Ça roule au CAPMO – mars 2016

 

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Ça roule au CAPMO – mars 2016, année 16, numéro 7

 

Altérité, gratuité, réciprocité

Dans une société postmoderne, sortie de l’appartenance clanique, faire communauté et entrer en rapport de réciprocité avec les autres, les étranges, les différents du « nous » atavique, sans consistance puisque sans fondement, pose problème. La méconnaissance de soi engendre une perte de pied dans le réel. Privée de toute gouvernance interne, d’instance de validation du sacré, le Québécois moyen semble avoir perdu sa boussole intérieure. Avorton de l’histoire, sans passé ni avenir, il redevient ce Canadien errant, malheureux et sans but, sans projet original pouvant l’inscrire dans la suite du monde. Victime de sa propre insignifiance et de la vacuité de son être, sa présence originale s’estompe. La glace est devenue si mince sous ses pieds qu’il ne se reconnait plus lui-même et craint l’abîme intérieur qui le guette, l’assimilation au néant identitaire. Superficiel comme les objets qui le possèdent, il s’ébat à la poursuite des plaisirs futiles, convaincu que demain il ne sera plus.

Toute histoire débute par l’apparition de l’autre à notre conscience, un être humain digne du plus profond respect. L’altérité demeure constitutive de l’identité puisque sans cette reconnaissance mutuelle, on demeure étranger à soi-même et ce n’est qu’à ce prix qu’on échappe au néant de l’être. Pour Lévinas, l’autre incarné dans la personne du pauvre, du malade, du réfugier, nous enjoint à l’agir solidaire auquel la conscience ne peut se soustraire qu’au risque d’y perdre sa substance. Aussi, l’appel de détresse est un impératif moral, une urgence primordiale qui nous interpelle et s’en détourner correspond en fait à un suicide de l’âme.

Si l’acte de gratuité nous relie aux autres, dans la plénitude de son expression elle reste égalitaire et ne sombre jamais dans la condescendance. La gratuité est à la recherche d’un trésor situé bien au-delà de la reconnaissance et des regards admiratifs. Elle communie au plus profond de nous-mêmes à cette part irréductible inscrite en chacun de nous. Cela peut être du temps, de l’amitié, de l’écoute, de l’aide, mais elle ignore les rapports marchands qui profanent ce lien sacré. Et même si certains rêvent de taxer l’entraide pour mieux isoler, diviser et contrôler le peuple, ce dernier demeure toujours imaginatif pour enfreindre les injonctions immorales de ceux qui nous gouvernent.

Ces politiques mesquines ciblent les personnes en situation de pauvreté à qui l’on refuse même le droit d’aimer et d’être aimé. Être reconnu, c’est découvrir dans le regard de l’autre une appartenance commune à l’humanité. Et cette reconnaissance de l’autre et de ces besoins multiples comme un autre soi-même, est aussi positif pour celui qui donne que pour celui qui reçoit. Peu importe la motivation première, il en rejaillit toujours une richesse que les économistes ignorent. Chez les Inuits, est considéré pauvre celui qui est privé de relations sociales. Est-ce que nos organismes communautaires seraient les derniers bastions où la solidarité et le don sont encore permis ? Mais une chose semble claire cependant, ce sont des lieux de rédemption dédiés à la libération des structures d’oppression.

Parce qu’elle nous introduit dans un rapport à l’autre auquel on s’identifie, la réciprocité s’avère fondatrice de la communauté. L’appartenance à un groupe caractérise souvent notre rapport au monde, ouvert ou fermé. La réciprocité est aussi à l’œuvre dans des groupes aisés de la société qui s’échangent des services, se renvoient la balle, ou s’offrent des cadeaux à partir des fonds publics. Mais je parle ici d’une perversion, de la corruption d’une vertu devant se fonder sur la bienveillance envers le bien commun. Si au lieu de toujours chercher à s’enrichir, ces petites personnes prenaient conscience du macrocosme qui nous héberge et de ce qu’elles doivent aux autres et à la société, elles apprendraient qu’il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.

Yves Carrier

 


 

Table des matières

Spiritualité et citoyenneté
Conférence de Jose Mujica
 Conscience Canada
 Changer le système…
 Fondamentalisme…
Oser la vérité sur la guerre
 Calendrier

 


En haut

Spiritualité et citoyenneté

par Robert Lapointe

UBER CONTRE LE RESTE DU MONDE.
Taxis et Uber sont en guerre: France, Québec, Inde, Chine, Kenya, Suisse. Mais Uber a les moyens. Sa base est Silicon Valley en Californie et ses appuis sont très riches: Google, Goldman Sachs et… Baidu (le Google chinois). Pour Evgeny Morozov, chercheur publié dans le Guardian et le Monde diplomatique, le succès de cette entreprise de style néolibéral se nourrit de « l’incapacité des gouvernements à taxer les profits des géants de la finance et des technologies ». Uber dispose de milliards pour éliminer toute concurrence. Il y en a qui ont les moyens d’utiliser les nouvelles technologies à leur avantage. (Extrait de Charlie-Hebdo, No 1229, 10-2-2016).

CONTRE LE MULTICULTURALISME.
Djemila Benhabib, auteure québécoise d’origine algérienne condamnée à mort avec sa famille dans sa patrie, interviewé par Charlie-Hebdo (No 1226, 20-1-2016), se prononce contre le multiculturalisme canadien, après les auteurs Bissoondath (de Trinité et Tobago) et Ondaatje (Sri Lanka, qui a inspiré le film Le Patient anglais avec Juliette Binoche dans le rôle d’une infirmière québécoise). Au-delà du fait qu’il s’agit de noyer l’identité québécoise dans un salmigondis culturel, « le multiculturalisme », c’est l’inversion du devoir d’intégration. Ce n’est plus la communauté d’accueil qui accueille, mais la communauté d’accueil qui doit s’accommoder à un individu, donc à une multitude d’individus. C’est l’éclatement de la nation, la négation même d’une possibilité de penser le monde d’une façon collective. La société devient une addition d’individus et de communautés qui coexistent sur le même territoire. On renonce donc en fait à répondre à toutes les questions d’ordre sociétal — égalité femmes-hommes, diversité sexuelle, liberté de conscience et ainsi de suite —, pour suivre le diktat des communautés politico-religieuses sur les individus qui leur sont rattachés. C’est la négation même de toute possibilité de citoyenneté» et de société civile. Il s’agit d’une régression intolérable. Comme le Québec d’avant la Révolution tranquille.

PITRES ET ÉPITRES
Voici une perle glanée dans le Manière de voir No 145 (février-mars 2016).

Regardez les photos des spectateurs quelques instants avant le drame (du Bataclan). Ces pauvres enfants de la génération bobo, en transe extatique. (…) Ce sont des morts-vivants. Leurs assassins, ces zombis-haschischins, sont leurs frères siamois. (…) Les uns se gavaient de valeurs chrétiennes devenues folles: tolérance, relativisme, universalisme, hédonisme… Les autres, de valeurs musulmanes devenues encore plus folles au contact de la modernité: intolérance, dogmatisme, cosmopolitisme de la haine…

Père Hervé Benoît, sur le site Riposte catholique, 20 novembre 2015.

