Ça roule au CAPMO – juin 2017
Justice et réconciliation
Les 30 et 31 mai, au Cap-de-la-Madeleine, s’est tenue une rencontre entre les Premières Nations et les immigrés au Québec depuis 30 ou 400 ans. Cet événement a permis à près de 500 personnes de Schefferville, Témiscaminque, Natashquan, Lac Simon, Pointe-Bleue, Odanak, Malioténam, Québec, Montréal, Sherbrooke, Joliette, Ottawa, Toronto Winnipeg, etc., d’apprendre à se connaitre. En toute musicalité, les langues innue, anishinaabe et iroquoise, ont résonné à nos oreilles comme à celles des premiers explorateurs européens.
Dans le rapport de la Commission Vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones au Canada : « Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir », on peut lire : « Pendant la majeure partie de son existence, le système des pensionnats destiné aux enfants autochtones était un système d’éducation en apparence seulement. Les pensionnats avaient pour but de séparer les enfants autochtones de leur famille afin de limiter et d’affaiblir les liens familiaux et culturels et d’endoctriner les enfants pour qu’ils adhèrent à la culture dominante. (…) Ces écoles ont exercé leurs activités pendant plus de 100 ans, de sorte que plusieurs générations successives d’enfants des mêmes collectivités et familles ont eu à les fréquenter. L’histoire du Canada est demeurée silencieuse à ce sujet jusqu’à ce que les survivants du système trouvent la force, le courage et l’appui nécessaires pour raconter leurs histoires dans des milliers de procès qui ont ultimement mené à la création du plus grand recours collectif de l’histoire du pays. »
Ce triple arrachement émotionnel, culturel et identitaire, a provoqué des conséquences qui perdurent dans le cœur des individus, des familles et des communautés. Heureusement, les processus de guérison et de récupération de la mémoire et de la fierté sont présentement en cours et plusieurs organismes de la société civile s’efforcent de concrétiser par des gestes de solidarité, l’amitié tant souhaitée. Toutefois, si elle ne désire pas demeurer superficielle, la réconciliation passe par la reconnaissance de l’offense commise en notre nom. Cet exercice exige l’honnêteté nécessaire à l’autocritique de nos comportements racistes, à un changement de positionnement existentiel, à la réparation des injustices et de nos politiques ségrégationnistes, parce que si je ne reconnais pas ma position d’oppresseur, je ne pourrai pas changer d’attitude et entreprendre un cheminement vers l’autre.
Ontologiquement, la réconciliation est un processus de guérison et de transformation tant pour l’opprimé que pour l’oppresseur qui y récupère son innocence primordiale. Cette prise de conscience du peuple québécois comme nation oppressive est pénible à entendre, mais l’effort de réconciliation appelle cette reconnaissance, car de cette souffrance partagée peut naître la guérison. Aller à la rencontre de l’autre, signifie demander pardon pour les trahisons commises au cours des siècles. Ce processus nous ramène à notre histoire commune, à la rencontre de deux civilisations où la plus ancienne invite l’autre à renouer amoureusement avec la Terre-Mère, en toute liberté, ouverte à l’héritage de toute l’humanité, communiant de l’intérieur à nos racines telluriques, animales et cosmiques, en une refondation de l’être qui y découvre une consistance psychique et un bien-être lui permettant de respirer un souffle nouveau, tel qu’à l’aube des premiers jours.
Yves Carrier
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D’OÙ VIENT LA SOCIÉTÉ CIVILE ? par Robert Lapointe.
La société civile, c’est tout simplement la société d’où est sorti tout ce qui n’est pas civil, du moins partiellement, soit le militaire, le religieux, l’étatique, l’économique.
Généralement, dans les sociétés premières de chasseurs-cueilleurs, toutes les fonctions sociales étaient assumées en leur sein. Le chef, élu surtout pour son prestige, son charisme, n’est, avec le chaman, que le porte-parole de la tribu. Ces sociétés étaient la norme pendant des dizaines et des dizaines de millénaires. Avec le temps des spécialisations apparurent entre éleveurs et agriculteurs. La qualité des relations entre les individus et entre les clans s’en ressentirent. Les sociétés devenaient plus complexes, mais, même là, elles étaient capables de résoudre leurs conflits par la palabre, la discussion.
Quelques fois, puisque nous avons affaire à des êtres humains et imparfaits, il pouvait arriver que le goût du prestige se mue en goût du pouvoir. Le discours du chef pour l’ensemble de la communauté tendait à devenir un discours servant ses propres intérêts et ceux de ses proches. Face à l’abandon des valeurs guidant la société, il survenait parfois une réaction afin de revenir à ces valeurs. C’est ce qu’on appelle le prophétisme. Le prophète veut que l’on revienne aux valeurs traditionnelles, mais le goût du prestige et du pouvoir personnel l’atteignait parfois et il développait également un discours servant ses intérêts et ceux de ses proches. Et cela dans une société plus complexe où la qualité des relations interpersonnelles s’était dissolue. C’est probablement ce processus qui a donné naissance à l’État et facilité le passage d’un discours mythique à un discours religieux. L’étatique, s’appuyant sur le militaire, et le haut clergé, se fondant sur la religion, s’élevèrent au-dessus de la société et la contrôlèrent. C’est ce qu’on appelle la société traditionnelle où la connaissance de la société qu’elle a d’elle-même est plus ou moins perdue sauf pour quelques éléments mieux éduqués et plus indépendants.
Ces éléments sont à l’origine de la société civile que l’on peut qualifier de moderne. Bourgeois et intellectuels portés par le besoin de changement au sein du peuple sont à l’origine de la société contemporaine, mais pour leurs propres intérêts bien sûr. Quelques bourgeois devinrent des capitalistes et des financiers et ils s’émancipèrent de la société. Ils s’efforcent aujourd’hui de tout contrôler. Le communisme, quant à lui, émerge d’une petite bourgeoisie intellectuelle frustrée de n’avoir pas plus de pouvoir face aux riches et aux puissants. Elle essaie de manipuler le peuple afin d’avoir sa part du gâteau en maîtrisant l’État, l’économie, en promulguant leur propre religion laïque. Le parti communiste y encadre à ce point la société civile que celle-ci se trouve pratiquement éradiquée.
La société civile renouvelée, autonome, démocratique et inclusive que l’on désire devra assumer tous les pouvoirs qui lui reviennent et qu’elle est capable d’exercer. Elle devra surveiller les sphères étatiques, économiques et religieuses sans s’identifier à celles-ci. La société civile se doit de rester elle-même pour mieux réaliser ses finalités du bien commun et du vivre ensemble selon ses valeurs et dans la défense de ses intérêts.
