Chercher le bonheur
Le bonheur relève du sens qu’on donne à sa vie, en se consacrant à une cause plus grande que soi et en entretenant des relations significatives avec les autres. Ceci permet d’accroître le sentiment profond d’avoir sa place en ce monde et une certaine utilité.
Dès la naissance, nous éprouvons un sentiment de séparation qui nous perturbe et nous insécurise, entamant ainsi la dynamique de la recherche d’unité avec les autres et en soi-même. Ces sentiments d’appartenance et d’unité correspondent à la découverte d’une paix intérieure qui peut être le début d’une meilleure connaissance de soi.
Après les étapes préliminaires de la constitution du soi, l’individu entame un chemin ayant pour but le dépassement des peurs, l’ouverture sur le monde, la rencontre avec soi-même et la croissance intérieure par le développement de différentes formes d’altruisme.
Une fois sa vocation identifiée, sa formation complétée et sa place trouvée par l’insertion dans le monde du travail, après plusieurs années à courir et à se donner sans compter, plusieurs personnes ressentent un sentiment d’épuisement professionnel. S’il demeure évident que nous devons entretenir des moments de ressourcements et de repos, apprendre à ne pas porter la misère du monde sur son dos et éviter les sentiments de culpabilité, il est vrai que le milieu peut aussi s’avérer toxique si les valeurs incarnées dans cette mission ne trouvent pas écho là où nous avons choisi d’engager notre existence. Par ailleurs, il est vrai que ce sont parfois les exigences de production et de rentabilité, de contrôle et de mesure, qui finissent par émousser la lame de notre détermination première à vouloir changer le monde.
Ainsi, même s’ils demeurent convaincus de l’urgence d’agir, plusieurs éprouvent une certaine lassitude devant les luttes qui ne semblent sans issu : la justice, l’égalité, l’environnement, la paix, les droits humains, la démocratie, la désinformation, les appétits guerriers du gouvernement américain, la destruction de la planète, les bombardements de populations civiles, la misère inhumaine, l’appât du gain, l’égoïsme incompréhensible des richissimes, bref tout ce qui nous laisse croire que ce sont les pourris qui dirigent le monde et que les bonnes âmes n’ont d’autre avenir que de se taire, faire une dépression, ou dans le plus grandiose des cas, mourir martyr des multinationales pour défendre la vie sur Terre.
J’avoue que même la foi me semble insuffisante pour comprendre comment le bien va bien finir par triompher devant les hordes d’assassins légalisés, revêtus d’uniformes militaires ou de vestons-cravates. Devant les militants sociaux assassinés ou les familles pulvérisées sous les bombes, je ne sais plus si nous avons progressé depuis les premiers siècles de notre ère ? Sous l’empire romain, est-ce que cela allait aussi mal que présentement ? À l’époque, avant de devenir une religion impériale, les premiers chrétiens formaient des communautés de vie et de partage où des valeurs plus respectueuses de la dignité de chaque être humain étaient affirmées. On espère.
Yves Carrier
Spiritualité et citoyenneté
DE PAU À PÔ, L’AFRIQUE MANQUE DE POT
Dans le Sahel, région en bordure du Sahara, c’est le bordel, depuis plusieurs années. Mouvement d’indépendance dans le nord du Mali, désertification et tension économique et politique. La France est intervenue au Mali contre la tentative de création d’un nouvel État, l’Azawad, par les Touaregs, à saveur intégriste islamiste (voir le film malien Tombouctou). Aussi, des conflits interethniques violents ont éclaté entre Dogons et Peuls et ont entraîné plusieurs massacres. Certains croient que l’État islamique a attisé les flammes. Et le gouvernement local ainsi que la France semblent avoir été assez passifs.
Quant à l’intervention française, plusieurs Africains pensent qu’elle a davantage pour mission de défendre les intérêts de la France plutôt que ceux des populations locales. L’État islamique est très actif et massacre les soldats et civils locaux par centaines, particulièrement au Niger, au Mali et au Burkina Faso. La France travaille pour que les armées africaines très faibles prennent en charge leur propre défense. Elle a d’ailleurs créé le G5 au Sahel avec le Tchad et la Mauritanie en plus des trois pays nommés plus hauts.
