Ça roule au CAPMO, janvier-février 2021

L’Histoire ne s’arrête pas

Par Yves Carrier

Malgré les efforts des forces réactionnaires à travers le monde, l’Histoire poursuit sa course inexorable et refuse toute stagnation ou retour en arrière. Si des usurpateurs arrivent à gouverner le monde à l’aide d’idéologie mensongère et meurtrière comme le néolibéralisme et le racisme, le poids de la réalité finit toujours par anéantir leurs projets rétrogrades de rétablissement du colonialisme, du patriarcat et de l’esclavage. Pour un temps, la violence, la force, le mensonge et le cortège de morts qu’ils engendrent, peuvent ralentir l’évolution de l’humanité, mais celle-ci poursuit sa marche vers l’autonomie et la justice.

Souvent les idées de conquête et de domination révèlent davantage la mégalomanie des hommes que le progrès véritable. Ainsi, les grandes pyramides et les temples grandioses des civilisations disparues, tout comme les gratte-ciels aux prétentions illusoires, n’illustrent que la démesure des ambitions d’une élite aveuglée par sa propre puissance. « Si c’est faisable, faisons-le », semble être leur devise, sans égard aux conséquences qu’entraînent leurs actions sur autrui.

Toutefois, dans la médiocrité qu’engendre un tel statut, j’aperçois un motif de réjouissance. De la dureté du cœur et d’un raisonnement faussé par la poursuite de ses seuls intérêts, ne jaillit point le bien commun comme le croyait Adam Smith, mais le désordre et le chaos. Ne voyez-vous par Néron jouant du violon sur la mégalopole qui brûle. Certes, conspiration il y a dans cette course à la bêtise et à la destruction finale, mais point de lumière pouvant nous éclairer un tant soit peu.

À l’inverse, la sagesse émanant des expériences de production collective présentées lors des ateliers du Forum social mondial virtuel, indique la voie à suivre. La souveraineté alimentaire sur une base locale, l’autonomie des sujets délibérant librement dans la poursuite du bien commun, tous ces efforts partagés et assumés de bon cœur, produisent d’authentiques projets porteurs d’espoir et de renouveau.

 

Libération idéologique

Par delà la prise de conscience généralisée produite par la spoliation des masses et l’espoir suscité par les projets collectifs d’organisation populaire de production d’une culture nouvelle, la profondeur de la révolution dépendra d’une engagement spirituel sachant cristalliser une vision et une ambition commune. Sans engagement de la volonté et de l’amour du prochain, du détachement de soi et d’une perspective globale, nous ne pourrons pas franchir les sommets que les circonstances nous exigent. Certes, l’Histoire ne s’arrête pas, mais elle avance à petits pas. Certaines sociétés périclitent après avoir connu leur apogée tandis que d’autres, plus jeunes, entrevoient à peine, ce que l’Histoire attend d’elles. C’est aussi cela l’avenir du Québec, muter ou disparaître.

 


La souveraineté, qu’est-ce que c’est?

Par Robert Lapointe

La souveraineté peut être entendue autant du point de vue de l’individu que de celui de l’État. Entre les deux, on parlera plutôt d’autonomie et du principe de subsidiarité, dont il fut beaucoup question lors de la construction de l’Union européenne (en gros, dans les années 1985 à 1995), notamment dans les interventions de Jacques Delors, l’un des pères de l’Union.

La subsidiarité suppose qu’à chaque niveau de gouvernement correspondent un certain degré d’autonomie et un certain pouvoir décisionnel. L’autonomie est la capacité de définir ses propres normes de fonctionnement et ses propres principes de gestion. Quant à la souveraineté, les philosophes ont différentes opinions.

D’Aristote à aujourd’hui

Aristote faisait davantage confiance à la « multitude », « plus difficile à corrompre », qu’à un seul homme, qui peut devenir un tyran. Il favorisait une souveraineté populaire mais craignait la démagogie, tout comme Alexis de Tocqueville, auteur, il y a bientôt deux siècles, De la démocratie en Amérique. Platon, disciple de Socrate et maître d’Aristote, préférait les philosophes, voire une aristocratie et même un tyran comme dirigeants.