 


 

  En haut

Conférence de Jose Mujica, Casa de la Americas, Montevideo, 29/01/2016

Avec les années, les pensées, les paroles et les souffrances se sont accumulées. C’est un grand honneur de vous parler dans ce temple de la culture, de la sculpture écrite, de l’art, du sentir, qui transforme la nostalgie et les sentiments en poésie, en sensation qui se transmettent à travers le temps qui relie les êtres humains entre eux. Je ne suis qu’un humble paysan qui un jour s’est passionné et s’est mis à rêver en croyant qu’il pouvait changer le monde. Mais nous avons quand même appris certaines choses que nous pouvons transmettre aux autres générations : Commettez les erreurs de votre temps, pas les nôtres.

Aujourd’hui, je suis entré dans l’étape de ma vie où lorsque mes amis me voient ils me disent : Comme tu sembles bien. Mais souvent, ils pensent le contraire. Jusqu’à l’âge de 22 ans, j’étais un passionné de littérature et je pouvais passer 6 à 8 heures par jour dans une bibliothèque. À cette époque, je connaissais deux des hommes les plus géniaux du pays, deux vieux professeurs : Don Paco Espinola, une gloire littéraire de l’Uruguay, et don José Bergamino, le dernier ministre de la République espagnole, qui s’était réfugié dans mon pays et qui organisait des discussions avec de jeunes rêveurs épris de littérature. Mais, quand je suis entré dans cette aventure de vouloir changer le monde (faire la révolution), l’histoire a changé, je n’avais plus de temps pour lire. La littérature, ce fut terminée pour nous. Les années passèrent et nous dûmes nous éloigner terriblement de la culture.

Pendant les années de prison, on ne nous traita pas très bien et nous avons passé de nombreuses années sans livre. C’est pourquoi je n’ai pas pu dédier autant de temps à la culture qu’il aurait fallu. Pour moi, être ici est un honneur non mérité parce qu’il s’agit d’un temple qui symbolise l’effort le plus engagé de la culture latino-américaine envers qui nous avons une vieille dette. C’est quelque chose qui a été portée dans la doublure d’un vieux rêve et d’une très vieille bannière qui nous dit — en termes synthétiques— qu’au cours des 200 dernières années, nous sommes parvenus à fonder des pays, mais la nation est encore à faire. Elle et là qui nous attend, tapie dans les incertitudes de l’histoire, c’est l’autre libération que nous n’avons pas atteinte : fonder la nation avec nos différentes patries en un monde qui s’assemble autour de gigantesques ensembles.

En ce monde, il n’y a pas de place ou de pitié pour les faibles et les latino-américains nous devons nous unir pour être forts, c’est élémentaire. C’est la dette que nous avons envers Marti et Bolivar, envers notre histoire. Auparavant, c’était un rêve, il s’agissait de se défendre contre l’empire. Je suis de ceux qui interprètent la lutte pour l’intégration de l’Amérique latine comme une chimère. Pourquoi ? Parce que les batailles de notre humanité dépendent désormais de ce qui est en jeu : la survie de l’espèce humaine sur cette planète.

Aujourd’hui, le problème le plus grave n’est plus l’empire ou les empires, c’est que nous n’avons pas su créer une civilisation qui nous gouverne. Elle nous emporte sans avoir de direction — autrement dit — la direction suivie par la civilisation est l’accumulation, la richesse, la consommation, le marché.

Nous appartenons à l’espèce humaine, un drôle de singe doté de sensibilité, de sentiments, de frustrations, qui veut, qui hait et qui a une soif infinie de bonheur parce qu’on ne peut pas acheter la vie au supermarché. La vie passe et nous ne croyons plus — nous ne pouvons pas croire dans ces sociétés laïques — que ce monde est une vallée de larmes qui précède un paradis après la mort. Nous ne pouvons plus croire en de telles histoires. Nous savons que l’enfer et le paradis sont ici. Notre vie s’écoule et nous avons soif de bonheur, et nous ne voulons pas confondre le bonheur avec les achats quotidiens que nous faisons. Le sentiment de bonheur est associé à des choses émouvantes, anciennes, éternelles : avoir du temps pour les enfants, la famille, quelques d’amis. Du temps libre qui ne se vend pas et qui ne s’achète pas. Nous savons parfaitement qu’en ce monde nous devons travailler pour faire face aux nécessités matérielles; mais la vie ce n’est pas seulement travailler.

La vie, c’est la lutte pour la liberté et la liberté c’est avoir du temps libre à consacrer aux choses qui nous passionnent. Nous ne pouvons accepter d’être gouvernés par les besoins imbues de capitalisme, la soif de profit, le marché, la compétition; où la vie est transformée en une échelle compétitive formée d’êtres humains que nous piétinons pour nous élever au-dessus des autres.

José Marti (1853-1895)

L’idée, c’est de triompher. Cela me fascine qu’il y ait des vieux de 80 et de 90 ans qui continuent d’accumuler des fortunes et qu’on ne puisse pas leur faire payer d’impôts. C’est pour cela que nous en appelons à l’histoire afin d’y puiser des outils intellectuels pour la lutte d’aujourd’hui. L’histoire n’est jamais finie parce que la perspective avec laquelle nous regardons les faits se transforme. Les leçons se trouvent à la racine de notre histoire, mais l’avenir n’est pas de la nostalgie. L’avenir est toujours un monde nouveau et c’est pourquoi des êtres aussi étranges que nous, après la Révolution française ont été nommés de gauche. Mais ils existaient bien avant. Ne croyons pas que la face solidaire et la lutte pour l’équité soient des inventions modernes. De toute éternité, elles appartiennent à la condition humaine, comme la face conservatrice n’est pas moderne, ce n’est pas Franco qui l’a inventée. C’est la pathologie du conservateur qui devient fasciste. Je crois que l’histoire de l’humanité oscille entre ces deux choses. Ceux qui, comme moi, se disent de gauche, nous avons besoin d’aller aux sources comme celles de Marti, qui donna sa vie par amour à la vérité. Et si pour certains marxistes orthodoxes, Marti semble être un libéral idéaliste, c’est parce que nous regardons toujours les failles des grands hommes plutôt que l’essence de leur message. Je ne sais pas, ni n’ai l’autorité pour le dire, si Mati était pré-moderne ou quelque chose du genre, peu m’importe. Ce qui m’importe, c’est qu’il était un rêveur, un bâtisseur, qui ne s’est pas contenté d’écrire des mots. Il écrivait pour promouvoir la vie et l’action.

Marti a vécu un moment particulier de l’histoire où il semblait évident que les États-Unis s’apprêtaient à coloniser une bonne partie des Caraïbes, des Antilles, afin d’étendre physiquement leur influence. Il vécut ce qui s’était produit à Hawaï, l’invasion d’Haïti et les tentatives d’acheter Cuba à l’empire espagnol comme ils l’avaient fait avec la Floride et l’Alaska. Les États-Unis emprisonnèrent ces territoires dans leurs serres. C’était un expansionnisme de toutes parts. Et cet homme singulier qu’était Marti disait qu’il voulait lier son sort aux pauvres, ce qui atteste d’une énorme sensibilité sociale. Mais il savait, devant les difficultés de son temps, que la lutte pour l’indépendance était double. Il fallait d’abord sortir de la mer des Caraïbes ce qu’il restait de l’empire espagnol, tout en assurant la continuité et la fondation de nouvelles nations pour qu’elles ne tombent pas sous l’égide américaine.

Marti eut la grandeur pragmatique de prévoir le scénario et de créer un parti pour tous, avec tous. Il nous donne une leçon très importante que nous devons recueillir : il faut faire tout son possible pour accroître la base social du mouvement. Celui qui avait jurer de lier son sort à celui des pauvres, lorsqu’il dut lutter pour l’indépendance, élargit son discours et tenta d’y inclure tout ce qu’il put parce qu’il devait concentrer ses forces pour la principale bataille. Mais cette fois, il avait besoin d’une diplomatie efficace avec le reste de l’Amérique latine pour ce qui risquait d’arriver avec les États-Unis.