La façon dont cela est mené choque les populations locales qui protestent contre la permanence de la France-Afrique, manière de nommer le néocolonialisme français. Macron convoque alors les chefs d’État du G5-Sahel à Pau, en France, où a eu lieu, avant le sommet, une commémoration pour 7 des 13 soldats français tués lors d’une collision d’hélicoptères en mission au Sahel. Pas pour tenter de résoudre les problèmes de la région, mais afin de savoir si les populations africaines désirent encore l’aide française. Les gouvernements en ont vraiment besoin sinon ils tombent les uns après les autres, le Mali en premier lieu, et le Tchad qui doit régulièrement sa survie à l’intervention française. Le Burkina a une population turbulente qui a souvent envie de passer le balai citoyen. Le Niger a de l’uranium et est menacé par Boko Haram ainsi que le Tchad dont le lac est en train de disparaître.
Le fait que les chefs d’État soient convoqués à Pau, en France, apparaît comme une humiliation de plus. Si bien que 150 participants de la sous-région du Sahel se sont réunis à Pô au Burkina Faso dans un contre-sommet des peuples pour dénoncer le chantage de la France à l’endroit des Africains : « Suppliez-moi ou je me casse ». Pourquoi Pô? C’est là qu’a commencé la révolution qui a mis au pouvoir Thomas Sankara, lequel a par ailleurs fait son entraînement militaire à Pau. Les dissidents africains veulent un engagement sérieux contre le terrorisme en Afrique. Peut-être aussi verrait-on des solutions politiques et un plus grand respect des peuples locaux. La réponse militaire n’est peut-être pas la meilleure si elle lèse les populations et ne permet pas de résoudre les conflits internes. La diplomatie a été écartée au profit du militaire. Une ancienne ambassadrice au Tchad et au Mali a traité de ce problème. Elle a été convoquée à Paris et on lui a confié la direction administrative des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Zéro habitant…Si : des milliers de manchots empereurs, des phoques, des oiseaux et des vaches et des bœufs retournés à l’état sauvage sur l’ile d’Amsterdam. Ah, oui, j’oubliais, des savants et militaires en mission.
Merci à L’Observateur paalga d’Ouagadougou (Alain Saint Robespierre est l’auteur de l’article de ce journal reproduit dans Courrier International no 1524 du 16 au 22 janvier 2020) pour certains renseignements dans ce texte.
Robert Lapointe
9 VOIES D’ACCÈS À LA SPIRITUALITÉ
1. La nature
Allez y faire un tour. C’est un lieu de méditation. Mais qui a fait tout ça? Et comment? Pourquoi? Nous sommes dans des questions de sens. Et le sens s’acquiert par les sens. Par la perception que nous avons du monde. Qu’il faut étudier, comprendre en se méfiant de nos sensations, de nos sentiments, de nos sens. La science commence et vise la signification. On essaie de comprendre où l’on s’en va, le rôle de tout ça, le but, la finalité. La nature est matière à réflexion et n’est-elle que matière? Il y a un ordre, une organisation, des formes, qui sont même mathématiques.
2. Les valeurs
Avec ce thème, nous sommes d’emblée dans la spiritualité. Il existerait trois grandes familles de valeurs : les spirituelles et les humaines ou humanistes encadrant les valeurs citoyennes. Ceci dit, il y aurait des valeurs spécifiques à des classes sociales, valeurs féodales, bourgeoises, prolétaires, ou à des religions. Mais celles-ci seraient des expressions culturelles et historiques des familles de valeurs énoncées plus haut. Il en serait de même des valeurs dites québécoises ou américaines, lesquelles seraient au mieux qu’une insistance particulière sur certaines valeurs.
3. La quête de sens
Goethe disait que le sens de la vie, c’est la vie elle-même. Sens, signification et direction, finalité, but. Et c’est la finalité que l’on vise qui est vraiment libératrice, tout en reconnaissant ce qui conditionne notre liberté. Conditionne, oui, puisque la somme de nos déterminismes et la connaissance de nos limites sont les conditions mêmes de notre liberté. Qu’avons-nous à faire pour être dans le sens de la nature, pour remplir notre mission sur Terre.
4. Le ¨Croire¨
Avoir une foi, peu importe laquelle, autorise l’espérance. La foi, c’est avoir confiance. Cela aide à vivre. Sinon… Le désespoir tue. Croire, pour paraphraser Paul de Tarse, c’est une façon de posséder déjà ce que l’on espère.
5. Le silence
C’est une méthode éprouvée pour entendre et écouter notre voix intérieure qui, pour certains, est peut-être celle de Dieu. Il faut se détourner de ce qui nous divertit pour entrer en contact avec soi-même.