Marsile de Padoue (1275-1342) fut l’un des premiers recteurs de la Sorbonne (université de Paris). Il dut quitter Paris en raison de son attachement à la pensée d’Aristote. Dans Defensor pacis (Le Défenseur de la paix), rédigé entre 1318 et 1324 avec l’aide du philosophe Jean de Jandun, il expose trois types d’approche, qu’il appelle « prudences » : celle des dirigeants, qui ont trop souvent tendance à privilégier leurs propres intérêts; celle du peuple, qui subit les problèmes et est intéressé à les résoudre; la prudence historique enfin, qui consiste à apprendre de l’histoire pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Marsile associait la souveraineté avec le peuple.

Pour Jean Bodin (1530-1596), la souveraineté revenait à la « puissance absolue et perpétuelle d’une République ». L’État est intemporel et le pouvoir du souverain est sans limite, si ce n’est celle que Dieu impose.

Selon Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), chaque citoyen est dépositaire « d’une fraction inaltérable de la souveraineté » de l’État. Si l’État est indigne, le peuple, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens, est souverain et peut le révoquer.

« Sur lui-même, sur son propre corps et son propre esprit, l’individu est souverain », proclamait John Stuart Mill (1806-1873). Partisan du libéralisme politique, Mills s’élevait contre la dictature de la multitude. La société ne peut contraindre l’individu sauf s’il est nuisible à autrui. Mill met en lumière la contradiction entre société et individu, un problème non encore résolu de nos jours, que les travaux d’Axel Honneth, philosophe allemand contemporain, sur le thème de la reconnaissance de l’État à l’égard du citoyen, pourraient cependant aider à résoudre.

Le concept de « biopouvoir » élaboré par Michel Foucault (1926-1984) peut nous aider à comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Jadis, la souveraineté de l’État consistait en un droit de vie ou de mort sur les individus (c’est encore le cas dans beaucoup de pays). Avec le progrès des sciences sanitaires s’instaure un biopouvoir : en d’autres termes, un exercice du pouvoir sur la vie des individus et des populations, et les épidémies et pandémies (comme celle de la COVID-19) permettent à l’État d’accroître son pouvoir. L’État devient une providence (« État-providence »), et si l’État est une providence, c’est que l’État est Dieu.

Il ne faudrait pas oublier Hegel (1770-1831) et Marx (1818-1883). Pour le premier, l’État accomplit l’histoire. L’État s’inscrit dans le sens de l’histoire. Pour Marx, l’histoire dépend de la lutte des classes et, accessoirement, du progrès scientifique, mais avec la même idée de souveraineté absolue, réservée au peuple cette fois. C’est là le drame : ni la souveraineté de l’État ni celle du peuple ne sont des religions qui s’excluent radicalement. Il y a des compromis à faire, des savoirs et surtout de la sagesse et de la compassion à acquérir si nous voulons survivre comme humanité.

Le principe SAM

Jean Paul Asselin, l’un des fondateurs du CAPMO, m’a présenté le principe SAM : Souveraineté de la personne, Autonomie des groupes, Maîtrise du destin national. Que voilà un bon programme à réaliser. Il tient compte des divers niveaux de conscience définis dans les Upanishad, à condition d’accepter la transcendance spirituelle, laquelle permet d’articuler les niveaux personnel (l’individu), collectif (groupes, classes sociales, nations…) et universel (l’humanité, la nature, l’écologie).

La pression économique alliée à celle des citoyens est un moyen efficace pour obliger l’État à faire preuve de bienveillance à l’égard de sa population. La pandémie actuelle y est pour beaucoup.

(Ce texte est, en partie, un résumé d’une chronique de Joseph Thomas, « Souveraineté », Philosophie magazine, no 142, septembre 2020, p. 79.)


Brèves : Salaire universel

Par Robert Lapointe

« Dans notre Union, la dignité du travail doit être sacrée. Mais la vérité est que, pour trop de personnes, le travail ne paie plus. Le dumping salarial détruit la dignité du travail, pénalise l’entrepreneur qui paie des salaires décents, et fausse la concurrence loyale sur le marché unique. Chacun doit avoir accès à un salaire minimum, que ce soit au titre d’une convention collective ou d’un salaire minimum légal. »

Dans un article publié le 4 novembre dernier dans Charlie Hebdo (« La Commission européenne vire gauchiste », p. 7), le journaliste Jacques Littauer s’étonnait de cette déclaration d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, faite au Parlement européen le 16 septembre. Cette politicienne allemande de droite a été titulaire de divers ministères au niveau fédéral (Famille, Personnes âgées, Femme et Jeunesse; Travail; Défense) avant d’être élue à la tête de la Commission européenne en 2019. Elle a eu à résoudre des problèmes bien concrets, et peut-être aussi que la pandémie de COVID-19 a fait évoluer sa mentalité.