C’est le dilemme que vécut Marti. Étant un intellectuel vigoureux, comment s’y prit-il ? Il compris qu’il devait forger un outils, un parti révolutionnaire, inclusif, qui s’efforcerait de soulever toutes les classes sociales dans cette lutte. Et, peut-être que, de façon prémonitoire, il nous offrit sa vie comme contribution à la cause. Marti était un personnage informé pour son époque : écrivain, poète, et passionné à l’extrême. Il aimait la vie et il se sentait vivant. Passionné d’humanisme avec cette définition que la patrie, c’est l’humanité. Toute une définition. Et avec une philosophie très singulière, il s’efforçait de résumer les messages philosophiques de son temps, parfois avec une vision critique de l’homme affirmant qu’il y a un tigre à l’intérieur de chacun. Ce sont des affirmations négatives de ce qu’il dit, mais nous avons aussi l’autre côté où il nous dit qu’il est possible de maîtriser ce tigre et de le diriger. Je crois qu’il s’agit là d’un des messages les plus modernes de Marti.

Pourquoi est-ce que j’en parle ? Parce que ma génération a cru que si nous parvenions à changer les relations de production et de distribution, nous créerions les conditions physiques pour avoir un homme nouveau. Un système également créateur de culture, parce que la culture n’est pas toujours positive. Il y a des cultures retardataires qui ne cessent pas pour autant d’être de la culture. Ce que je veux définir, ce que je veux transmettre, je ne me réfère pas ici à la culture qui illumine l’art : la dramaturgie, la poésie, la danse, le théâtre, la peinture.

Je veux unir ma destinée aux pauvres du monde, José Marti

Je me réfère à cette culture qui a une odeur de cuisine, avec ses arômes, cette culture naturelle qui inspire nos choix fondamentaux presque instinctivement et qui, en définitive, teinte les conduites des sociétés. Est constituante de cette conduite, de cette culture de valeurs — de fait influencées par le capitalisme – l’accumulation depuis plus d’un millénaire, comme quelque chose de naturel, la négation des valeurs ancestrales de l’être humain. Parce que l’homme a vécu primitivement en groupe et, presque 90% de l’histoire humaine a été vécue en groupe où n’existait pratiquement pas la propriété privée et où pour survivre il fallait appartenir à un groupe.

Ce singe étrange qui est apparu en Afrique, conquérant et envahisseur qui commence à parcourir le globe terrestre, a mis 35 000 ans avant d’atteindre Terre de feu. Quel formidable prédateur. Il vécut de nombreux millénaires sans connaître la propriété privée et le profit dans le sens que nous le connaissons aujourd’hui. Ce que je veux dire, c’est que, pour le meilleur et pour le pire, plusieurs de nos relations naturelles sont le fruit de l’histoire. Sur ce point, je suis d’accord avec Marti. La nature a doté chacun de nous d’une part d’égoïsme pour que nous luttions pour la vie, pour défendre notre vie et celle de nos êtres chers. Mais la nature nous a aussi donné la richesse de la conscience et la civilisation qui représente la solidarité intergénérationnelle, ce formidable capital intellectuel de connaissances et de coutumes que nous ont léguées les générations antérieures. Il faudrait penser que serait notre vie si nous devions tout construire sans bénéficier de tout ce que nous ont légués les générations précédentes. Nous serions des singes misérables et nous passerions nos journées à chercher notre pitance. Au lieu de cela, la nature nous a donné la possibilité de construire des civilisations. Mais ce n’est pas seulement une question de nature, c’est aussi une question de programmation puisque l’histoire de l’humanité a une grande influence.

Historiquement, dans toutes les étapes de son évolution, depuis le paléolithique, l’être humain a été un animal socialiste parce qu’il ne peut pas vivre autrement, il dépend de ses congénères. Dans toutes les sociétés primitives, après la peine de mort, la plus grave sanction est l’expulsion du groupe, la solitude équivaut à l’insécurité.

Aujourd’hui encore, dans les villages Aymara, est considéré pauvre celui qui n’appartient pas à une communauté. Il n’existe rien de plus noble dans la lutte pour la vie que l’existence des autres, de la communauté. Ce qui compte, c’est l’interrelation. Robinson Crusoé ne serait pas mort de froid et d’angoisse parce que la civilisation lui avait légué le langage et d’autres choses. C’est simplement qu’il ne pouvait aller nulle part. Mais il demeurait avec l’héritage de la civilisation qui lui permit de survivre. Dans cette lutte, Marti représente un moment précieux de l’histoire. Il établit l’engagement de l’intellectuel envers une cause vivante. D’un côté, il s’agit d’une pensée, mais, de l’autre, il place sa vie au service de ce qu’il pense. Et sincèrement, je pense qu’il est facile pour des gens bien dotés intellectuellement d’écrire des histoires passionnantes, mais faire cela et risquer sa vie pour la cause que l’on défend, c’est peu courant. C’est quelque chose qui remue nos entrailles. C’est un pont entre les vieux protagonistes de l’indépendance latino-américaine et les défis de l’avenir. Mais nous avons une dette envers Marti. Cet homme est une leçon, mais aussi le début d’une cause. Je ne crois pas que la seconde indépendance soit cela, mais si elle l’est, il nous manquera encore la troisième qui est l’acquisition de la connaissance qui nous rendra libres et la création d’une culture de la liberté, non soumise aux valeurs du capitalisme. Peu importe la nature de la propriété et de la distribution, ce qui importe c’est la conduite des masses, la conduite naturelle de l’homme, et nous avons une dette envers la construction d’une culture contestataire distincte.

On ne peut pas construire une maison socialiste avec des menuisiers capitalistes qui volent les planches et les sacs de ciment. Tout. Mais pourquoi font-ils cela ? Parce qu’ils sont méchants ? Non. Ils ne sont ni bons ni méchants, ils sont enivrés de culture capitaliste que nous trimballons en nous-mêmes de manière conscientes ou inconscientes. Et ce phénomène ne se règle pas uniquement en luttant pour une meilleure éducation. C’est un outil qui doit faire partie des préoccupations de toutes les forces progressistes, de la conduite et de la façon de vivre des dirigeants, de l’image qu’ils véhiculent, ils doivent être l’expression de l’esprit qui anime la république.

El Che

Il faut accompagner les masses jusque dans les façons de vivre et restreindre les privilèges des dirigeants, non pas tant parce que cela influence le budget du pays que parce que cela affecte la confiance des gens qui se perd s’ils nous sentent distants, étrangers, enfermés dans une tour d’ivoire. Alors, nous devons apprendre de tout cela. À l’époque de l’Union soviétique de Nikita Kroutchev, époque à laquelle plusieurs de ceux et celles qui sont ici n’étaient pas encore nés, les chemises en nylon avaient fait leur apparition en Occident. Elles étaient en nylon transparents et provoquaient une chaleur insupportable. Les pauvres petits russes rêvaient tous d’en avoir une. Ils construisaient de nouveaux rapport de production et de distribution, mais la culture demeurait la même et ils ne se rendaient pas compte de la valeur de ce qu’ils possédaient.