Nous des intellectuels et des militants sociaux réunis à Montréal le 11 mai 2017 déclarons ce qui suit :
1) Nous nous opposons à l’ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures du Venezuela. La vague actuelle d’interférences poursuit l’intervention engagée sous la présidence Obama. Par exemple, au cours de son mandat, l’administration Obama a refusé de reconnaître la victoire du président Nicolás Maduro lors des élections présidentielles de 2013, encourageant l’opposition à déclencher une spirale de violences au début de 2014. Obama a également signé le décret déclarant que le Venezuela représentait une menace pour la sécurité des États-Unis. Nous dénonçons le dernier projet de loi bipartite, démocrate-républicain, déposée au Congrès au début de mai 2017, en vue d’autoriser le décaissement de plus de 10 millions $ pour la promotion de la démocratie au Venezuela. Par conséquent, nous constatons que l’interventionnisme états-unien est bipartite et constitue la menace la plus importante à la souveraineté, à la paix et au progrès social, non seulement en Amérique latine, mais aussi dans le monde. La situation au Venezuela montre encore une fois qu’on ne peut entretenir des illusions sur le caractère fondamentalement interventionniste de la politique états-unienne.
2) Nous rejetons la position du gouvernement du Canada auprès de l’OEA de se joindre aux États-Unis et à certains gouvernements de droite en Amérique latine afin de promouvoir davantage cette interférence. La position honteuse adoptée par Ottawa ne prend pas en compte les sentiments de tous ces Canadiens qui jugent avec méfiance le rôle que jouent les États-Unis en Amérique latine et dans les Caraïbes. Le premier ministre Justin Trudeau n’a pas tenu compte des faits connus des observateurs bien informés de la situation vénézuélienne, mais s’est fondé sur la version officielle des États-Unis. Par conséquent, nous demandons au gouvernement Trudeau de changer sa position et de ne pas soutenir l’ingérence des États-Unis.
3) Nous nous opposons à l’ingérence flagrante du Secrétaire général de l’OÉA, Luis Almagro, dans les affaires intérieures du Venezuela, et nous déclarons que l’OÉA a toujours été un instrument de la politique étrangère des États-Unis en Amérique latine. Ce rôle ne peut être changé.
4) Nous soutenons la décision du Venezuela de se retirer de l’OÉA. Elle apporte une bouffée d’air d’air frais dans la région. Nous croyons qu’aucun pays qui aspire à se faire respecter dans la région ne devrait demeurer dans l’OÉA dominée par les États-Unis et par le Canada, dont les élites défendent des intérêts contraires à ceux des peuples vivant au sud du Rio Grande.
5) Nous sommes encouragés par le soutien international exprimé par de nombreux pays de la région à l’occasion des récentes manifestations du 1er mai. Nous soulignons la déclaration du président bolivien Evo Morales qui a dit : « l’agression de ce moment, le coup d’État au Venezuela, est aussi un coup d’État en Bolivie et dans tous les États d’Amérique ».
6) Nous nous opposons à la violence perpétrée par les secteurs les plus extrémistes de l’opposition, financée en grande partie par les États-Unis. Les reportages et vidéos réalisés sur place indiquent qu’elle est le fait de voyous fascistes et n’est d’aucune manière le fait d’une opposition politique légitime. Son seul but est de fournir un prétexte à l’ingérence politique et militaire étatsunienne comme cela s’est produit à d’autres occasions dans la région. Ceux qui sont actuellement en prison et que les États-Unis et leurs alliés présentent comme le « visage de l’opposition » ont été jugés et condamnés pour des crimes qui ont causé des dizaines de morts, des centaines de blessés et des dommages économiques incalculables. Cette violence se produit dans un pays qui tente actuellement de résoudre les problèmes économiques et sociaux exacerbés par la guerre économique menée par les États-Unis et leurs alliés au Venezuela. Il ne peut y avoir d’impunité ou d’amnistie pour ceux qui ont déjà été jugés et condamnés et pour ceux qui empruntent la même voie. Aucun observateur sérieux ne peut les considérer comme des prisonniers politiques parce qu’ils ne sont pas emprisonnés pour leurs opinions politiques, mais plutôt pour leurs activités de subversion violente au profit des États-Unis et de l’oligarchie vénézuélienne.
7) Nous appuyons la décision courageuse du gouvernement Maduro, annoncée le 1er mai 2017, de convoquer une Assemblée nationale constituante. Cette démarche est conforme à la Constitution vénézuélienne dont l’article 5 prévoit que la souveraineté incessible réside dans le peuple, qui l’exerce directement de la manière prévue par la présente Constitution et la loi, et indirectement, par le suffrage, à travers les organes qui exercent la puissance publique. C’est un des instruments qu’avait prévus Hugo Chávez pour des circonstances exceptionnelles, comme c’est le cas dans l’impasse politique actuelle. Le peuple du Venezuela est le dépositaire du pouvoir constituant originel. Dans l’exercice de ce pouvoir, il peut convoquer une Assemblée nationale constituante afin de transformer l’État, créer une nouvelle loi et rédiger une nouvelle constitution. Et l’article 348 stipule que l’initiative de convoquer l’Assemblée nationale constituante peut être prise par le Président de la République en Conseil des ministres. Le peuple est appelé à décider par un vote direct et secret de l’élection des 500 membres de l’Assemblée. Contrairement à ce que prétendent l’opposition et les médias, cette démarche ne constitue pas un « coup d’État ». L’objectif de cette convocation est de rétablir la paix sociale et d’éviter plus de violence. C’est un moyen institutionnel de débloquer l’impasse découlant des limites de la démocratie libérale représentative en créant les bases d’une démocratie où le peuple sera le véritable protagoniste. Il faut laisser le peuple décider de l’avenir de la Révolution bolivarienne qui a marqué le début d’une nouvelle ère avec toutes ses conquêtes sociales, économiques, politiques et culturelles. Est aussi en jeu l’héritage d’Hugo Chávez comme architecte de la nouvelle Amérique latine et sa contribution à un monde multipolaire en lieu et place de l’hégémonie des États-Unis.
8) Enfin, nous demandons à tous les secteurs de la société canadienne, depuis le gouvernement Trudeau jusqu’aux citoyens, de s’informer sur la situation au Venezuela en recourant à d’autres sources que les médias dominants, tels les reportages et articles mis en ligne par Telesur (en espagnol ou en anglais).