Quoi qu’il en soit, les programmes gouvernementaux instaurés pour les personnes et les entreprises que la pandémie a privé de revenus rendent plausible l’idée d’un salaire universel. Reste à en définir les modalités. En tout cas, la déclaration d’Ursula von der Leyen n’a pas dû déplaire à notre ami Bernard Friot, économiste et militant au Parti communiste français, qui plaide depuis longtemps pour un « salaire à vie » à partir de l’âge de 18 ans. Friot détaille son approche dans Un désir de communisme, un livre tout récent écrit avec Judith Bernard (Paris, Textuel, coll. « Conversations pour demain », 2020, 160 p.).


L’enfant dépossédé

Par Ilarie Voronca

« En mémoire de Raphaël André … mort dans les toilettes chimiques de son refuge, fermé en soirée à la demande de la Santé publique … »

L’enfant dépossédé erre nu et seul dans la rue.

Ce n’est plus un enfant maintenant. Il ne se rappelle plus

ce qu’il est venu faire dans ce quartier de la ville qui lui semble

soudain inconnu sous la lumière rouge de la lune.

Perdu entre des millions d’hommes

Leur ressemblant de plus en plus jusqu’à ne plus me reconnaître

Pouvant aussi bien vivre leur destinée qu’eux pourraient vivre la mienne

Avec la faim, le froid inscrits sur le visage

Et quelquefois l’extase hébétée d’un désir satisfait

Ce n’est pas moi qui ai su faire un outil de mon corps

Pour dresser dans la mémoire du monde ma statue

Une montagne, une mer ont suffi pour remplir mes poches

Dans les villes mon ombre a fui craintive dans les égouts

Et quand les promeneurs disaient avec respect :

Cette bâtisse est à un tel et ce carrosse

Est à un tel et ce jardin et cette vallée sont à un tel

Ce n’est pas mon nom que prononçaient leurs lèvres.

Mais moi qui n’ai jamais rien eu

Comment pourrait-on se souvenir de moi ?

Car pour s’en souvenir il faut palper, voir ou entendre.

Et que pourrait-on voir, entendre ou palper

Sur quelqu’un qui n’a que son regard

Comme une feuille de nénuphar sur l’eau de son âme paisible.

Il y en a certes qui font des actions méritoires

Des capitaines qui conduisent des hommes au combat

Et si un seul parmi ceux-ci échappe à la mort

Il porte témoignage pour la vaillance du chef.

Il y en a qui demandent des sacrifices aux foules

“Que chacun, disent-ils, fasse son devoir

Et qu’il se contente d’un salaire minime”

Ceux-là on les nomme bâtisseurs d’avenir.

Leur pouvoir est grandi non seulement des bêtes, des machines et des pierres

Mais des hommes aussi qui font partie de leur avoir.

Pour avoir une identité, il ne suffit pas

De posséder deux bras, deux jambes, deux yeux, un nez, une bouche.

Il faut que quelque chose qui est en dehors de vous, vous appartienne

Une terre, une maison, une forêt, une usine

Ne serait-ce qu’une petite échoppe de cordonnier.

Une écurie de courses, ce serait parfait, mais il ne faut pas viser trop haut

Un troupeau de brebis ou même quelques volailles

Feraient très bien l’affaire.

Car l’homme avec ses angoisses et ses soifs d’infini est si peu de choses

Que pour qu’il puisse susciter l’estime

Il doit s’adjoindre quelque bête ou quelque pierre inerte,

S’entourer de l’autorité d’une grange ou d’une carrière de sable

Alors ceux qui le croisent voient autour de lui

Les murs de sa demeure, le souffle de ses buffles

Alors sa figure s’augmente de tout ce qu’il possède

Et les hommes s’en souviennent.

Mais moi pour la gloire de qui

Ni bêtes, ni gens n’ont travaillé

Je suis passé sans laisser de traces

Nulle empreinte ne ressemble à celle de mon pas.