6. La beauté
La beauté, de la nature, de l’œuvre d’art, d’un autre être humain, d’une belle cérémonie, élève notre esprit et notre âme.
7. La conscience
Chacun a la responsabilité de développer sa conscience en accédant à des niveaux supérieurs tout en préservant les niveaux inférieurs, mais en réalité, ils sont tous importants car ils servent à définir notre identité tout en favorisant notre évolution. Il faut juste ne pas en rester à une étape et toutes les assimiler. Conscience du ça, du moi, du sur-moi, du soi. Quatre niveaux, conscience individuelle, conscience de notre appartenance, conscience plus universelle et, enfin, conscience spirituelle. Aucun niveau n’est négligeable pour la construction du soi, synthèse spirituelle de ce qui dépasse notre ego et de celui-ci, notre moi, justement.
8. Les étapes de vie
Cela rejoint un peu les niveaux de conscience qui s’acquièrent au cours d’une vie. Le monde tourne autour du tout petit, au niveau du ça, encore brut, rempli de pulsions. Au cours de l’enfance, le petit s’aperçoit qu’il sera aimé s’il se conforme au monde qui l’entoure; le sur-moi en vient à dominer son ego et il dompte le ça. L’adolescent a besoin d’affirmer son ego contre le monde qui tend à le contrôler : il construit son moi. Adulte, il apprend à faire la part des choses. Il acquiert le soi, fusion entre le moi et le sur-moi.
9. L’engagement
Il faut redonner ce que l’on a reçu, être utile pour les autres. Et c’est un besoin que la société reconnaisse que l’on y a un rôle à jouer, peut-être même une mission à accomplir et ce toujours dans le sens de faire évoluer la société pour qu’elle ait du bon sens et qu’elle aille dans le bon sens. L’engagement, c’est de l’amour et l’amour c’est une décision. Cette décision détermine le sens de notre vie et sa finalité, son but.
ET MAINTENANT, LES BLOCAGES, LES NUISANCES À LA VIE SPIRITUELLE. EN VRAC.
1—Le plein, de tout ce que voudrez, la suffisance.
2—La recherche du plaisir immédiat, sans référence au passé ou appréhension de l’avenir, un hédonisme borné plutôt que l’eudémonisme, c’est-à-dire la recherche d’un plaisir qui tire les leçons du passé et prévient le malheur dans l’avenir.
3 – La bouffe et l’alcool en excès, bien sûr.
4 – Le magasinage, la surconsommation.
5—La vitesse, quand tout va trop vite, qu’on est trop occupé, qu’on court constamment.
6—L’esprit blindé, la pensée unique, le manque d’ouverture.
7—Le syndrome de ceux et celles qui vivent dans leurs bulles.
8—L’omniprésence du virtuel, quand celui-ci pense à notre place, que l’on y transfère notre intelligence, l’emprise des jeux, l’oubli des conditions concrètes de l’exploitation des matières qui entrent dans la fabrication de ces objets numériques.
9—L’humour, quand il devient quasi pathologique, quand il sert à oublier qui l’on est, ce que nous devons faire.
10—Le sexe, quand il ne sert pas à aimer, à grandir.
Selon un courtier de Wall Street, Bill, cofondateur des Alcooliques Anonymes, il n’y a que deux grands péchés : lorsque l’on entrave sa progression spirituelle et lorsque l’on entrave celle d’autrui. Je vous laisse méditer sur ce texte et vous pouvez ajouter des éléments aux voies d’accès ou aux blocages. Merci
Robert Lapointe, moraliste de bas de gamme.
Justice sociale, société de consommation et simplicité volontaire
Par Matthieu Ricard le 29 janvier 2019, blogue de Matthieu Ricard
Alors que le malaise social se manifeste de toutes sortes de façons dans le monde et s’exprime de manière aiguë en France, il semble désirable d’examiner la situation à plusieurs niveaux. Le plus évident est celui de la pauvreté au sein de la richesse. C’est le sort d’un grand nombre de personnes qui se trouvent acculées à la précarité bien qu’elles fassent de leur mieux pour mener une vie décente. Cela est une évidence de tous les jours dans les pays pauvres, mais c’est aussi un mal croissant dans les pays dits « riches » en raison de l’accroissement des inégalités. Au cours des trente dernières années, les inégalités n’ont cessé de s’accroître dans tous les pays membres de l’OCDE (les pays plus nantis). Un chiffre, parmi de nombreux autres, récemment cité par OXFAM, ne peut que nous interpeller : les 25 milliardaires les plus riches possèdent autant d’argent que la moitié de l’humanité. En France 8 milliardaires français détiennent autant que les 30% les plus pauvres. Une telle situation est absurde, indécente et inacceptable. Elle révèle des vices majeurs dans le système qui prévaut actuellement. On sait aussi que le soi-disant « ruissellement » de la richesse vers le bas ne s’est jamais véritablement produit. Il importe donc d’œuvrer avec discernement et détermination vers une société plus équitable.