9) Nous dénonçons en dernier lieu l’opération de placardage d’affiches sur la vitrine du Centre culturel Simón Bolívar. Ces affiches apparues le 11 mai imputent au gouvernement bolivarien des décès pour lesquels on n’a pas démontré sa responsabilité. Des opposants cherchent à intimider le personnel du CCSB. Ces actions qui ne relèvent pas de la liberté d’expression ne doivent pas avoir cours ici ou ailleurs.
La réforme fiscale de Trump taillée sur mesure pour Wall Street?
Stéphane Lauer, Le Monde, 2 mai 2017, site Linkedin
S’agit-il d’un oubli, d’une distraction passagère ou bien d’un nouveau renoncement de la part de Donald Trump ? On a eu beau parcourir l’ébauche de réforme fiscale que le gouvernement a présenté le 26 avril, à aucun moment la question de la déduction d’impôt au titre du « carried interest » n’est explicitement abordée. Pourtant la suppression de cette niche fiscale qui permet aux dirigeants de fonds spéculatifs ou de « private equity » (investissement dans des sociétés non cotées) de payer proportionnellement moins d’impôt qu’un salarié moyen était une promesse de campagne du milliardaire new-yorkais.
« Les gars dans les hedge funds ne vont pas m’apprécier autant qu’avant »,paradait M. Trump en septembre 2015, en annonçant qu’il allait supprimer le « carried interest ». « Ces gars-là s’en tirent bien. Je connais des gens qui gagnent des sommes d’argent monstrueuses et qui virtuellement ne payent pas d’impôt et je pense que c’est injuste », avait-il ajouté. À l’époque, il n’était encore qu’un candidat parmi d’autres et personne ne s’imaginait qu’il deviendrait le 45e président des États-Unis.
M. Trump n’était pas le premier à s’attaquer au sujet. Il s’agit d’un véritable serpent de mer, dont Barack Obama s’était emparé lors de la campagne présidentielle de 2008. En vain. Il était remonté à l’assaut en 2012, argumentant qu’il n’était pas normal que le milliardaire « Warren Buffett paye un taux d’impôt inférieur à celui de son assistante ». À chaque fois, le puissant lobby de Wall Street était monté au créneau pour qu’on enterre bien sagement le sujet.
Un sujet sensible
L’origine de l’expression « carried interest » ou « carry » (transporter) remonte au Moyen Âge, lorsque les commandants des bateaux qui assuraient le transport des marchandises entre l’Europe et l’Asie touchaient une prime de 20 % sur les bénéfices générés par la cargaison en compensation des risques qu’ils prenaient en affrontant les tempêtes et des mers infestées de pirates. Elle fut ensuite utilisée dans les années 1920 concernant les revenus de l’extraction pétrolière, avant de faire son apparition dans le code des impôts en 1954.
Si aujourd’hui les risques ne sont plus tout à fait de la même nature à Wall Street, le taux de rémunération est resté. Un dirigeant de fonds spéculatif touche en moyenne une commission de 2 % sur les montants qu’il gère à laquelle s’ajoutent 20 %, au titre du « carry » donc, sur les bénéfices qu’il dégage pour ses clients.
Ces profits sont aujourd’hui eux-mêmes taxés à 20 %, à comparer avec le taux supérieur de l’impôt sur le revenu qui, lui, est à 39,6 %. Les 2 000 dirigeants qui bénéficient de ce traitement de faveur expliquent qu’il est justifié par les risques qu’ils prennent en investissant dans l’économie. Visiblement, le jeu en vaut la chandelle. Les 25 patrons de fonds spéculatifs les mieux payés se sont partagés en 2015 un peu moins de 13 milliards de dollars, selon le site Institutional Investor.
Pour cette poignée de contribuables, la remise en question de leur avantage fiscal est un sujet sensible. Le site d’investigation Capital & Main racontait récemment une scène qui en dit long. Leo Hindery, fondateur du fonds de « private equity » InterMedia, qui devait participer en 2007 à une audition devant le Congrès sur le sujet, fut appelé la veille par Stephen Schwarzman. « Vous êtes un traître ! » lui avait dit le cofondateur de Blackstone, le plus gros fonds américain de « private equity ». « Si vous changez mon taux d’imposition, je ne ferai tout simplement plus ce travail », avait-il ajouté. Hindery lui avait rétorqué : « Vous ne pèserez plus que 4 milliards de dollars au lieu de 6. Je pense que ça va aller. »
Les hedge funds au cœur du pouvoir
En 2010, l’idée qu’on puisse toucher à cette niche fiscale avait poussé Schwarzman à un dérapage pas très contrôlé : « C’est la guerre. C’est comme quand Hitler a envahi la Pologne en 1939 », avait-il lâché lors d’une conférence avant de s’excuser platement.
Alors, le lobbying de Wall Street a-t-il une nouvelle fois remporté la partie ? Un indice peut mettre sur la voie : le secteur des hedge funds est aujourd’hui au cœur du pouvoir. Ainsi, le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a dirigé un fonds spéculatif après avoir quitté Goldman Sachs. Stephen Schwarzman est conseiller à la Maison Blanche. John Paulson, qui avait gagné plus de 3,7 milliards de dollars grâce à la crise des subprimes, était le conseiller économique de M. Trump pendant la campagne électorale. Enfin Wilbur Ross, le Secrétaire au commerce, a fait fortune grâce à son fonds de « private equity ». Tout cela sans compter les 5 milliards de dollars versés par différents hedge funds pour financer la campagne de M. Trump. De quoi inspirer un nouveau dicton : « Fiscalité bien ordonnée commence par soi-même. »
Mais si le projet de réforme fiscale ne parle pas de supprimer cette niche, c’est peut-être parce que celle-ci est promise de facto à la disparition. Le projet évoque ainsi la possibilité que les fonds spéculatifs soient traités comme les entreprises classiques, c’est-à-dire désormais soumis à un taux d’impôt de 15 %. Si tel est le cas, Wall Street peut se frotter les mains et clamer d’une seule voix : le carried interest est mort, vive le carried interest.
L’appel d’Edgar Morin : Changeons de voie, changeons de vie
16 septembre 2016
Nous sommes innombrables mais dispersés, à supporter de plus en plus difficilement l’hégémonie du profit, de l’argent, du calcul (statistiques, croissance, PIB, sondages) qui ignorent nos vrais besoins ainsi que nos légitimes aspirations à une vie à la fois autonome et communautaire.