Nous avons cru que le socialisme c’était de produire autant de tonnes d’aluminium et d’acier que l’Occident, mais ce n’était pas cela. La question se situait sur un autre plan. J’ai maintenant plus de 80 ans et j’ai le luxe de dire ce que je pense. Pourquoi ont-il fait cela dans une révolution prolétarienne ? Que s’est-il passé ? Nous avons dévié de notre route parce que la force de la représentation bourgeoise consiste précisément à nous inviter à leur table, à nous faire participer et à nous faire croire également que nous sommes les propriétaires de la table. Nous adoptons alors ses us et coutumes : nous avons besoin d’avoir de grandes demeures avec de nombreuses pièces, de gens qui nous servent, d’énormes voitures, et ainsi de suite. Si les républiques ont été créées, c’était pour combattre le féodalisme, pour combattre les monarchies de droit divin, et pour prétendre que les hommes sont fondamentalement égaux, à tout le moins les partis politiques ont la responsabilité de défendre ces principes. Avoir une charge publique d’importance, ce n’est rien d’autre que d’avoir une charge, mais cela ne nous rend pas plus important que les gens ordinaires parce qu’en définitive nous sommes redevables envers la collectivité et la majorité. L’éternel problème des forces du changement c’est la lutte pour l’unité qui signifie respecter la diversité et apprendre à former des groupes avec des gens qui ont des intérêts différents. Il ne faut pas diviser les forces du changement parce que c’est s’affaiblir devant la droite. Nous devons savoir clairement quelle est notre principale bataille. Dans le cas de Marti, la bataille principale consistait à obtenir d’une part l’indépendance de l’empire colonial et, d’autre part, à freiner l’ambition manifeste des États-Unis sur cette partie du continent. Il était conscient que s’il y parvenait, il rendrait un énorme service à l’Amérique latine. C’est la raison de la lutte diplomatique qu’il entreprit et de représentations consulaires qu’il envoya. Il se rendit alors compte des subtilités des contradictions entre l’Allemagne et l’Angleterre. Conscient que s’il souhaitait arrêter l’expansion du géant du nord, il devait s’allier à une autre puissance dans le monde réel. Ce sont là de vives leçons qui indiquent les grands défis que nous présentent l’histoire et les attitudes que nous devons parfois assumer.

Il est certain que pour Cuba, Marti représente bien plus que cela. Il est le symbole de la construction de la république. Il en est l’Apôtre parce qu’il donne l’impression d’avoir recherché joyeusement la mort comme une manière de contribuer à ce qu’il pensait et ressentait. Il avait tout donné et il ne lui restait que sa vie à offrir à l’éternité. Peut-être que certains psychologues contemporains pourront en tenir compte. Personnellement, cela me donne la dimension de l’amour et de la stature de l’homme. Je souhaiterais souligner l’idée des équilibres qu’il nous a léguée, parce que je crois que nous sommes dans une conjoncture semblable, de cette lutte pour l’équilibre.

L’équilibre pour assurer l’indépendance des pays latino-américains. Si Cuba tombe, où est annexé aux États-Unis, tous les Caraïbes seront compromis. C’était évident, et il voyait l’envie des États-Unis. Il se rendit compte que rompre avec l’empire colonial et, en même temps, freiner l’ambition nord-américaine, était une cause qui concernait toute l’Amérique latine. Il chercha à faire jouer la diplomatie latino-américaine et il réalisa le contentieux que l’Argentine avait avec l’Angleterre et il se méfia de la politique extérieure du Brésil qui, depuis l’époque de Don Pedro, cherchait à s’approcher du marché nord-américain.

 


 Citations de José Marti

« La grandeur des chefs n’est pas dans leur per­sonne, mais dans la mesure où ils servent la grandeur de leur peuple. »

« Celui qui ne se sent pas offensé par l’offense faite à d’autres hommes, celui qui ne ressent pas sur sa joue la brûlure du soufflet appliqué sur une autre joue, quelle qu’en soit la couleur, n’est pas digne du nom d’homme. »


 Marti essaya de se mouvoir à travers les contradictions entre les différents pays et, comme il se doit, il n’oublia jamais le Mexique. Il est évident que sa cause était reconnue au Mexique et qu’en temps opportun, ce pays fournit le support nécessaire à la lutte pour l’indépendance. Cela nous parle de la valeur d’une diplomatie bien gérée, certainement, avec de nombreux gestes effectués en clandestinité, avec beaucoup de travail en amont et un bombardement intellectuel à travers tout ce travail de presse que réalisa Marti dans toute l’Amérique latine pour consolider ses appuis dans la région et exploiter les contradictions existantes entre l’Allemagne, la Russie et l’Angleterre. Toujours en faveur de l’organisation de la lutte, qu’en premier il voulait courte, mais cela ne put être, et qui lui coûta la vie. Mais cette idée d’équilibre n’est pas seulement une question de tactique politique, c’est une vision du monde, un monde d’équilibre. Je crois que cela est un message moderne qui doit être considéré en chaque circonstance historique où est en jeu l’équilibre des forces en un monde complètement déséquilibré et qui parait gouverné par des fous, si ce n’est des déséquilibrés.

Avec la civilisation qui nous domine et qui, avec un génie énorme, accumule des choses inutiles. Il y a peu nous avons pesté contre le changement climatique. Il y eut d’innombrables réunions de présidents, des déclarations, des mesures ont été prises… les sources alternatives d’énergie qui n’affectent pas l’environnement. Maintenant nous avons le pétrole à 30 dollars le baril et nous allons brûler du pétrole parce que nous devons être compétitifs et que nous devons abaisser nos coûts de production. Alors, le changement climatique se poursuit, et nous allons faire des pieds et des mains pour l’accélérer. Nous pestons inutilement depuis Kyoto. Nous sommes remplis de contradictions. Nous avons inventé des villes qui sont devenues monstrueuses, des jungles de ciment, et après nous devons bâtir des voies de circulation souterraines parce les gens passent trois heures par jour pour se rendre au travail. Des histoires de fou parce qu’on ne peut pas toucher à la sainte propriété immobilière. Et ce monstre continue de croître et d’agglutiner des gens. Ici nous avons Sao Paulo avec ses 20 millions d’habitants. Et il est certain que ce sont les plus pauvres qui en paient le prix le plus élevé.

Dans la ville de Mexico, il y a des menuisiers qui louent des espaces sur les toits près de leur lieu de travail, ils dorment aux intempéries et une fois par semaine, ils vont à la maison. Tout cela pour ne pas sortir de Mexico. À l’époque maya, les villes avaient une dimension maximale, et la civilisation grecque inventa le mécanisme des colonies. Lorsqu’une ville devenait trop grande, elle fondait des colonies et ces petites villes furent créatrices de culture et de connaissances. Mais, le profit ne peut être arrêté. Je pourrais passer des heures à parler de ces aberrations que nous sommes en train de commettre comme humanité. Fidel avait raison, lorsque dans l’un de ses discours il dit : « Ce qui est en jeu, c’est la vie humaine. »

Si nous continuons à commettre autant de bêtises, le changement climatique se fera évident. Il n’est pas nécessaire d’être un homme de science pour constater ce qui se produit actuellement avec certains arbres. En Uruguay, mon pays, les poires ont disparues. Pourquoi ? Personne ne le sait. Il n’y a plus de poires, les poiriers sont morts. À la maison, j’ai du construire un toit au-dessus de deux petits arbres, des ginkgos bilobas, un arbre fossile qui existe depuis 250 millions d’années. Leurs feuilles tombent. Pourquoi ? Je ne sais pas. Le soleil ? Nous n’avions jamais vu cela. De toutes parts, les phénomènes extrêmes apparaissent plus fréquents. C’est indéniable.