Mes initiales ne sont gravées ni sur l’écorce des arbres

Ni sur les croupes du bétail.

Ah ! j’ai peut-être été entraîné dans ce passage terrestre

Comme un qui se trouve involontairement mêlé

À quelque histoire honteuse

Il valait mieux que je fusse méconnu

Que personne ne puisse dire :

“Il était comme cela !”

Non rien de particulier dans le visage

Je n’ai été ni champion de force ni chanteur, ni meneur d’hommes

Quelle chance d’être passé inaperçu

Et quand les juges chercheront les noms

Ils ne trouveront le mien ni dans les cadastres des mairies

Ni parmi les titulaires de chèques, ni parmi les porteurs de titres

Non, pas même sur une croix ou sur un morceau de pierre

Quelque part se mêlant aux blancheurs d’un ciel bas

Mes os seront pareils aux herbes arrachées.

Ilarie Voronca est un Roumain exilé mort à Paris en 1946.

Texte rapporté par Joanne Laperrière.


Sur les chapeaux de roue… nouvelles du TRAAQ

« I have a dream »

Par Emilie Frémont-Cloutier

Le 18 janvier était la journée consacrée au grand Martin Luther King Jr. et à son héritage, et je suis touchée que cette date ait coïncidé avec ma dernière journée de travail au CAPMO, puisque je pars en congé de maternité pour un certain temps.

Je vis ce départ temporaire avec un sentiment de fierté pour le travail que nous avons accompli ensemble.

Nous avions un rêve : celui que les personnes à faible revenu aient une voix (et une voie!) à Québec pour s’exprimer sur les inégalités vécues au quotidien dans leur accès au transport en commun. Nous sommes partis de rien, mais nous y avons cru. Et nous avons accompli beaucoup : par exemple, la réalisation d’une enquête conscientisante qui a rejoint plus de 250 personnes et la mise sur pied du Collectif pour un transport abordable et accessible à Québec (TRAAQ).

Grâce à son action, le TRAAQ est désormais reconnu tant par les acteurs de la mobilité que par le milieu communautaire aux niveaux régional, interrégional et national. Nous n’avons certes pas encore obtenu une tarification sociale du transport en commun pour Québec, mais grâce à notre travail acharné, la question de la cherté du transport en commun et ses conséquences pour les personnes à faible revenu ne peut plus être ignorée, comme elle l’a été, des instances politiques et de la population en général.

Je tiens à remercier les membres du comité de suivi (Monique, Éric, Ghislain, Renaud, Stuart, Johanne, Nicole et Laurence) pour leur engagement, ainsi que les autres personnes (Normand, Ronald et Robert) qui y ont participé. Je veux également remercier le conseil d’administration du CAPMO ainsi que Yves et Mario pour leur soutien, et souhaite la bienvenue à Catherine, qui prend la relève au TRAAQ.

Le mieux que je peux souhaiter au Collectif TRAAQ, c’est de continuer de croire à ses rêves avec détermination.

À l’instar de Martin Luther King, poursuivons notre rêve d’un monde plus juste, d’un monde plus ouvert.

Parce que la mobilité est un droit!

Site internet: traaq.org

transportscapmo@gmail.com

Facebook : traaq


Le Forum social mondial, 2001-2021

par Mario Gil Guzman

« Un autre monde est possible! »

C’est la consigne qui a marqué la naissance et le déroulement du Forum social mondial, FSM, pendant ses 20 premières années.

Même si on peut déplorer l’accroissement de la richesse chez un petit nombre d’individus, les luttes contre l’hégémonie du marché néolibéral et les alternatives sociales et coopératives, se sont multipliées par milliers. Depuis 2001, des expériences d’économies solidaires ont été mises sur pied, renforcées par des alternatives éducatives visant le bien commun fondé sur des valeurs ancrées dans les différentes cultures locales.

Même si nous ne pouvons pas tout attribuer au FSM, depuis son avènement, plusieurs mouvements sociaux ont changé leur manière de comprendre la lutte. Il ne s’agit plus d’appliquer une méthode systématique qui conduirait inexorablement à la conquête du pouvoir politique, mais d’entrer dans un processus de co-construction qui, au moyen d’alliances et d’apprentissages collectifs, se croisent et s’inspirent des formes d’actions innovantes comme la résistance agricole, la lutte pour le territoire et bien d’autres encore, produites par la mise en réseau des différentes expressions politiques ayant convergé sous la consigne : « Un autre monde est possible ».