Nous sommes innombrables mais séparés et compartimentés à souhaiter que la trinité Liberté Égalité Fraternité devienne notre norme de vie personnelle et sociale et non le masque à la croissance des servitudes, des inégalités, des égoïsmes.
Certes, il existe de très nombreux oasis de vie aimante, familiale, fraternelle, amicale, solidaire, ludique qui témoignent de la résistance du vouloir bien vivre ; la civilisation de l’intérêt et du calcul ne pourra jamais les résorber. Mais ces oasis sont encore trop dispersés et se connaissent encore trop peu les uns les autres.
Ils se développent pourtant et leur conjonction ébauche le visage d’une autre civilisation possible.
La conscience écologique, née de la science du même nom, nous indique non seulement la nécessité de développer les sources d’énergie propres et d’éliminer progressivement les autres y compris le si dangereux nucléaire, mais aussi de vouer une part plus importante de l’économie à la salubrité des villes polluées et à la salubrité de l’agriculture, donc à faire régresser agriculture et élevage industrialisés de plus en plus malsains, au profit de l’agriculture fermière et de l’agro-écologie.
Une formidable relance de l’économie faite dans ce sens, stimulée par les développements de l’économie sociale et solidaire, permettrait une très importante résorption du chômage comme une importante réduction de la précarité du travail.
Une réforme des conditions du travail serait nécessaire au nom même de cette rentabilité qui aujourd’hui produit mécanisation des comportements, voire robotisation, burn out, chômage qui donc diminuent en fait la rentabilité promue. En fait la rentabilité peut être obtenue, non par la robotisation des comportements mais par le plein emploi de la personnalité et de la responsabilité des salariés. La réforme des États peut être obtenue, non par réduction ou augmentation des effectifs, mais par débureaucratisation, c’est à dire communications entre les compartimentés, initiatives et rétroactions constantes entre les niveaux de direction et ceux d’exécution.
La réforme de la consommation serait capitale. Elle permettrait une sélection éclairée des produits selon leurs vertus réelles et non les vertus imaginaires des publicités (notamment pour la beauté, l’hygiène, la séduction, le standing), ce qui opérerait la régression des intoxications consuméristes (dont l’intoxication automobile). Le goût, la saveur, l’esthétique guideraient la consommation, laquelle en se développant ferait régresser l’agriculture industrialisée, la consommation insipide et malsaine, et par là, la domination du profit.
Le développement des circuits courts, notamment pour l’alimentation, via marchés, Amaps, Interne, favorisera nos santés en même temps que la régression de l’hégémonie des grandes surfaces, de la conserve non artisanale, du surgelé.
Par ailleurs, la standardisation industrielle a créé en réaction un besoin d’artisanat. La résistance aux produits à obsolescence programmée (automobiles, réfrigérateurs, ordinateurs, téléphones portables, bas, chaussettes, etc.) favoriserait un néo-artisanat. Parallèlement l’encouragement aux commerces de proximité humaniserait considérablement nos villes. Tout cela provoquerait du même coup une régression de cette formidable force techno-économique qui pousse à l’anonymat, à l’absence de relations cordiales avec autrui, souvent dans un même immeuble.
Ainsi les consommateurs, c’est à dire l’ensemble des citoyens, ont acquis un pouvoir qui faute de reliance collective, leur est invisible, mais qui pourrait une fois éclairé et éclairant déterminer une nouvelle orientation non seulement de l’économie (industrie, agriculture, distribution) mais de nos vies de plus en plus conviviales.
Une nouvelle civilisation tendrait à restaurer des solidarités locales ou instaurer de nouvelles solidarités (comme la création de maisons de la solidarité dans les petites villes et les quartiers de grande ville). Elle stimulerait la convivialité, besoin humain premier qu’inhibe la vie rationalisée, chronométrée, vouée à l’efficacité. Nous pouvons retrouver de façon nouvelle les vertus du bien vivre par les voies d’une réforme existentielle.
Nous devons reconquérir un temps à nos rythmes propres, n’obéissant plus que partiellement à la pression chronométrique. Nous pourrons alterner les périodes de vitesse (qui ont des vertus enivrantes) et les périodes de lenteur (qui ont des vertus sérénisantes). La multiplication actuelle des Festivités et festivals nous indique clairement nos aspirations à une vie poétisée par la fête et par la communion dans les arts, théâtre, cinéma, danse. Les maisons de la culture devront trouver une vie nouvelle.
Nos besoins personnels ne sont pas seulement concrètement liés à notre sphère de vie. Par les informations de presse, radio, télévision nous tenons, parfois inconsciemment, à participer au monde. Ce qui devrait accéder à la conscience c’est notre appartenance à l’humanité, aujourd’hui interdépendante.
Nous croyons comme Montaigne le disait déjà au XVIe siècle que « tout homme est mon compatriote » et que l’humanisme se déploie comme respect de tout être humain. Nos patries dans leur singularité font partie de la communauté humaine. Nos individualités dans leur singularité font partie de la communauté humaine. Les problèmes et périls vitaux apportés par la mondialisation lient désormais tous les êtres humains dans une communauté de destin. Nous devons reconnaître notre matrie terrienne (qui a fait de nous de enfants de la terre) notre patrie terrestre (qui intègre nos diverses patries) notre citoyenneté terrienne (qui reconnaît notre responsabilité dans le destin terrestre). Chacun d’entre nous est un moment, une particule dans une gigantesque et incroyable aventure,issue d’homo sapiens-demens, notre semblable dès la préhistoire, et qui s’est poursuivie dans la naissance, la grandeur, la chute des empires et civilisations et qui est emportée dans un devenir où tout ce qui semblait impossible est devenu possible dans le pire comme dans le meilleur. Aussi un humanisme approfondi et régénéré est il nécessaire à notre volonté de ré-humaniser et régénérer nos pays, nos continents, notre planète.
La mondialisation avec ses chances et surtout ses périls a créé une communauté de destin pour tous les humains. Nous devons tous affronter la dégradation écologique, la multiplication des armes de destruction massive, l’hégémonie de la finance sur nos États et nos destins, la montée des fanatismes aveugles.
Paradoxalement c’est au moment où l’on devrait prendre conscience solidairement de la communauté de destin de tous les terriens que sous l’effet de la crise planétaire et des angoisses qu’elle suscite, partout on se réfugie dans les particularismes ethniques, nationaux, religieux.