Nous arrivons à une étape d’interdépendance, d’interrelation où le monde a besoin de décisions globales, sans appels, qui doivent être prises. Mais les gouvernements des pays industrialisés sont préoccupés de savoir qui va gagner les prochaines élections dans leur pays respectif. Nous sommes tombés dans le ridicule. Dans mon pays, par exemple, nous avons renoncé à construire une centrale au charbon pour protéger l’environnement, pendant ce temps, la Chine en inaugure une à chaque mois. Mais nous sommes sur le même navire et dans le même atmosphère. Y a-t-il un animal plus insensé que l’être humain ? Que sommes-nous en train de faire ?

José Mujica

Nous avons une civilisation sans gouvernail, nous avons besoin d’accords mondiaux parce que jamais nous n’avons possédé la puissance et les moyens dont nous disposons actuellement. Aujourd’hui, dans le monde, deux millions de dollars sont dépensés à chaque minute en budgets militaires. Prétendre qu’il n’y a pas de ressources, c’est une honte. Il y a une bande de vieux qui accumulent tant d’argent que cela donne la nausée, ils possèdent autant que la moitié de l’humanité et on ne peut pas leur faire payer d’impôts. Vouloir poser la main sur leur fortune, c’est se mettre dans le pétrin. Cela fait 20 ans que nous discutons de la misérable taxe Tobin, et nous n’arrivons pas à leur faire payer un tout petit impôt sur les transactions financières. Pourquoi ? Cette civilisation mondialisée nous rend interdépendants par sa magnitude, par l’impact technologique, par l’informatique. Nous devons commencer à réagir en tant qu’espèce responsable de la vie sur ce navire appelé Terre. Mais ce monde n’a pas de pilote, ou mieux dit, il est conduit par l’accumulation du capital. Il ne travaille pas en faveur de la vie.

Marti releva le défi de l’expansionnisme nord-américains, de l’indépendance des colonies et de préserver l’Amérique latine. Notre défi, c’est la lutte pour la vie sur Terre. Je pense souvent que nous n’en sommes pas conscients parce que nous vivons dans une société de marketing. On nous occupe l’esprit. Les romains inventèrent le pain et les jeux, ici nous avons la télévision et le divertissement qui nous abrutissent. Cette civilisation médiatique est une façon de nous dominer. Bien davantage que les armées, le pouvoir militaire, cette culture nous amène à avoir des réactions et elle nous gouverne en fonction de l’accumulation capitaliste.

Je ne plaide pas en faveur du retour à l’âge des cavernes ou de vivre sous des feuilles de palmiers. Je ne défend pas la pauvreté comme idéal de vie, mais je défends à mort la sobriété. Vivre avec un bagage léger, avoir du temps pour vivre, se rappeler que le bonheur humain c’est d’être en relation avec d’autres êtres humains; que l’être humain n’est pas une marchandise, qu’il ne peut être vendu ou acheter; que les choses sacrées, les décisions les plus importantes de notre vie, n’ont rien à voir avec l’économie et beaucoup avec nos émotions. Je crois sincèrement que notre devoir et notre lutte pour une culture contestataire, émancipatrice, différente, insubordonnée. Vous allez me dire que cela ne peut être. Je crois que cet animal singulier qu’est l’être humain, est le seul animal capable de reprogrammer sa conduite s’il exerce une volonté sur lui-même. L’homme a la capacité de s’auto-programmer et c’est la partie qui a à voir avec la construction de l’avenir. Mais en tout état de cause, c’est un thème qui doit être débattu. Je suis convaincu que nous devons lutter pour une libération, la libération de nous-mêmes, de la culture qui nous assujettit au plus profond de nos décisions. Nous devons lutter pour le bonheur humain et celui-ci ne consiste pas à accumuler des gadgets, à passer sa vie à travailler comme une mule et à la terminer fourbu de rhumatismes, emmuré dans un centre de santé parce que nous n’avons pas eu de temps pour nous occuper de nos sentiments.

La vie passe et ces choses que je dis paraissent si élémentaires, c’est pour cela que nous les oublions. Quand vous achetez quelque chose avec de l’argent, vous ne l’achetez pas avec de l’argent mais avec le temps de votre vie que vous avez passé à gagner cet argent. Mais du temps de vie vous ne pouvez pas en acheter. Il passe, tu deviens vieux et c’est fini. Celui qui accorde une valeur à la mort, aura la volonté suffisante pour défendre la vie. Il faut penser à la mort parce qu’elle nous attend au détour plus vite qu’on ne le croit. S’il vous plait, ne gaspiller pas l’unique miracle que vous avez, le miracle d’être en vie.

Merci


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Conscience Canada

CAMPAGNE 2016 POUR LA DÉCLARATION DES IMPÔTS POUR LA PAIX 

Alors que plusieurs rêvent d’un retour à l’époque dorée des gardiens de la paix, le gouvernement canadien injecte davantage de nos impôts dans l’économie de guerre. En 2014, le Canada a dépensé quatre fois plus sur le militaire que sur l’aide à l’étranger. Qu’est-ce que cela nous dit des priorités canadiennes ? Les objecteurs de conscience (OCs) constatent que dans la plupart des cas, l’argent dépensé dans les interventions armées et le militarisme aggrave le cycle de la violence. Cette prise de conscience les force à s’opposer à cet usage malavisé des ressources communes. Ils insistent pour que cet argent soit plutôt investi dans la diplomatie, la prévention des agressions et la consolidation de la paix. L’objectif principal de Conscience Canada est d’aider les objecteurs de conscience à agir selon leurs convictions.

Mis sur pied en 1978, Conscience Canada, une organisation laïque, a été incorporé comme organisme à but non lucratif en 1983. Au cours des 30 dernières années, ses militants (y compris des parlementaires fédéraux et d’autres personnes bien connues) plaident pour l’adoption d’une loi fédérale qui permettrait aux Canadiens de réaffecter leurs impôts militaires à un Fond pour la paix, géré par le gouvernement.

Lors de la période des impôts qui approche, et jusqu’à ce qu’une loi canadienne reconnaisse le droit de s’opposer à financer les dépenses militaires, Conscience Canada invite tous les Canadiens à utiliser la Déclaration d’impôts pour la paix, incluse dans le présent dossier, soit en version papier ou en version électronique qui se trouve en cliquant ici :
http://www.consciencecanada.ca/eptrfr/

Tous les impôts ainsi redirigés seront conservés en fiducie par Conscience Canada en attente de la création d’un Fonds canadien pour la paix. De plus, Conscience Canada lance une campagne de sensibilisation sur les médias sociaux afin d’encourager ceux qui refusent de financer la guerre à démontrer leur solidarité! Prenez un égo portrait (selfie) en faisant un geste de paix, après avoir rempli la déclaration d’impôts pour la paix. Partagez votre photo avec le hashtag #CanadasConscience sur Facebook, Twitter ou Instagram.