Société de consommation
Ce qui suit ne concerne pas ceux qui ont beaucoup de mal à assurer leur subsistance. Cela concerne tous ceux – ils sont nombreux – qui disposent de plus que ce qui leur est nécessaire pour se loger, se nourrir, se vêtir, veiller sur leur santé, être éduqué et assurer l’éducation de leurs enfants. Que fait-on du « surcroît » ? Personne n’a besoin d’incitation pour se procurer ce dont il a véritablement besoin. L’essence de la publicité et du marketing, quant à elle, est de nous faire désirer ce dont nous n’avons pas besoin.
Il n’y a pas si longtemps, dans une grande ville américaine, je suis tombé sur une file de plusieurs centaines de personnes, longue d’un demi-kilomètre, qui attendaient l’ouverture, deux heures plus tard, d’un magasin où des foulards de marque allaient être vendus pour 200 dollars au lieu de 600 ! L’image d’une longue file de femmes népalaises qui attendaient immobiles, au petit matin, de pouvoir acheter quelques litres de kérosène pour faire la cuisine a surgi en mon esprit. Certes, beaucoup d’Occidentaux et de Français n’auront jamais les moyens d’acheter un tel foulard, même avec pareille réduction. Certes, la misère peut être cachée chez nous, et il faut tout mettre en œuvre pour la supprimer. Mais en Inde ou au Népal où je vis une bonne partie du temps, il n’y a ni sécurité sociale, ni allocations familiales ou aide au chômage. Si vous êtes malade et ne pouvez pas payer à l’avance une partie de vos frais médicaux, vous restez à la porte de l’hôpital.
Le psychologue américain Tim Kasser et ses collègues de l’université de Rochester ont mis en évidence le coût élevé des valeurs matérialistes (voir son ouvrage The High Price of Materialism). Grâce à des études s’étendant sur une vingtaine d’années, ils ont démontré qu’au sein d’un échantillon représentatif de la population, les individus qui concentraient leur existence sur les biens matériels, l’image, le statut social et autres valeurs matérialistes promues par la société de consommation, sont moins satisfaits de leur existence. Centrés sur eux-mêmes, ils préfèrent la compétition à la coopération, contribuent moins à l’intérêt général et se préoccupent peu des questions écologiques. Leurs liens sociaux sont affaiblis et, s’ils comptent beaucoup de relations, ils ont moins de vrais amis. Ils manifestent moins d’empathie et de compassion à l’égard de ceux qui souffrent et ont tendance à instrumentaliser les autres selon leurs intérêts. Ce consumérisme immodéré est étroitement lié à un individualisme excessif.
En outre, les pays riches, qui profitent le plus de l’exploitation des ressources naturelles, ne veulent pas réduire leur train de vie. Ce sont pourtant eux les principaux responsables des changements climatiques et des autres fléaux (accroissement des maladies sensibles aux changements climatiques, la malaria, par exemple, qui se propage dans de nouvelles régions ou à des altitudes plus élevées dès que la température minimale augmente) qui affectent cruellement les pays les plus pauvres, ceux dont la contribution à ces bouleversements est la plus insignifiante.
Un Afghan produit deux mille cinq cents fois moins de CO2 qu’un Qatari et mille fois moins qu’un Américain. Le magnat américain Stephen Forbes déclarait sur une chaîne de télévision conservatrice (Fox News), à propos de l’élévation du niveau des océans : « Modifier nos comportements parce que quelque chose va se produire dans cent ans est, je dirais, profondément bizarre. » N’est-ce pas en réalité une telle déclaration qui est absurde ? Le patron du plus grand syndicat de la viande aux États-Unis, quant à lui, est encore plus ouvertement cynique : « Ce qui compte, dit-il, c’est que nous vendions notre viande. Ce qui se passera dans cinquante ans n’est pas notre affaire. »
Or tout cela nous concerne, concerne nos enfants, nos proches et nos descendants, ainsi que l’ensemble des êtres, humains et animaux, maintenant et dans l’avenir. Concentrer nos efforts uniquement sur nous-mêmes et nos proches, et sur le court terme est l’une des manifestations regrettables de l’égocentrisme.