Nous appelons chacun à la prise de conscience nécessaire et aspirons à sa généralisation pour que soient traités les grands problèmes qui sont à l’échelle de la planète.
Que tous ceux qui se reconnaissent dans ce texte lui apportent leur approbation.
À propos du revenu social
Normand Charbonneau, Info-dignité 2017
J’ai pris connaissance de l’Argumentaire sur le Revenu social universel garanti (RSUG). Il y a beaucoup de sujets dans ce document. Pour ma part, je vais me concentrer sur les besoins naturels d’un être humain.
Dans notre mode de vie moderne nord-américain, c’est rendu de plus en plus complexe de vivre en société. Pour moi, les personnes ont des besoins naturels de manger, dormir, se vêtir, d’un habitat, savoir lire, savoir compter, savoir parler, savoir se nourrir, savoir se respecter les uns les autres, savoir vivre en société, besoin de communiquer, besoin de bouger, besoin de se réaliser, besoin de transport, besoin de politesse, besoin d’argent. Savoir se défendre, etc.
Avant le 20ème siècle, le travail et les revenus étaient dans les fermes agricoles et les petits magasins. Après la 2ème guerre mondiale, le travail était de plus en plus mécanique et dans les grandes entreprises. Aujourd’hui et dans un futur rapproché, l’informatique et la robotisation des emplois, et ça va venir très vite. Nous sommes dans un monde du savoir, nous travaillons de plus en plus avec notre tête ou notre cerveau ce qui fait qu’il y a moins d’emplois pour les personnes qui sont plus manuelles ou qui ne sont pas capables de faire de longues études.
Un revenu social pourrait sécuriser les personnes, les familles qui n’ont pas de travail ou qui ont un petit emploi, combattre les préjugés de toutes formes. Un revenu social pourrait permettre d’aller aux études plus longtemps et de faire de la formation continue pour les personnes qui vieillissent.
Pour avoir un revenu social, il faudrait que tous les pays du monde participent à ce nouveau monde de la 4ème révolution industrielle. Si des pays ne participent pas à ce projet, cela va créer un déséquilibre. Parce qu’il y a des pays ayant diverses opinions politiques, richesse, religion et culture.
Pour moi, au Québec, il faudrait commencer par éliminer les catégories à l’aide sociale, faire un projet pilote. Éliminer les deux grands programmes : programme d’aide sociale et programme de solidarité sociale. Les regrouper dans un seul programme et mettre tout le monde à 954$. Pourquoi ? Pour ne pas provoquer un grand choc dans les opinions des gens. Vous savez le mot régularisation est dans toutes les sciences. Ce mot est important pour moi. Si je change quelque chose en politique ou en économie ou autre, il faut que le changement ne soit pas trop brusque. La modération a bien meilleur goût. C’est une question d’équilibre.
Pour le revenu social, il manque actuellement de l’information à la population. Il ne faut pas convaincre les organismes de base, il faut une campagne à long terme, radio, publicité, journaux, médias sociaux, documentaire, télévision. J’ai écouté l’émission : Les coulisses du pouvoir. Il y avait une invitée, Suzanne Fortier de l’Université McGill. Elle a dit qu’il va avoir 40% de perte d’emploi dans un avenir très rapproché. Si les gouvernements ne font presque rien, il va avoir une disparité des richesses et de l’accès à la démocratie. Ce n’est pas moi qui dit cela, c’est Madame Fortier.
Le mot inclusif est très à la mode ces temps-ci ou les mots vivre ensemble. Pourquoi ne pas essayer de dire un Revenu de base inclusif ou Revenu social inclusif.
Merci et au revoir.
Notre projet de société n’est pas celui du gouvernement !
Yann Tremblay-Marcotte, Front commun des personnes assistées sociales du Québec
Texte inspiré du document : « Portrait des coupes à l’aide sociale depuis 2013 » de l’ADDS-QM.
La 44e semaine de la dignité des personnes assistées sociales du Québec est l’occasion de souligner la valeur de chaque être humain peu importe son statut et sa situation. Nous avons tous et toutes une grande valeur par les gestes que nous posons au quotidien. Pour prendre soin de nos proches, nous impliquer, faire du bénévolat, accompagner un.e ami.e : toutes des tâches invisibles et qui ne sont pas reconnues dans leur fameux PIB. Elles sont pourtant essentielles à la société ! Imaginons que tout ce travail bénévole n’existe plus ? Est-ce que la société continuerait de fonctionner ? Une étude récente estimait à 126 000$ par année le travail d’une mère !!! Ça aussi, ce n’est pas compté!
Pourtant, les gouvernements et les ministres successifs essaient de nous faire croire le contraire! Coup sur coup, ils alimentent les préjugés!
Sam Hamad disait que les personnes à l’aide sociale devaient « gagner leur dignité en travaillant ». François Blais disait que certaines personnes à laide sociale « se retrouvent dans un confort malsain ».
Avec le Projet de loi 70 et le programme Objectif emploi, ces deux ministres nous ont affirmé l’un après l’autre qu’ils voulaient « aider les gens ». Est-ce que nous devons le croire ? Comme dirait la militante de longue date, Nicole Jetté, ce ne sont pas des ministres responsables de la solidarité sociale, mais des ministres responsables de l’appauvrissement social ! Il faut nommer ce qu’ils sont !
Depuis 2013, les personnes assistées sociales ont encaissé des coups durs. Ce qu’on remarque, c’est que les critères pour être admissible se resserrent, les contraintes auprès des prestataires augmentent et les personnes assistées sociales s’appauvrissent, tandis que les gouvernements économisent sur le dos des plus pauvres!
Il est temps de penser et de passer à un autre système qui garantit réellement les droits et libertés. L’aide sociale est un droit. Nous avons droit à un revenu décent. Droit à l’autonomie. Droit à la culture. Assez de ce que nous disent les gouvernements. Il faut revendiquer, ensemble avec les mouvements sociaux, les personnes assistées sociales et leurs alliées, un Revenu social universel garanti!
Vous trouverez à la suite, notre projet de société, notre définition du Revenu social universel garanti qui n’est pas le Revenu minimum du ministre Blais qui garantit de rester pauvre !
Définition du Revenu social universel garanti
La définition du Revenu social universel garanti (Revenu social) est en constante évolution car la réflexion, commencée à la fin des années 1990, s’est poursuivie grâce à l’analyse de la conjoncture, à la rencontre de personnes en situation de pauvreté, d’exclusion et de marginalisation, à la lecture et au travail avec des universitaires… Voici à l’heure actuelle comment se définit le Revenu social au sein du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ).