Pour plus d’informations, consultez le Conscience Canada sur ligne :
http://www.consciencecanada.ca/fr/
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https://twitter.com/consciencecnda
Ou communiquez avec : Jan Slakov janslakov@shaw.ca ou (250) 537-5251 Maryze Azzaria lmazzaria@videotron.ca ou (450) 831-4631 Dominique Boisvert boisvert.dominique@gmail.com ou (819) 231-8047
L’adresse postale de Conscience Canada est :
8 Chandos Dr., Kitchener, Ontario, N2A 3C2

 


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Changer le système pas le climat

Retour sur la conférence de Paris sur les changements climatiques

Catherine Paquin, adjointe à la coordination, à l’Entraide missionnaire

Changer le système, pas le climat
Inquiète des conséquences des dérèglements climatiques pour notre planète et pour l’humanité, je suis partie à Paris avec l’espoir que les gouvernements puissent arriver à un accord contraignant. Dans ce contexte, je me suis ralliée aux mouvements sociaux et à la société civile, présents en marge des négociations officielles, pour que nous puissions faire entendre nos voix et faire des pressions collectives sur les négociations. Dans les espaces citoyens, comme la Zone d’Action pour le Climat et le Sommet citoyen, les défenseur-e-s des droits au territoire, des droits des femmes, des paysan-ne-s, des autochtones, des syndicats ont pu se rassembler, échanger et faire le constat que nos mouvements sont inter-reliés et unis dans cette lutte face à l’urgence d’agir sur le climat pour avancer vers un avenir porteur d’espoir.

À l’issue de l’accord, nos gouvernements se sont entendus sur le principe de maintenir le seuil de réchauffement sous la barre des 1,5 degrés Celsius, mais si l’on additionne les promesses de chaque État, nous arriverons à un réchauffement minimal de 2,7⁰ C, ce qui constitue pour les mouvements sociaux présents à Paris un crime climatique. Selon Nicolas Hulot, environnementaliste français, au sujet de l’accord, « nous sommes en train de préparer les conditions de conflits de demain. Si l’on était ambitieux, on préparerait les conditions pour la paix de demain. » Il est clair depuis plusieurs années (et Paris l’a confirmé) que les gouvernements n’offrent que de courtes visions et ne soutiennent que les fausses alternatives mises de l’avant par les multinationales qui croient donc que le marché devrait déterminer les solutions (bourse du carbone, taxe carbone, économie de croissance « verte »). On ne peut penser que le modèle capitaliste qui a fait naître les inégalités sociales, économiques, écologiques, puisse être porteur de solutions durables et à échelle humaine. De ce fait, je ne crois pas que les approches portant sur la marchandisation de la nature sont porteuses de changements réels.

On nous fait croire que les pollueurs seront payants pour l’État car celui-ci pourra réinvestir la taxe carbone sous forme de subventions en recherche et développement de technologies vertes, ou que les crédits carbones achetés sur les marchés financiers serviront à régénérer des forêts. À première vue, l’on pourrait penser que c’est logique. Toutefois, on tente par ce genre de stratégies de profiter de la crise climatique pour continuer la croissance économique, positive pour le portefeuille d’une minorité seulement, mais nuisible pour la majorité des êtres humains et dommageable pour la planète.

Il faut se poser des questions importantes au préalable : est-ce que les technologies vont nous sortir de la crise? Est-ce que les crédits carbones seront utilisés dans le respect des populations locales? Est-ce que les accords commerciaux négociés en parallèle par les États vont dans le sens des objectifs fixés dans cet accord sur le climat? Bref, à qui profitera cette croissance verte? Nous devons changer le système économique, pas le climat.

Mes échanges à Paris avec des personnes qui vivent présentement les conséquences des changements climatiques m’ont confirmé un élément crucial dont on doit tenir compte dans la transition écologique qui s’impose pour s’assurer la vie et l’avenir de ce que le pape François appelle notre « maison commune ».

D’abord, cette transition se doit d’être aussi juste socialement et économiquement, ce qui veut dire qu’elle doit être portée démocratiquement par les populations elles-mêmes, pour qu’elles puissent s’approprier leur énergie, leur économie, leur territoire. Il est insensé de penser que des grandes corporations multinationales veilleront au bien-être de la Terre et des communautés locales. Leur raison d’être sera toujours de faire plus de profit.

Par ailleurs, les gouvernements des pays industrialisés et pollueurs peinent à trouver de l’argent pour le Fonds vert, qui permettrait de financer l’adaptation des pays plus vulnérables aux changements climatiques, mais ils ne luttent pas contre l’évasion fiscale pratiquée par les grandes corporations. Ceci est un reflet de leurs priorités. Aussi, les accords de libre-échange paralysent les actions gouvernementales en matière de protection environnementale sur leur territoire car, de plus en plus, ces traités sont en faveur des multinationales, leur donnant le droit de poursuivre un gouvernement si celui-ci favorise le respect de l’environnement et, de ce fait, contraint l’entreprise à renoncer à des profits potentiels. Imaginons donc un État qui ne veut pas aller de l’avant avec un projet d’exploitation pétrolière par souci environnemental et social, mais qui se voit poursuivi en justice par une compagnie, parce que celle-ci doit renoncer à des profits estimés. Qui paierait la facture de ce type de manigance? Bien certainement, les citoyennes et citoyens.

Avec toutes les fausses solutions promues par nos élites, je ne crois plus que l’on doit attendre que les solutions viennent d’en haut. Pour effectuer des changements, nous devons donc construire le rapport de force pour la démocratie et la coopération entre les peuples. Ainsi, devant l’urgence climatique et l’hégémonie des multinationales, la solution viendra de notre capacité à créer un mouvement, un mouvement citoyen mondial suffisamment large et crédible pour demander à nos gouvernements d’agir pour la Terre et pour l’humanité. Nous aurons la force du nombre. Comme nous l’avons entendu au cours des dernières semaines, « nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend », et cette nature que nous incarnons a besoin d’une économie transformée pour pouvoir vivre dignement et encore longtemps.

La justice climatique et l’avenir de l’humanité passent par la justice sociale, et on ne peut avoir de justice sans solidarité. En agissant localement, avec nos résistances et nos alternatives, nous arriverons à une véritable révolution verte et démocratique. C’est comme cela que nous pourrons transmettre l’espoir aux générations qui nous succéderont. Notre vision, transposée en actions, a le pouvoir de changer notre façon de vivre ensemble sur la planète. La logique d’être propriétaire de la Terre se transformera vers une pensée où nous serons conscient-e-s que nous empruntons la Terre sur laquelle nous vivons.

Je suis enthousiaste de poursuivre mon engagement au sein de L’EMI, qui a au cœur de sa mission la justice sociale, la solidarité et la paix, et de contribuer ainsi à sa perspective de transmission de ces valeurs pour la construction de cette société où la vie et l’humanité domineront sur le profit.

Catherine Paquin, adjointe à la coordination
L’EMI en bref, numéro 74, février 2016


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Fondamentalisme islamique

« Le fondamentalisme islamique est le signe paradoxal de la sortie du religieux »,

Marcel Gauchet, Le Monde, 21/11/2015

 Le philosophe et historien Marcel Gauchet revient sur les origines de la violence terroriste.

Comment penser les attaques du 13 novembre et ce déferlement de haine ?

Cette violence terroriste nous est spontanément impensable parce qu’elle n’entre pas dans nos grilles de lecture habituelles. Nous savons bien sûr que c’est au nom de l’islamisme que les tueurs agissent, mais notre idée de la religion est tellement éloignée de pareille conduite que nous ne prenons pas cette motivation au sérieux.

Nous allons tout de suite chercher des causes économiques et sociales. Or celles-ci jouent tout au plus un rôle de déclencheur. C’est bien à un phénomène religieux que nous avons affaire. Tant que nous ne regarderons pas ce fait en face, nous ne comprendrons pas ce qui nous arrive. Il nous demande de reconsidérer complètement ce que nous mettons sous le mot de religion et ce que représente le fondamentalisme religieux, en l’occurrence le fondamentalisme islamique. Car, si le fondamentalisme touche toutes les traditions religieuses, il y a une forte spécificité et une virulence particulière du fondamentalisme islamique. Si le phénomène nous échappe, à nous Européens d’aujourd’hui, c’est que nous sommes sortis de cette religiosité fondamentale. Il nous faut en retrouver le sens.