Le FSM est né après plusieurs manifestations de masses contre la globalisation néolibérale. Le 1er janvier 1994, le soulèvementzapatiste se produit au Mexique puis, en 1996, ce sont les émeutes de Seattle. Toutes les grandes réunions organisées par le grand capital sont accompagnées d’une grande manifestation où assistent des centaines de milliers de personnes. Que ce soit au ForumÉconomique de Davos, lors des réunions de la Banque mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce ou bien à Québec, en 2001, lors des négociations de la Zone de libre-échange des Amériques, la ZLEA. Le FSM est apparu comme une alternative au Forum économique mondial de Davos. À l’initiative de quelques organisations comme l’association pour la taxation des transactions financières internationales et l’action social, ATTAC, le Mouvement des paysans sans terre, MST, quelques syndicats brésiliens dont la Centrale unie des travailleurs, CUT, auxquels se sont joints d’autres mouvements comme le Comité pour l’annulation des dettes odieuses CADTM, Via Campesina, Caritas, etc.

Ensuite, à travers ses différentes moutures, le FSM s’est diversifié dans ses thématiques et ses formes d’organisation. L’idée initiale était d’organiser les forums sociaux dans les pays du sud, à l’inverse des forums économiques qui avaient lieu dans les pays du nord. À ce moment, plusieurs pays ont organisé leur propre version du forum social à l’échelle locale.

Ainsi le FSM a eu lieu dans plusieurs pays et sur tous les continents : au Brésil, en Tunisie, au Sénégal, en Inde. Tous ces forums sociaux étaient accompagnées de préoccupations relatives aux enjeux locaux ou traitaient de diverses thématiques : forums continentaux, forums de l’éducation, des parlementaires, des juges, des syndicats, des jeunes, de la diversité sexuelle, de l’eau, du climat, des économies alternatives, de l’Internet, et le forum pan-amazonique en 2020.

Il s’agit toujours d’espaces d’échange d’expériences qui débouchent sur l’action collective. Certains ont même créé leurs propres espaces de rencontre.

Dès la première séance du FSM, des principes ont été établis. Il devait être un espace ouvert : « Le Forum social mondial est un espace des rencontres ouvertes pour intensifier la réflexion, mener un débat démocratique d’idées, élaborer des propositions, établir un libre échange d’expériences et articuler des actions efficaces de la part des entités et mouvements de la société civile. »

Pour garantir l’universalité du processus, un comité international composé des leaders du monde entier et des comités organisateurs, formées lors des forums par les organisations locales, a été constitué. Le FSM se définit comme un espace de rencontres et d’échanges où la participation se veut une recherche de synergies dans la diversité. Aussi, la structure décentralisée permet une plus grande participation, puisque les associations et les initiatives qui veulent participer doivent réaliser eux-mêmes l’ensemble du processus d’alliances, d’organisation, de divulgation, tout en essayant de produire des retombés.

L’espace que constitue le FSM engendre de nouvelles idées et des réseaux. C’est à partir de là que les forums thématiques se sont développés. Pour sa part, la jeunesse joue un rôle fondamental dans la logique du forum parce que ce sont eux qui explorent des nouvelles idées et des formes d’actions. Depuis la première édition, il existe un campement de la jeunesse où des performances ont lieu et des thématiques d’innovation sont abordées telles que les formes de vie altermondialistes, les pratiques agro-écologiques, la santé alternative, etc.

À travers le temps, plusieurs contradictions ont émergées, les jeunes se plaignant de la continuité des pratiques universitaires où ceux qui prononcent les grandes conférences, qui sont responsables du choix des thématiques et de l’organisation, sont les personnes de 40 ans et plus, tandis que les jeunes se retrouvent dans les taches de soutien logistique.