Exercer sa citoyenneté, c’est se responsabiliser dans sa propre vie, dans son environnement, c’est se former, c’est s’impliquer dans l’éducation de nos enfants, c’est prendre soin de ses parents, d’une personne malade ou en perte d’autonomie, c’est s’impliquer dans le développement de la communauté, c’est faire mille et une autres choses. Vivre en société est une tâche exigeante qui demande la collaboration de toutes et de tous. Voilà pourquoi nous demandons la reconnaissance des différentes formes de contribution citoyenne par l’instauration d’un revenu social universel garanti dont les principaux paramètres sont :
Le Revenu social est une reconnaissance économique de toutes les formes de contribution sociale des citoyens et citoyennes qui composent la société québécoise et canadienne en garantissant à toutes et à tous le droit à un revenu décent et cela dans le respect de la dignité des personnes de la naissance à la mort.
Le Revenu social se veut un moyen de lutter contre la pauvreté et d’assurer une meilleure répartition de la richesse. Le Revenu social est un nouveau programme social qui viendrait remplacer toutes les mesures fiscales (Ex. Aide sociale) de soutien du revenu, y compris les allocations familiales. Le Revenu social s’ajouterait aux programmes auxquels l’individu cotise déjà (ex. RRQ, RQAP, SAAQ, CSST, assurance-emploi).
Le Revenu social est établi sur une base individuelle et non sur une base familiale. L’ensemble des membres d’une même famille doit le recevoir.
Le Revenu social assure la couverture des besoins essentiels (l’alimentation, le logement, l’entretien ménager, les soins personnels, les communications, l’habilement, l’ameublement, le transport, les loisirs).
Ce revenu doit s’accompagner de services publics universels et gratuits pour améliorer l’ensemble des conditions de vie des personnes du Québec. Tous les revenus gagnés au-delà du Revenu social seraient imposés selon une table d’imposition à taux progressif garantissant que chaque personne contribue selon ses moyens. Le Revenu social est non saisissable.
Le Revenu social est géré par le ministère du revenu.
Nous croyons que la mise en œuvre du revenu social devrait s’appliquer d’un seul coup.
Ce revenu doit être accompagné de services publics universels et gratuits dont : les soins de santé physique et psychologique comprenant l’accès aux soins (médecins, psychiatre, nutritionniste, dermatologue, physiothérapeute, ergothérapeute, diététiste), aux examens (prise de sang, résonance magnétique) et aux traitements (médicaments, suivi psychologique) et ce, gratuitement.
Dans une perspective de santé globale, l’accès aux soins dentaires, aux examens de la vue et aux lunettes devrait également être universel.
La gratuité scolaire du primaire au post-secondaire fait partie des services publics.
L’aide juridique doit être universelle et accessible au plus de gens possible.
Un appel à la théologie québécoise,
Jose Maria Vigil, Association des théologiens du Tiers monde
J’avais un grand intérêt à connaitre le Québec. Je savais que là-bas on avait vécu une expérience religieuse collective de dimension pratiquement nationale. L’ultra-catholique Québec a abandonné massivement le catholicisme, ou la religion en parlant de manière plus générique, d’une façon si intense et si rapide que cela ne s’est pas produite dans aucune autre région de la planète.
Je suis né dans la catholique Espagne, voisine de la « Fille aînée de l’Église », la catholique France, dont l’influence religieuse se remarquait au temps de mon enfance (la congrégation religieuse qui dirigeait mon collège, La Salle, provenait de l’Église de France et fonctionnait en partie avec le regard fixé sur elle.) En connaissant et étudiant à présent la tradition religieuse du Québec, je remarquais un sentiment intérieur de sympathie, une espèce d’harmonie génétique spirituelle avec les formes religieuses et spirituelles de ce peuple du Québec, différent culturellement, mais frère et même jumeau dans le dévouement à la foi catholique. Je me sentais profondément identifié avec le Québec.
Je fus cependant pris au dépourvu en constatant effectivement et affectivement ce que je savais déjà informative ment. Cette société sœur, à laquelle m’unissaient des liens et des harmonies spirituelles si profondes, formée d’hommes et de femmes dont je ne pouvais mettre en doute la bonté et les bons sentiments, me surprenait à présent avec la négation et l’oubli du catholicisme. Un gouvernement aconfessionnel, laïc, scrupuleusement laïc. Une société sans références religieuses. Un gouvernement radicalement séparé de l’Église. Une éducation non religieuse, entièrement passée aux mains des laïcs. Une immense quantité de temples – les superbes temples québécois, édifices libres, de style traditionnel, en pierre le plus souvent, avec des portiques, des tours, des rosaces, des vitraux -, sans usage religieux, reconvertis en musées, salles publiques, restaurants, grands magasins, ou station de pompiers…
J’étais dans des temples reconvertis, et je me remémorai en imagination l’image de ces édifices en ébullition religieuse de confréries, de fraternité, de célébrations, d’actes de dévotion, d’organisations caritatives, pieuses, éducatives, récréatives… Je sentis vivantes toutes ces images des photographies de l’abondante bibliothèque historique qui témoigne de la vie religieuse de cette puissante société catholique de la première moitié du 20ème siècle. J’ai été dans un collège où l’on m’assura que les garçons et les filles qui le fréquentent aujourd’hui restent muets quand on leur demande qui est cette figure de Marie couronnée par Pie XII en consacrant au monde son Cœur Immaculé (et quand on leur explique ils répondent : « la vierge ? quelle vierge ? vierge ? Et pourquoi vierge ? ».) La Notre Dame omniprésente dans la toponymie de tout le Québec est déjà une inconnue pour les enfants et adolescents québécois de leurs collèges, incapables de reconnaître même son icône. J’ai connu des religieux(ses) du Québec, membres d’une vie religieuse très forte il y a 50 ans, qui « exportait » des missionnaires sous toutes les latitudes du monde, qui avaient des « provinces » de plus d’un millier de religieux(ses)… et qui aujourd’hui sont moins de 200, maintenant devenus vieillards, malades et sans relève en vue. J’ai été dans la Maison Mère des Religieuses de la Providence, autrefois haut lieu de services sociaux et religieux pour la cité de Montréal, qui aujourd’hui regroupe des communautés religieuses de différents instituts, cohabitant toutes dans un même édifice de 15 pièces pour mieux faire face aux frais des soins de santé gériatrique.