L’individualisme, par ses bons côtés, peut favoriser l’esprit d’initiative, la créativité et l’affranchissement de normes et de dogmes désuets et contraignants, mais il peut aussi très vite dégénérer en égoïsme irresponsable et en narcissisme galopant, au détriment du bien-être de tous.
L’égoïsme est au cœur de la plupart des problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui : l’écart croissant entre les riches et les pauvres, l’attitude du « chacun pour soi », qui ne fait qu’augmenter, et l’indifférence à l’égard des générations à venir.
Simplicité volontaire
Pourquoi ne pas suivre le bon conseil de Gandhi : « La civilisation dans le vrai sens du terme ne consiste pas à multiplier les désirs, mais à les réduire volontairement. Cela seul instaure le vrai bonheur et le contentement tout en accroissant notre capacité de servir. »
Simplifier notre existence, c’est avoir l’intelligence d’examiner ce que l’on considère habituellement comme des plaisirs indispensables et de vérifier s’ils apportent un authentique mieux-être. La simplicité volontaire peut être ressentie comme un acte libérateur. Elle n’implique donc pas de vivre dans la pauvreté, mais dans la sobriété. Elle n’est pas la solution à tous les problèmes, mais elle peut certainement y contribuer.
L’écrivain et penseur Pierre Rabhi, l’un des pionniers de l’agro-écologie, estime que le temps est venu d’instaurer une politique et une culture fondées sur la puissance d’une « sobriété heureuse » à laquelle on a librement consenti, en décidant de modérer ses besoins, de rompre avec les tensions anthropophages de la société de consommation et de remettre l’humain au cœur des préoccupations. Un tel choix s’avère alors être profondément libérateur.
La crise actuelle a de multiples aspects. Il y a tout d’abord un drame humain, celui des populations les plus pauvres qui souffrent durement des crises financières et de l’inégalité croissante, alors que les riches sont peu affectés et en profitent même pour s’enrichir davantage. Mais il y a aussi la quête inépuisable du superflu. L’industrie du luxe mobilise des fortunes tout en étant parfaitement inutile au bien-être véritable de l’être humain.
La simplicité volontaire est à la fois heureuse et altruiste. Heureuse du fait qu’elle n’est pas constamment tourmentée par la soif du « davantage » ; altruiste, car elle n’incite pas à concentrer entre quelques mains des ressources disproportionnées qui, réparties autrement, amélioreraient considérablement la vie de ceux qui sont privés du nécessaire.
La simplicité volontaire est également assortie à la sagesse : n’aspirant pas au déraisonnable, on garde constamment dans le champ de sa conscience le sort de ceux qui aujourd’hui sont dans le besoin ainsi que le bien-être des générations futures.
Expériences d’accueil de réfugiés, une pratique d’interculturalité et d’engagement social
Par Gérald Doré, 21 janvier 2020
Un organisme intéressé par la question des réfugiés m’a récemment demandé de puiser dans ma boîte à souvenirs pour raconter les expériences d’accueil auxquelles j’ai été associé. Je vous partage un résumé du texte que je lui ai soumis. Il s’agit de deux expériences, toutes les deux réalisées alors que j’étais pasteur de l’Église Unie Saint-Pierre, à Québec.
La première s’est déroulée entre 2000 et 2002. Nous avons alors accueilli deux familles apparentées, en provenance d’un camp sous la supervision des Nations Unies et entrées légalement au Canada. On parle donc ici de conditions facilitantes, sans les complications politiques et juridiques qui viennent la plupart du temps ajouter au traumatisme d’être réfugiés celui d’être demandeurs du statut de réfugiés.
La deuxième a couvert les années 2004 à 2009. Nous avons alors accueilli un réfugié sans statut menacé de déportation, après avoir épuisé tous les recours légaux. Il demandait à être accueilli en sanctuaire dans notre lieu de culte, suivant une vieille tradition qui n’a pas de fondement juridique, mais qui, encore aujourd’hui, est habituellement respectée et aboutit généralement, non sans délais et tergiversations, à une régularisation de la situation. On parle donc ici d’un accueil ouvert pour nous sur des complications que nous pouvions anticiper, sans savoir lesquelles précisément. Nous nous engagions donc dans un accueil assumant l’insécurité de l’imprévisible, avec à venir des gratifications humaines et spirituelles proportionnelles à l’ouverture consentie dans l’audace de cet accueil.