Cette situation persiste, mais les jeunes jouent un rôle de plus en plus important, justement parceque les thématiques de la jeunesse sont aujourd’hui centrales dans les luttes sociales comme le changement climatique, la diversité sexuelle ou la pensée décoloniale. Certains participants demandent que les forums sociaux se terminent par une déclaration commune d’action qui pourrait unir les luttes et construire des blocs d’opposition au grand capital. Toutefois, c’est justement ce qui constitue l’esprit du FSM qui se veut un espace ouvert ne donnant pas de directives à aucun mouvement. Au lieu de cela, il fournit des déclarations inspirées des discussions menées dans les assemblées des mouvements. Ce dilemme constitue encore un des grands débats à l’intérieur du FSM où sont représentés des mouvements ouvriers à l’ancienne trotskistes, léninistes, anarchistes; comme des nouveaux mouvements sociaux: autochtones, LGBTI, environnementalistes, membres des communautés noirs, etc.

L’importance du FSM ne se trouve pas dans le nombre d’activistes qui y assistent, mais dans les apprentissages qui y sont faits, qu’il s’agisse d’organisation, de droits internationaux, de négociations multilatérales, d’écologie, de politique, de philosophie, etc. Ainsi, le Forum représente une époque de changement dans le sens donné aux luttes des mouvements sociaux.

Les années 80 ont été marqués par la rupture du mouvement ouvrier avec l’ancien rêve socialiste en raison de la disparition du socialisme réel. Dans la recherche du sens, les mouvements sociaux ont adopté de plus en plus des moyens d’action tournés vers les pratiques de changement et de moins en moins vers des discours qui promettaient une victoire inaccessible. Depuis, les mouvements sociaux ont établi des pratiques moins directives, liées aux initiatives locales, concernant des enjeux comme l’éthique collective et individuelle.

Les 20 dernières années représente aussi une période de changement dans les luttes sociales, des thématiques telles que les économies solidaires ou de la bienveillance, ont pris de l’ampleur vis-à-vis un système qui nie les changements climatiques et où les pays pauvres payent encore les méfaits des pays riches. En ce sens, les luttes sociales cherchent aussi à corriger les erreurs du passé au sein des mouvements sociaux.

En Amérique latine, des gouvernements progressistes ont mise en place des politiques publiques inspirées des besoins réels de leur population. Plusieurs constitutions ont été réécrites avec la participation citoyenne de milliers de personnes et les façons d’agir de certains gouvernements avec leur peuple ont évolué. Certains ont réalisé les contradictions associées aux modèles extractives, souvent en contradiction avec les préservations des modes de vie des communautés et de la préservation des ressources.

En même temps, les luttes féministes sont devenues plus présentes dans l’espace public, aussi, elles se sont diversifiées. La logique féministe s’articule à la pensée économique, sociale, culturelle, elle est associée aux luttes communautaires de résistance et de défense du territoire. Présentement, le renforcement des luttes anti-patriarcales, dé-coloniales, et anticapitalistes, constituent des enjeux centraux pour les mouvements sociaux.

L’économiste et sociologue portugais Boaventura de Sousa Santo appelle cela la sociologie des émergences, donc des expériences sociales des possibles. Pour sa part, des auteurs comme Arturo Escobar revendiquent les logiques développées par les communautés en résistance et en auto-détermination, des univers qui défendent d’autres formes de relation avec l’environnement et la vie, la production, l’éducation et la politique. Les cosmovisions des peuples sont ainsi rendues publiques et elles deviennent importantes pour les mouvements sociaux. C’est le cas de Julieta Paredes, une femme autochtone lesbienne qui défend le féminisme communautaire. Aussi, plusieurs intellectuels du sud revendiquent le senti-pensé qui précise que la science ne peut pas être positive (au sens de dissociée), mais qu’elle demeure en lien et en empathie avec les peuples.

Cette année, le Forum social mondial a eu lieu sous une forme virtuel du 23 au 30 janvier. Nous traversons un moment difficile puisque les contradictions entre un forum pour la discussion et un forum pour l’action sont de plus en plus fortes. L’enjeu, c’est de faire du forum un lieu légitime d’échange et de convergence des luttes.


Rêver d’une nouvelle vie… sur Facebook !

par Joanne Laperrière

En période de confinement, la seule manière de voyager est de naviguer sur les eaux parfois troubles du web. Tout un panorama de festivals, de conférences, de formations, d’activités culturelles et de divertissements se déploie sous nos yeux de touristes. Au Québec, on déniche même des communautés qui proposent des modes de vie alternatifs où on peut s’arrêter le temps d’une pause sanitaire ( !…) pour faire le plein. J’en ai visité quelques-unes.