Je ne pouvais cesser de demander à des Québécois natifs qui passaient à ma portée: que s’est-il passé au Québec? Qu’est devenue la Révolution Tranquille (RT) ? Comment les Québécois ont-ils vécu cet abandon du christianisme ? Est-ce que ce fut réellement un « abandon »? Est-ce qu’ils ne se sentent plus chrétiens maintenant ? Je voulais savoir l’explication, les raisons, le vécu qu’avait expérimenté cette société quand elle décida de s’auto-transformer de façon si radicale. Un mélange de curiosité passionnée, de sympathie profonde, d’intérêt propre, un pressentiment de coïncidence… se pressaient dans mes questions.
Pendant les jours que j’avais à ma disposition, je me convertis en lecteur assidu – de jusqu’à huit heures par jour -, de la Grande Bibliothèque et de la bibliothèque de l’Université McGill. Je cherchais sur ces innombrables étagères tout livre ou document qui parlerait de la RT. Je cherchai surtout la position des théologiens canadiens, et québécois en particulier. Ce fut une surprise terrible, – incrédulité, déception -, de ne pas trouver de réponse des théologiens à mes questions. Il n’existe pratiquement pas de bibliographie sur la RT à partir de l’aspect religieux. La RT est considérée avant tout comme un phénomène culturel et politique, historique et sociologique : l’évolution d’une société qui prend conscience d’elle-même, de sa dépendance radicale à la religion et à l’Église, et qui décide tranquillement de se transformer, de se doter d’un nouveau contrat social : séculier, démocratique, laïc, pluriel… Tout ce processus est très bien documenté et étudié. Mais il semblerait que rien de religieux n’est survenu durant cette période historique. Aucun théologien(ne) québécois ni canadien ne semble avoir étudié de manière remarquable, individuellement ou dans une initiative collective (congrès, projet théologique) la dimension religieuse de la RT, sa signification, pour le Québec, pour l’Église Catholique et pour le monde.
Qu’ont vécu ces millions de croyants québécois qui auparavant accouraient avec ferveur aux temples, et les ont aujourd’hui abandonnés et reconvertis?, qui auparavant remettaient leurs enfants dès la plus tendre enfance aux mains de l’Église, et qui aujourd’hui les éduquent dans des collèges laïcs, en les maintenant à l’écart des traditions catholiques ?… Qu’ont vécu toutes ces personnes à l’intérieur de leur cœur, là où ils vivaient toujours la foi ? Et que ressentent-ils, que disent-ils aujourd’hui d’eux-mêmes, de leur foi, de leur ancienne conscience de « faire Église »? Est-il sûr qu’ils ne ressentent rien de cela ?
Je me pose des questions sur la signification théologique et religieuse de ce qui a peut-être été la transformation religieuse la plus radicale et la plus massive d’une société des temps historiques connus, l’abandon d’une religion par une partie d’une société d’une manière massive, accablante… et tranquille, c’est-à-dire sereine, consciente, convaincue, sans hésitations. Des phénomènes semblables, bien que mineurs, se sont produits dans des sociétés européennes, mais l’expérience religieuse québécoise de la Révolution Tranquille détone par son caractère limpide, frappant, et pour moi, emblématique. Cela me semble un véritable « lieu théologique ». Personne ne veut-il l’étudier ?
La hiérarchie ecclésiastique… ne sait pas, ne répond pas. Elle ne dit rien. Après la RT, simplement elle s’est repliée sur ce qui est ecclésiastique, elle a abandonné ces attitudes de contrôle social qui l’ont caractérisée de manière séculaire. Les évêques et les prêtres savent qu’ils ne peuvent plus penser à exercer un leadership social institutionnel. Il n’est plus possible de passer dans les foyers pour recueillir la dîme et contrôler/animer la formation de familles nombreuses, étant donné que l’éducation a été entièrement retirée des mains de l’Église. Il savent qu’ils ne disposent plus de cette forte base sociale traditionnelle des paroisses et des temples… Mais ils n’ont pas abordé ou ne veulent pas aborder l’élaboration d’une réponse au plus grand phénomène de transformation religieuse vécu dans toute l’histoire par le peuple du Québec. Simplement ils regardent ailleurs. Ils ne veulent pas savoir. On perçoit que la hiérarchie ecclésiastique québécoise pense plus ou moins ceci : » Peut-être qu’il ne s’est rien passé, peut-être qu’un jour ceux qui se sont éloignés reviendront; en attendant, nous pouvons continuer à les attendre, en menant dans nos temples notre vie chrétienne de toujours. C’est comme si rien n’avait changé : nous pouvons continuer de cheminer sur les mêmes voies de vie chrétienne sur lesquelles discourait le christianisme du Québec qui a fini par disparaître pratiquement; il n’y avait dans cette vie chrétienne aucune erreur; l’erreur a été de la part de ceux qui nous ont abandonnés; nous, nous sommes dans la vérité et nous n’avons rien à nous reprocher… »
Les chrétiens progressistes… sont très occupés par les questions de justice et de solidarité. Le monde actuel est bien injuste et nécessite un engagement inébranlable pour la libération. Ce sont des chrétiens – catholiques et protestants – qui, ouverts à la vague de rénovation modernisante des années 60 ( le Vatican II parmi les catholiques, la conférence de Upsala et/ou le Conseil Mondial des Églises chez les protestants), ont assumé le paradigme de la libération dans les années 70 : une vision du monde critique sur l’injustice et les mécanismes internationaux d’oppression des pays riches sur le tiers monde, un système oppressif mondial dans lequel le Canada occupe une position de choix.
Les chrétiens canadiens progressistes apparaissent comme moins « religiosités », moins ecclésiastiques, mais beaucoup plus actifs et militants, centrés sur la transformation de la société canadienne et internationale par rapport au système libéral global.
Mais ? et de la débâcle de la religiosité canadienne, de l’abandon de milliers de chrétiens, des temples vides et des nouvelles générations éloignées des églises… que pensent-ils, comment interprètent-ils cela? Peut-être qu’ici ils coïncident avec la hiérarchie catholique: « Ils ne savent pas / ne répondent pas »; ce thème ne les intéresse pas. Ils ont beaucoup de choses à régler dans le monde avant de s’occuper de rêveries théologiques. Ce n’est pas parce qu’ils pensent -comme les évêques – qu’il ne s’est rien passé, et qu’un beau jour la révolution religieuse tranquille va revenir, ou bien que les québécois qui avaient abandonné la religion un jour vont revenir dans le giron ecclésial… mais cela non plus ne leur importe pas.