Première expérience, 2000 à 2002
Un mot, pour commencer, sur l’expérience la plus facile pour nous, celle où nous avons accueilli deux familles originaires du Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo, arrivant au Canada après avoir été sélectionnées dans un camp de réfugiés sous la juridiction des Nations Unies. Les deux familles sont presbytériennes. Elles sont parrainées par l’Église presbytérienne au Canada, mais comme la paroisse d’ici est anglophone, alors que les familles sont francophones, il nous est demandé de prendre la relève de l’accueil et de les intégrer à notre vie communautaire. Nous acceptons. Nous serons comblés par les effets pour nous de cette décision. La première famille est composée d’Isidor, Marguerite et leurs six enfants. La deuxième comprend Hélène, sœur d’Isidor, et son enfant en bas âge. Avec l’appui de la paroisse presbytérienne et celui de proches de notre paroisse, nous complétons le soutien que leur apportent l’État et les organismes du milieu. Laissant derrière elles de terribles épreuves et en en portant sans doute dans leurs cœurs les séquelles, ces deux familles nous apportent, elles, le dynamisme de leur présence et l’assiduité de leur participation. En 2001, quatre des enfants sont baptisés chez nous et les deux ados confirment les engagements pris par leurs parents à leur baptême. Nous aurions aimé, bien sûr, que leur séjour avec nous soit d’une durée illimitée, mais des raisons de recherche d’emploi les obligeront à quitter Québec pour Gatineau. Nous leur ferons nos adieux le 23 juin 2002.
Deuxième expérience, 2004 à 2009
Cette deuxième expérience survient à la suite d’un enchaînement de démêlés d’un réfugié sans statut avec les pouvoirs publics et les tribunaux. Mohamed est arrivé d’Algérie au Québec via les États-Unis, en 1998. Il a demandé le statut de réfugié à titre d’objecteur de conscience, dans le contexte de la guerre civile qui sévissait dans son pays. Sa demande est refusée en 1999, mais il est protégé par un moratoire sur les déportations vers l’Algérie. Plus de 1000 réfugiés algériens sans statut sont protégés par ce moratoire, dont certains sont au Québec depuis dix ans et y ont donné naissance à des enfants. Suite à une visite du Premier Ministre du Canada en Algérie, pour la signature de contrats importants de firmes canadiennes, ce moratoire est levé en 2002. Les Algériens sans statut sont menacés de déportation. La situation dans leur pays d’origine est déclarée pour eux sécuritaire, alors que le Ministère des Affaires étrangères recommande aux Canadiens de ne pas s’y rendre en raison de dangers persistants.
Un Comité des Algériens sans statut est formé et Mohamed en est le principal porte-parole public, ce qui comportera pour lui des conséquences qui marqueront la suite des événements. Divers moyens de pression sont mis en œuvre dont deux occupations de bureau, une à Montréal et l’autre à Ottawa. Intégrés dans une stratégie d’opinion publique, ils donnent des résultats. Un compromis est trouvé entre le Canada et le Québec, sous la forme d’une mesure dite « parcours d’intégration », c’est-à-dire une évaluation cas par cas de la dite « intégration » des réfugiés algériens sans statut. Mohamed, qui maîtrise le français aussi bien que l’arabe, aide ses compatriotes à remplir les formulaires et à compléter leur demande. La plupart sont acceptés. Quand arrive son tour, il est refusé. Son engagement avec le Comité, ses confrontations avec les pouvoirs publics, le temps qu’il a consacré à aider ses compatriotes plutôt qu’à chercher un emploi ne l’ont pas aidé, on peut le soupçonner. C’est après avoir épuisé ses recours –la section d’appel prévue dans la loi n’est pas en vigueur – qu’il nous arrive à l’église, avec ce riche bagage d’engagement social combiné à la détresse d’une déportation imminente qui le mettrait à risque d’emprisonnement et autres pires sévices d’un régime autoritaire. Il nous arrive avec une recommandation de la vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme et de la présidente de la Ligue des droits et libertés.