Survivre en forêt

Les groupes Facebook de survivalistes québécois s’attendent à l’effondrement imminent de la société et s’organisent pour l’an 1. Leurs membres pratiquent régulièrement des techniques de survie en forêt pour apprendre à s’abriter, à s’alimenter et à boire lorsque tous les systèmes d’approvisionnement seront anéantis. Ils militent aussi au sein de groupes Facebook spécialisés où ils peuvent trouver des conseils de fabrication, d’achat et d’utilisation d’équipements en vue de l’ « après ». Ils y apprennent à faire des réserves de nourriture et à la conserver, à purifier l’eau et à la filtrer pour la rendre potable. Enfin, les survivalistes sont des adeptes d’armes à feu et d’autres techniques de chasse qui leur paraissent indispensables pour obtenir de la viande fraîche et pour se défendre dans un monde redevenu sauvage.

Les groupes Facebook de survivalistes québécois se présentent donc comme des communautés de pratique. Ceux qui vivent déjà en forêt lancent souvent des appels à l’aide virtuels aux autres afin de trouver des solutions à leurs problèmes : affaiblissement des batteries, enneigement des panneaux solaires, gel des tuyaux d’approvisionnement en eau, lutte contre les insectes piqueurs et difficultés d’entretien et d’hygiène corporelle. Photos et commentaires à l’appui, les membres échangent entre eux leurs trucs et leurs astuces de survie.

Même si un réseau virtuel interrégional est en voie de création, les survivalistes québécois sont principalement des loups solitaires motivés exclusivement par leur propre survie et celle des membres de leur famille immédiate. Pour cette raison, ils se préoccupent peu de leur empreinte écologique ou de leur impact sur les populations déjà établies là où ils projettent de s’installer. En fait, beaucoup d’entre eux sont prêts à contourner les lois et les règles environnementales pour répondre à leurs besoins immédiats: détournement de cours d’eau, abattage d’arbres, cueillette de plantes indigènes rares, chasse sur des terres protégées, etc. D’autres ont déjà préparé leur trousse de départ dans les forêts publiques ou privées du Québec qui représenteraient les meilleures chances de survie. Si on en croit ce qui circule sur leurs groupes Facebook, la plupart des survivalistes montréalais ont choisi la Gaspésie comme future terre d’adoption.

Le luxe écologique

Les groupes Facebook d’écologistes du Québec cherchent à acquérir leur autonomie alimentaire et énergétique. Dans leur quête des moyens de consommer moins et mieux, ces groupes proposent des solutions pour faire pousser des légumes en toute saison, des habitations économes en énergie même l’hiver, des installations septiques à compost, des façons de s’approvisionner et de dynamiser l’eau potable, des manières d’éviter le gaspillage et de réduire les déchets.

Plusieurs de ces groupes présentent leurs projets écologiques de vie en communauté sur Facebook.

Les membres y échangent entre eux sur la mise en commun d’infrastructures (jardins, cuisines, ateliers, garages), d’outils et d’équipements tout en espérant devenir copropriétaires de grands espaces naturels. Le regroupement devrait leur permettre de développer éventuellement des projets commerciaux tels que des visites guidées, la location d’espaces, des ateliers de formation, la vente de produits artisanaux, des marchés de fruits et légumes biologiques, la fabrication de produits de l’érable, la vente de produits de boulangerie, etc.. Mais si on se fie aux statistiques, 90% de ces projets sont voués à l’échec parce que leurs structures légales, décisionnelles et/ou financières seront mal ficelées. De fait, les rares projets qui ont été concrétisés au Québec se comptent sur les doigts d’une seule main. Et ceux qui étaient les plus prometteurs sont retardés en raison de la pandémie.

Face aux risques et aux incertitudes des projets écologiques en communauté, des écologistes se risquent à construire leur propre mini-maison en se référant aux expériences des autres rapportées sur des groupes Facebook. Ils y parviennent au prix d’efforts considérables pour surmonter les obstacles qui se dressent devant eux dont, et non le moindre, l’acquisition d’un terrain dans une des rarissimes municipalités québécoises à autoriser les mini-maisons. D’autres se tournent vers les projets d’éco-villages initiés par des promoteurs qui achètent une terre, la font dézoner, y aménagent des sentiers pédestres dans un décor naturel enchanteur, y développent des quartiers d’habitations sous le sceau LEED et en font la promotion et la vente sur des groupes Facebook. Le prix à payer est tellement élevé pour accéder à ce type de propriété aux valeurs écologistes douteuses (des centaines de milliers de dollars même pour une mini-maison !) que ce rêve s’avère inaccessible pour la grande majorité des gens.