Ils se sont déresponsabilisés, ce n’est pas leur problème. Leur problème n’est pas l’Église, ni la religion, ni la foi, mais la faim, la justice dans le monde, et actuellement, aussi les désastres écologiques que la société canadienne cause sur toute la planète à travers ses compagnies minières extractivistes transnationales par exemple, ou la défense de la cause indigène, et beaucoup d’autres domaines dans lesquels ils réalisent une activité bénévole, admirable et nécessaire. En définitive, les chrétiens progressistes, de fait, regardent aussi de l’autre côté, comme la hiérarchie ecclésiastique : ils n’ont pas un mot pour la terrible métamorphose religieuse que leur société a expérimentée avec la RT. Mais, et la théologie, la théologie québécoise, ou la théologie du Canada ? Je me réfère à la théologie au sens large, incluant les chrétiens laïcs réfléchissant, les communautés chrétiennes conscientes, les religieux(ses) et agents de pastorale prophétiques… Eh bien, sans que j’aie pu faire un examen exhaustif de la production théologique, par ce que l’on voit – et surtout ce que l’on ne voit pas -, par les absences, on peut dire que la théologie québécoise ne se rend pas non plus compte de ce qui a été vécu, ni ne donne une espérance qui réponde à la débâcle supportée.
C’est à peine si on a étudié ce qui s’est passé durant la RT dans la dimension religieuse profonde, dans la conscience religieuse sociale, dans la conscience des chrétiens qui ont abandonné, les motifs pour lesquels ils ont rejeté la tradition chrétienne, le vécu de la conscience de ces millions d’ex-chrétiens de fait, de ceux dont nous ne savons actuellement comment ils se sentent, et à ceux auxquels personne ne demande ni ne donne la parole. Tout se passe comme si ici une ère géologique avait pris fin, ou comme si une glaciation était survenue, et cela n’aurait pas de sens de poser des questions sur une évidence qu’il serait tabou de questionner.
La théologie semblerait aussi avoir les yeux fermés, ne pas vouloir regarder, regardant ailleurs, de l’autre côté, – le social, où les réponses et les pratiques sociales requises semblent être plus ou moins claires-. Je ne connais pas d’initiatives ou d’institutions québécoises, mais si elles existent, elles seraient les principales responsables de cette « absence » théologique, de cette supposée démission des théologiens(nes). Après elles, ce serait les agences internationales, comme Développement et Paix, et des organismes comme Kairos, qui ont tant d’incidence et exercent tant de pouvoir dans l’orientation d’autres théologies.
Je me demande, et je demande publiquement si, avant qu’il ne soit trop tard, le Québec va cesser de regarder ailleurs et va tourner son regard vers lui-même, vers ce formidable phénomène de transformation religieuse aux dimensions inédites, d’époque, dans l’histoire religieuse du christianisme ; et va reconnaître avec honnêteté leur importance, sans se taire avec résignation face à la « déchristianisation » de toute une société.
Il y a d’autres personnes – très peu, c’est vrai – qui sans négliger les urgences libératrices de lutte contre l’oppression et l’injustice, se demandent ce qui s’est passé, et pourquoi, et qu’est-ce qui vient ensuite, sans attendre, assis, que la situation revienne peut-être en arrière. En Amérique Latine nous sommes beaucoup de théologiens qui nous demandons si ce qui s’est passé au Québec et en Europe surviendra aussi en Amérique Latine ? Certains soutiennent qu’en fait, c’est déjà commencé en train de se produire. Un mot de la théologie québécoise pourrait nous illuminer. Certaines analyses théologiques interprètent que la débâcle religieuse de ces sociétés qui étaient si profondément et sincèrement chrétiennes, ne sont pas dues à la mauvaise volonté de personne, ni à l’infidélité des chrétiens, comme les hiérarques ecclésiastiques ont l’habitude de penser avec une interprétation culpabilisante; ces groupes théologiques interprètent plutôt que ce phénomène massif et irrépressible de métamorphose religieuse et culturelle et d’époque, répond à une transformation évolutive de l’humanité, et qu’elle finira par la concerner en totalité tôt ou tard.
Tout se passe comme si nous étions dans un nouveau temps axial, comme celui que nous connaissons déjà, qui produisit cette transformation de conscience religieuse de celle qu’en réalité nous vivions dans l’actualité. Le Titanic continue de sombrer, sans être vu mais rapidement, et tout indique que s’ouvre la nouvelle étape d’une religiosité ( ou post-religiosité, ou religiosité post-religion, peu importe le nom), si différente, que beaucoup la confondront avec l’athéisme ou l’absence de religion.
En désordre, les bateaux de sauvetage du Titanic se lancent sur la mer, parce que l’aventure de la vie continue. Cela peut être caritatif de demeurer sur la poupe en accompagnant l’orchestre qui console ceux qui ne se sentent pas assez de forces pour s’embarquer de nouveau. Mais il n’est pas juste de disqualifier et d’abandonner ceux qui se sont vus obligés d’abandonner le bateau, et de chercher une nouvelle orientation dans leur vie, un nouveau sens humain et religieux, et une nouvelle spiritualité.
La théologie au moins est dans l’obligation de prendre le taureau par les cornes, et d’affronter les questions que la société et les Églises québécoises n’ont pas affrontées : comment comprendre ce qui est arrivé à la religiosité chrétienne dans la débâcle religieuse enregistrée durant la Révolution Tranquille ? Qu’est-ce qui a failli ? Le christianisme est-il fini dans le nouveau Québec ? Que reste-t-il du christianisme chez les « ex-chrétiens » qui durent abandonner l’Église pendant la crise de la Révolution Tranquille ? Où s’en va le chemin de la foi chrétienne après le naufrage du Titanic de la société québécoise chrétienne ? Que pouvons-nous dire à tous ces « anciens » chrétiens ? Une théologie peut-elle se contenter des perspectives libératrices et de justice (la seconde Illustration en fin de compte) négligeant les perspectives « postmodernes » (appelons-les ainsi) pour leur notoire difficulté d’affrontement ?
Je veux croire que la théologie québécoise, aidée par les autres forces ecclésiales et sociales coresponsables déjà citées, assumeront ce défi encore en attente. Très sincèrement je fais cet appel que j’ai ressenti moi aussi de tout mon cœur.
José María VIGIL
https://eatwot.academia.edu/JoséMaríaVIGIL