La paroisse accueille Mohamed en sanctuaire. Le 18 février 2004, le sanctuaire est rendu public au cours d’une conférence de presse. À toutes les étapes de l’action, le contact avec les médias jouera un rôle important pour faire avancer la cause de Mohamed. Un comité de solidarité est formé. Outre des membres de la paroisse et moi comme son pasteur, il comprend des membres de groupes de défense collective des droits et un prêtre mandaté par le cardinal archevêque de Québec. Il est présidé par un syndicaliste connu.
Un événement inattendu viendra très tôt influer sur le cours de l’action. Pour la première fois dans l’histoire du Canada, un sanctuaire est violé. Le 5 mars, une dizaine de policiers de la Ville de Québec bloquent la rue et font irruption dans la salle communautaire de l’église pour arrêter Mohamed, avec un mandat émis par la Cour municipale de Montréal, l’accusant de ne pas l’avoir informée de ses déplacements. Il s’avérera qu’il s’agit en fait d’un prétexte. Mohamed ne sera pas dirigé vers cette Cour. Il sera plutôt remis à l’Agence des services frontaliers et déporté aux États-Unis par où il était entré au Canada en 1998. Il est incarcéré dans un centre de détention pour réfugiés près de Buffalo.
Notre participation comme paroisse se poursuit à travers notre engagement dans le Comité de solidarité. Une campagne d’appui se déploie à l’échelle du Canada. Nous participons à l’organisation du financement du soutien juridique ici et aux États-Unis. Après plus d’un an d’emprisonnement dans l’angoisse de la déportation, le tribunal d’appel américain de l’immigration lui reconnaît le statut de réfugié, le 20 juillet 2005. Il faudra encore trois années et demie avant que le Canada accepte de le rapatrier et de lui accorder la résidence. Le 25 juillet 2009, le Comité de solidarité fête le retour de Mohamed.
L’Internationale christo-néofasciste à l’assaut du pouvoir en brandissant la Bible et le crucifix (2)
10 janvier 2020, par Juan José Tamayo
Les Évangélistes pour Trump
« Donald Trump a ramené Dieu à la Maison blanche. » Cette affirmation est entendue fréquemment dans un secteur regroupant des millions de gens aux États-Unis, politiquement et religieusement très influent des chrétiens évangélistes. Trump et ce secteur s’appuient mutuellement, ils ont besoin les uns des autres et ils coïncident idéologiquement sur des questions comme la liberté religieuse, l’opposition à l’avortement, le rejet du mariage gai, la nomination de juges conservateurs à la Cour suprême, la présence de la foi chrétienne dans la sphère publique, la politique internationale agressive et déstabilisatrice de Trump, l’immigration, etc.
Le 3 janvier 2020, l’équipe de Trump a créé à Miami l’initiative « Évangélistes pour Trump » qui convoqua 7 000 personnes à l’Église du Ministère international du Roi Jésus, pour lancer sa campagne à la réélection comme président des États-Unis. Trump fut invité à l’événement par le pasteur Guillermo Maldonado, autoproclamé « l’Apôtre ». Les personnes réunies, avec une présence significative d’immigrants, ovationnèrent le président lorsqu’il fit référence à la mort du général iranien Soleimani en Irak, ordonné par lui, à la construction du mur sur la frontière avec le Mexique, à la défense du droit à la vie et à la condamnation du droit à l’avortement.
Trumpt compte sur l’appui de l’organisation Capitol Ministries, fondée en 1996 par Danielle et Ralph Drollinger dans le but d’apporter l’Évangile aux fonctionnaires publics des États-Unis et d’autres pays d’Amérique latine. L’organisation, financée par le gouvernement de Trump, a créé des centres d’études bibliques, elle se consacrent à l’évangélisation, à l’apostolat et à la formation de législateurs chrétiens. L’expérience a été exportée vers plusieurs pays latino-américains comme le Mexique, le Honduras, le Paraguay, l’Uruguay, le Costa Rica, et il compte une forte présence au Brésil où il reçoit l’appui du président Jair Bolsonaro.