Les réactivations fondamentalistes de l’islam sont-elles paradoxalement des soubresauts d’une sortie planétaire de la religion ?

Oui, il est possible de résumer les choses de cette façon. Il ne faut évidemment pas réduire la sortie de la religion à la croyance ou à la « dé-croyance » personnelle des individus. C’est un phénomène qui engage l’organisation la plus profonde des sociétés. La religion a organisé la vie des sociétés et l’originalité moderne est d’échapper à cette organisation. Or, la sortie de cette organisation religieuse du monde se diffuse planétairement.

Si le fondamentalisme touche toutes les traditions religieuses, il y a une forte spécificité et une virulence particulière du fondamentalisme islamique.

D’une certaine manière, on pourrait dire que c’est le sens dernier de la mondialisation. La mondialisation est une occidentalisation culturelle du globe sous l’aspect scientifique, technique et économique, mais ces aspects sont en fait des produits de la sortie occidentale de la religion. De sorte que leur diffusion impose à l’ensemble des sociétés une rupture avec l’organisation religieuse du monde. On ne voit pas immédiatement le lien entre le mode de pensée économique et scientifique et la sortie de la religion, et pourtant il est direct. Aussi ne faut-il pas s’étonner que la pénétration de cette modernité soit vécue dans certains contextes comme une agression culturelle provoquant une réactivation virulente d’un fonds religieux en train de se désagréger, mais toujours suffisamment présent pour pouvoir être mobilisé. Mais attention, fondamentalisme n’est pas ipso facto synonyme de terrorisme. Ce sont deux choses qui peuvent fonctionner séparément.

Ne pourrait-on pas voir au contraire dans ce fondamentalisme musulman un réarmement du religieux ?

C’est une hypothèse que l’on peut parfaitement formuler. Elle me semble démentie par les faits. Les sociétés européennes sont à la pointe, pour des raisons historiques, de la sortie de la religion. Ce sont donc elles qui devraient le plus souffrir de ce manque. Or les Européens peuvent être tourmentés à titre personnel par des questions d’ordre spirituel et beaucoup le sont, mais cette recherche ne prend absolument pas la forme d’un mouvement politique. Bien au contraire.

Le spirituel dans les sociétés européennes relève typiquement de la part la plus intime des individus. Il les éloigne de la visée d’une action sur la société. Alors que le vrai fondamentalisme est un projet politique d’inspiration révolutionnaire. Le projet de remettre la religion au pouvoir dans la vie des sociétés, dans le cadre de l’islam, est aisément symbolisé par le retour de la charia, loi embrassant tous les aspects de la vie collective. Le fondamentalisme est un projet radical de société et c’est là toute la différence. C’est pourquoi certains comparent le fondamentalisme à un totalitarisme, ce qui ne me paraît pas éclairant. La religion est autre chose que les idéologies totalitaires qu’on a pu voir à l’œuvre dans notre histoire.

Il ne faut « pas faire d’amalgame », ne cesse-t-on de répéter. Or ces actes − perpétrés au cri d’« Allahou akbar » − ont-ils tout de même à voir avec l’islam et le moment historique qu’il traverse ?

Évidemment. Pas d’amalgame signifie qu’il ne faut pas incriminer de façon indifférenciée l’islam et accuser tous les musulmans de participer à ce phénomène. Mais, dans l’autre sens, on ne peut pas dire que l’islam n’a rien à voir là-dedans.

Je répète que le fondamentalisme n’est pas propre à l’islam, il se manifeste dans toutes les traditions religieuses du monde, sous des formes plus ou moins activistes. Toutefois, on est bien obligé de constater que le fondamentalisme islamique est particulièrement prégnant et vigoureux.

Marcel Gauchet

C’est là que le phénomène fondamentaliste a son expression la plus forte sur la planète aujourd’hui. Il faut donc s’interroger sur ce lien entre l’islam et ses expressions fondamentalistes. C’est quelque chose que l’on ne peut pas séparer de l’état des sociétés musulmanes et de leur situation particulière, notamment dans la région moyen-orientale.

Pourquoi l’islamisme prend-il cette forme si radicale aujourd’hui ?

Le premier point dont il faut se souvenir pour comprendre l’islamisme, c’est la proximité de l’islam avec nos propres traditions religieuses, juive et chrétienne. Vu d’Orient, du bouddhisme et du confucianisme, l’Occident est très exotique, il est très loin, ce sont deux mondes différents.

Vu de l’islam, il est religieusement proche, et la proximité est plus dangereuse que la distance. Dans la proximité, il y a de la rivalité et de la concurrence. Or le tronc monothéiste sur lequel se greffe l’islam le met dans une position très particulière. Il est le dernier venu des monothéismes et se pense comme la clôture de l’invention monothéiste. Il réfléchit les religions qui l’ont précédé et prétend mettre un terme à ce qu’a été le parcours de cette révélation. Cette proximité le met dans une situation spontanément agonistique vis-à-vis des religions d’Occident.

Le spirituel dans les sociétés européennes relève de la part la plus intime des individus. Il les éloigne de la visée d’une action sur la société. Alors que le vrai fondamentalisme est un projet politique d’inspiration révolutionnaire.

Il existe un ressentiment dans la conscience musulmane par rapport à une situation qui lui est incompréhensible. La religion la meilleure est en même temps celle d’une population qui a été dominée par les Occidentaux à travers le colonialisme et qui le reste économiquement.
Cette position ne colle pas avec la conscience religieuse que les musulmans ont de leur propre place dans cette histoire sacrée. Il y a une conflictualité spécifique de la relation entre l’islam et les religions occidentales.

Pourquoi ce fondamentalisme fascine-t-il tant une partie des jeunes des cités européennes paupérisées ?

Le message fondamentaliste prend un autre sens une fois recyclé dans la situation de nos jeunes de banlieues. Il entre en résonance avec les difficultés de l’acculturation de cette jeunesse immigrée à une culture individualiste en rupture totale avec ses repères, y compris communautaires, qui viennent de sa tradition religieuse.

Une culture individualiste, qui à la fois fascine les plus ébranlés et leur fait horreur, et je pense que c’est le cœur du processus mental qui fabrique le djihadiste occidental. C’est un converti, qui s’approprie la religion de l’extérieur et qui reste souvent très ignorant de la religion qu’il prétend s’approprier. Son aspiration par ce premier geste de rupture est de devenir un individu au sens occidental du mot, en commençant par ce geste fondateur qu’est la foi personnelle.

Dans une religion traditionnelle, la foi personnelle compte moins que les rites observés et ce ritualisme est essentiel dans l’islam coutumier. C’est avec ce cadre que brise l’adhésion intensément personnelle du fondamentaliste. En même temps, cette adhésion très individuelle est un moyen de se nier comme individu, puisque l’on va se mettre au service d’une cause pour laquelle on donne sa vie. Cette contradiction exprime une souffrance très particulière, liée à une situation sociale et historique très spécifique. C’est dans cette zone que se détermine la trajectoire de ces jeunes gens qui nous sont si incompréhensibles.

