulnérabiliser l’ensemble de la société québécoise.
Dans ce contexte, il faut reconnaître le caractère distinct de la société québécoise, déjà fragilisée par son statut minoritaire en Amérique du Nord et qui tente de maintenir ses spécificités.
Il faut reconnaître que la grande majorité des citoyens de cultures musulmanes s’épanouissent dans cette société et souhaitent y vivre. Tout en étant conscients de certaines attitudes racistes qu’on y trouve mais qui restent marginales, ils voient aussi de nombreux signes d’ouverture envers eux dans le quotidien ainsi que dans des situations spéciales, telles que l’accueil fait aux réfugiés syriens.
Les tendances non fondamentalistes très diversifiées de l’islam (rationnelles, laïques, libérales, soufies, etc.) sont désarmées face à l’islamisme. Elles ont besoin de soutien pour contrer les énormes moyens financiers, médiatiques et politiques mis à sa disposition par les monarchies pétrolières et par d’autres acteurs qui veulent l’instrumentaliser. Nous déplorons que certains courants dans la société civile, par crainte de nourrir l’islamophobie, prennent la défense des pratiques les plus fondamentalistes en s’opposant à la critique qui leur est adressée par les tendances les plus ouvertes de l’islam. L’islamisme est de plus en plus contesté dans l’espace même de l’islam, par des voix qui sont combattues et moins visibles.
La lutte idéologique contre l’islamisme ne sera gagnée que de l’intérieur mais elle a besoin d’appuis. Cette lutte est aussi la nôtre.
Signataires :
Hassan Jamali, professeur retraité et écrivain,
Mounia Ait Kabboura, philosophe de formation, chercheuse, Chaire UNESCO-UQAM (FPJD),
Noomane Raboudi, islamologue-politologue, université Ottawa
Nadia El Mabrouk, Professeure en informatique, université de Montréal
Salah Beddiari, écrivain, poète
Leila Lesbet, enseignante
Ali Daher, sociologue, chercheur indépendant
Khaled Sulaiman, écrivain
Mohamed Ourya, Politologue, université Sherbrooke
Nezar Hammoud, Chercheur
Ali Kaidi, Doctorat en philosophie
Oussama Abou Chakra, chercheur et écrivain
Nadia Ghalmi, gestionnaire et ancienne journaliste
Karima Bensouda, Ingénieur
Joulnar El Husseini, interprète
Hind Snaiki, coordinateur de projet
Khaled A.Baki, ingénieur
Seba Alnabhan, éducatrice
Nezar Hammoud, biochimiste et nutritionniste clinicien
Farid Kettani, consultant retraité
Fatima Aboubakr, directrice de garderie
Samira Boualem, kinésithérapeute et orthothérapeute
Karim Lassel, Consultant en développement organisationnel
Salimata Ndoye Sall, Travailleuse sociale
Mohand Abdelli, ingénieur retraité
Nacer Irid: Ingénieur automatisation
El Mostapha Aboulhamid, Professeur retraité, Informatique, Université de Montréal
Nassir Ath vraham,
Ferid Chikhi,
Imad Al-Zawahra, ingénieur
Publié partiellement dans Le Devoir du 21 février 2017
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