Une nouvelle vie?

La crise sanitaire s’accompagne d’une remise en question personnelle de notre mode de vie. Bien des personnes sont séduites à l’idée de vivre autrement et se joignent à des groupes Facebook dont elles partagent le rêve. Pourtant, ces nouvelles utopies de « fuite dans les bois » ou de « retour à la terre » se matérialisent le plus souvent par l’achat de biens et de services qui paraissent indispensables pour y parvenir.

Facebook ressemble de plus en plus à un réseau commercial. Les membres y promeuvent leurs projets domiciliaires et leurs produits, magasinent des services, comparent des appareils et se conseillent sur l’utilisation d’équipements. Ils achètent en ligne et se font livrer par Amazone et d’autres géants de la distribution. Ils s’enorgueillissent de leurs projets coûteux en publiant des photos de leurs bunkers, autoclaves, éoliennes, mini-maisons sur roues, serres passives, habitations souterraines et j’en passe.

Le rêve d’une nouvelle vie reste bien ancré dans les valeurs consuméristes même si les biens de convoités et les méthodes d’achat sont différents. Sans l’ordinateur ni les branchements énergivores nécessaires pour continuer à rêver, la reconnexion à la réalité risque d’être fort brutale.

N.B. J’ai rapporté un souvenir de voyage dont je rêvais depuis longtemps. Mon déshydrateur alimentaire sera livré chez moi d’ici un mois.

 


Des nouvelles du CAPMO

 

Collectif TRAAQ

Le 18 janvier, Emilie Frémont-Cloutier est partie en congé de maternité . Toutes nos félicitations Emilie.

Catherine Rainville assumera la permanence du TRAAQ pendant son absence. Elle est pleine d’enthousiasme à assumer cette tâche qui rejoint ses aspirations environnementales et de justices sociales.

Bon courage dans cette phase d’expansion et de consolidation de nos revendications.

 

Conseil d’administration du CAPMO

Pour des motifs personnels, Denis Auger et Joanne Laperrière ont renoncé à leur engagement au conseil d’administration. Nous les remercions chaleureusement pour le temps et les efforts qu’ils ont consacré au développement de notre organisme.

Claudia Fuentes, une ancienne membre s’est jointe au conseil d’administration et nous lui souhaitons la bienvenue.

 

Projet Québec collectivité accueillante

La ville de Québec et le Ministère de l’immigration et de la francisation du Québec, ont accepté de financer un projet de formation et d’animation d’une émission de radio communautaire sur les ondes de CKIA FM. S’adressant aux jeunes issus de la diversité culturelle, ce projet s’intitule : « Voix et images des communautés culturelles à Québec ». Cette idée est le fruit de la réflexion de Mario Gil Guzman, chargée de projet à la mobilisation et aux relations interculturelles au CAPMO. C’est lui qui sera le principal maître d’œuvre de cette activité qui se déroulera jusqu’à l’été 2022.

 

Vers la construction d’une route d’économie solidaire entre des paysans québécois et colombiens

Dans le but de permettre une rencontre et des discussions autour de la souveraineté alimentaire, le CAPMO a reçu un montant de 3 500 $ du Ministère des relations internationales et de la Francophonie du Québec afin d’organiser un colloque virtuel à l’automne prochain avec l’Union paysanne et le collectif Campesina Digna en Colombie.

 

Présence du CAPMO au Forum social mondial

En collaboration avec des organismes partenaires, nous avons organisé deux ateliers thématiques intitulés: Jeunes et éducation populaire, et Femmes, territoire et résistance en Amérique latine. Toutes nos félicitations à Mario pour la conception et la réalisation de ces deux activités d’envergure internationale. Un grand merci à Claudia Fuentes pour sa participation comme traductrice du portugais au français et à Gabriela Mamrick pour sa traduction de l’espagnol au français.

 

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