Dans ces quartiers si spécifiques du Xe et XIe arrondissements de Paris, il y avait deux jeunesses qui se faisaient face…

Oui, un premier individualisme parfaitement tranquille, sans questions et qui se vit dans une hyper-socialisation, et un second qui est vécu par une jeunesse très contradictoire, à la fois très au fait de cette réalité et complètement déstabilisée par elle. Le choix des cibles est très peu politique, mais très révélateur de ce qui constitue l’enjeu existentiel de ces jeunes. Ils ont tiré sur ce qu’ils connaissent, sur ce à quoi ils aspirent tout en le refusant radicalement. Ils se détruisent de ne pas pouvoir assumer le désir qu’ils en ont.

C’est pour cette raison que vous écrivez que « le fondamentalisme est en dépit de tout et malgré lui une voie d’entrée à reculons dans la modernité » ?

Il ne constitue pas pour moi une menace capable de remettre en question la manière d’être de nos sociétés. Bien sûr, il peut tuer beaucoup de gens, faire des dégâts épouvantables et créer des situations atroces, mais il ne représente pas une alternative en mesure de nous submerger. Affrontons-le pour ce qu’il est, sans lui prêter une puissance qu’il n’a pas.


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Oser la vérité sur la guerre

Dominique Boivert

 Comment écrire sur la guerre et la paix en moins de 1000 mots? En simplifiant, forcément. Mais en allant à l’essentiel, ce que nos politiciens n’osent pas faire: opinion publique et sondages obligent !

Le gouvernement Trudeau tient sa promesse électorale de retirer les avions de chasse canadiens d’Irak et de Syrie: bravo. Mais son «plan» de remplacement n’ose pas dire «les vraies affaires»: que la guerre n’a rien réglé, ni en Irak (c’est même elle qui a créé le bourbier actuel), ni en Syrie (où la situation n’a jamais été pire depuis 5 ans), ni en Afghanistan, ni en Lybie, ni contre le groupe armé État islamique.

Mais en matière de guerre, l’opinion publique est totalement irrationnelle: quand on tue les nôtres (les six coopérants québécois tués au Burkina Faso) ou qu’on sent le danger se rapprocher (les attentats de Paris), on crie «aux armes» et on veut que les gouvernements envoient les militaires pour «les exterminer tous»; puis quand nos militaires sont tués au combat, on fait pression sur nos gouvernements pour qu’ils rapatrient nos soldats!
Mais nos gouvernements ne sont pas plus courageux pour oser dire la vérité qui dérange: que les seuls vrais gagnants de toutes ces guerres sont les «marchands de canons»: les nôtres (voyez le juteux contrat de General Dynamics avec l’Arabie Saoudite, dont l’idéologie politico-religieuse est à la source même de l’État islamique) et ceux de tous les grands pays producteurs d’armes (États-Unis, Russie et Union européenne).

Quelles qu’en soient les motivations (nobles principes ou intérêts sordides), les guerres sont toujours inefficaces à permettre la justice et à créer la paix. Et qui paie le prix de ce gâchis récurrent ? Quelques centaines ou milliers de militaires (de préférence, ceux des «autres»), mais surtout des millions de civils innocents, femmes et enfants en majorité, dont les plus chanceux meurent sur le champ (dans les bombardements qu’on prétend «chirurgicaux» mais qui sont bien plus souvent plus ou moins «aveugles»), mais dont la plupart vivront toute leur vie avec les cicatrices des deuils, des handicaps, des maisons détruites ou abandonnées, des déplacements internes ou de l’exil à l’étranger.

Oui, ce qui se passe en Syrie et en Irak est abominable. Oui, le comportement de nombreux djihadistes de l’État islamique est criminel. Oui, les besoins humanitaires des populations civiles souvent assiégées sont criants et urgents. Mais les bombardements de la Coalition (avec ou sans la participation du Canada) ne réglera rien, absolument rien, sinon d’augmenter encore les drames sur le terrain et les profits des actionnaires de l’industrie militaire.

Si le nouveau gouvernement canadien a compris cela (mais je n’en suis pas sûr, sa position sur le retrait des avions de chasse pouvant fort bien être uniquement une manière de se démarquer de la position ouvertement militariste de son prédécesseur conservateur), en tous cas il s’est bien gardé de le dire. Jamais le gouvernement Trudeau n’a osé dire clairement à la population canadienne (et encore moins depuis qu’il est élu) que les conflits en Syrie et Irak ne pourront jamais se régler par la guerre, quel que soit le nombre des bombardiers ou des soldats qu’on enverra là-bas.

Mais cela n’est pas un discours populaire, ni auprès de nos «alliés», ni auprès d’une grande partie de l’opinion publique. Pire, ce n’est même pas un discours «audible», c’est-à-dire qui puisse être simplement entendu, parce que nous vivons dans un monde qui préconise depuis toujours le recours à la force ou à la violence chaque fois qu’on doit résoudre un conflit. Et même si l’échec de la guerre se répète, conflit après conflit, l’opinion publique préfère croire les généralités mensongères que lancent ses leaders politiques pour la rassurer (comme la rhétorique des autorités françaises après les attentats de novembre à Paris), plutôt que d’examiner avec lucidité et courage les leçons claires de l’Histoire.

Alors, si la guerre est toujours un échec, que peut-on faire? S’asseoir avec tous les belligérants et trouver, patiemment, avec opiniâtreté et courage, les solutions et les compromis nécessaires pour sortir de la spirale de la violence.

 

On le voit bien dans le conflit israélo-palestinien qui pourrit les relations politiques de tout le Moyen-Orient depuis maintenant plus de 60 ans. La violence, même à supposer qu’elle puisse parfois être bien intentionnée, ne nourrit toujours que plus de violence.

Et si la position que je défends, avec bien d’autres, est encore marginale, c’est tout simplement parce que nos gouvernements n’osent pas la proposer, tant elle va à l’encontre d’intérêts économiques et politiques puissants: même le héros de la seconde guerre mondiale, le général Dwight Eisenhower devenu président républicain des États-Unis, a senti le besoin de mettre en garde ses compatriotes, dans son discours de fin de mandat en janvier 1961, contre le danger que représentait l’influence indue du complexe militaro-industriel sur le gouvernement américain.

Le gouvernement Trudeau a l’occasion unique d’utiliser la conjoncture internationale actuelle et sa volonté de redéfinir la place du Canada sur l’échiquier international pour innover de façon significative en matière de politique étrangère. Compte tenu de sa position de «moyenne puissance» dont la réputation diplomatique a longtemps été très appréciée partout dans le monde (songeons bien sûr aux «casques bleus», un invention canadienne qui valut le prix Nobel de la Paix à Lester B. Pearson, mais aussi à de nombreuses autres initiatives diplomatiques comme le Traité sur les mines anti-personnel), le Canada est l’un des pays les mieux placés pour oser dire que la guerre est dépassée comme moyen de régler les conflits. Et pour investir massivement, et systématiquement, dans les alternatives non militaires comme contribution canadienne à la sécurité internationale… et à la Coalition occidentale qui dit vouloir mettre fin aux conflits en Syrie et en Irak.

Utopique? Quand même un éditorialiste de La Presse ose questionner la fatalité de la guerre (Mario Roy dans «La guerre? No sir…», 3 janvier 2012, basé sur les thèses de Joshua Goldstein et Steven Pinker), on est en droit de croire que l’idée n’est pas si folle que cela! Comme on doit se rappeler que la fabrication d’une bombe atomique était une utopie aussi déraisonnable au moment où les États-Unis ont décidé de tout mettre en œuvre (savants, recherches et ressources financières) pour la concrétiser! Quand on veut vraiment, on peut. La guerre ou la paix.

Dominique Boisvert
www.dominiqueboisvert.ca


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Calendrier des activités du mois de mars 2016

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