Évidemment, ce n’est pas tout le monde évangéliste qui appuie Trump. Il existe un important secteur qui se démarque, se montre critique et s’oppose directement à sa politique xénophobe, homophobe et anti-écologique. C’est le cas de la prestigieuse revue évangéliste Christianity Today, fondée en 1956, qui dans un éditorial récent a mis de l’avant les « déficiences morales » de Trump, son « caractère grossier et immoral », et elle s’est montrée favorable à l’impeachment du président étasunien par « loyauté au Créateur des dix commandements ». La réaction critique de Trump à cette position qui délégitime sa personne et sa manière de faire de la politique ne se fit pas attendre en affirmant : « qu’aucun président n’avait fait ce qu’il avait fait en faveur des évangélistes ou de la religion. »
Devant les critiques de Trump et de ses conseillers évangélistes envers son opposition au dirigeant étatsunien, le président de Christianity Today a répondu en soulignant « l’immoralité, l’avarice et la corruption du président Trump, son esprit de division et de discrimination raciale, sa cruauté et son hostilité envers les immigrants et les réfugiés… de même que ses abus de pouvoir évidents ».
L’Amérique latine sous l’attaque du christo-biblique-néofascisme
En Colombie, les accords de paix ont échoué parce que les évangélistes fondamentalistes et les catholique intégristes ont fait campagne contre leur approbation en alléguant faussement que ces accords défendaient la mariage gai, le droit à l’avortement et l’homosexualité. Lors du premier tour des élections au Costa Rica, le pasteur évangéliste Fabricio Alvarado arriva en tête avec un discours en faveur des « valeurs chrétiennes » et du néolibéralisme, contre l’avortement et l’erreur de la Cour interaméricaine des Droits humains favorable au mariage entre personnes du même sexe. (Il fut battu au second tour.)
Au Brésil, les partis évangélistes fondamentalistes furent déterminants dans la destitution de la présidente Dilma Rousseff et l’élection de l’ex-militaire Bolsonaro comme président du pays. Ce sont eux qui inspirent et légitiment sa politique ouvertement homophobe, sexiste, xénophobe et anti-écologique. L’appui aux discours de Bolsonaro produit un écocide, du racisme à l’endroit des communautés indigènes et débouche tristement sur l’assassinat d’écologistes.
L’organisation nord-américaine Capitol Ministries est présente à Brasilia, son objectif est la création de disciples du Christ dans les cercles politiques du monde entier. Ils prétendent reconstruire la nation brésilienne « à partir des valeurs chrétiennes forgées à travers l’étude de la Parole de Dieu » et apporter les études bibliques à Bolsonaro et à ses ministres, avoir des réunions bibliques individuelles avec les parlementaires, particulièrement avec les non-convertis, et parvenir à obtenir que chaque parlementaire du Congrès national reçoive les textes bibliques.
Le gouvernement du Salvador semble suivre les mêmes voies. Lors de sa prise de possession, le nouveau président de la république, Nayib Bukele, invita un pasteur argentin, Dante Gebel, connu pour ses liens avec des pasteurs ultraconservateurs comme Casha Luna, à conduire la réflexion et la prière. Ensuite, Bukele s’est réuni avec une délégation de pasteurs évangélistes de différents pays parmi lesquels certains provenaient des États-Unis et sont conseillers de Trump. La député du parti de la Conciliation nationale, Eileen Romero a présenté une motion pour décréter la lecture obligatoire de la Bible dans les écoles du Salvador. L’assemblée législative a invité un groupe de pasteurs évangélistes à diriger une prière religieuse lors de la journée nationale de la prière.
En Bolivie, les militaires et les secteurs religieux fondamentalistes ont commis un coup d’État contre Evo Morales, président légitime de la République plurinationale, qui a mis les communautés indigènes au centre de sa politique sociale, culturelle, économique et sur la carte du monde. Ceux qui ont renversé le gouvernement l’ont fait avec la Bible et le crucifix, mis au service de la répression et de l’humiliation des peuples indigènes.
Luis Fernando Camacho, chef civique de l’opposition et Janine Áñez, actuelle présidente illégitime, intronisèrent la Bible dans la présidence de la République pour légitimer le coup d’État, laver les morts produits comme conséquence de celui-ci, « confessionaliser » chrétiennement la politique, nier l’identité des communautés indigènes et dénigrer leurs cultes en les qualifiant de « sataniques ».
« Je rêve d’une Bolivie libérée des rites sataniques indigènes, la ville n’est pas faite pour les indiens, qu’ils aillent dans la montagne ou dans la zone désertique… Je rêve qu’il y ait un nouvel an sans l’étoile aymara de l’Alba! Sataniques, à Dieu nul ne le remplace ». Ce sont les déclarations de Jeanine Áñez en 2013 qu’elle est parvenue à mettre en pratique après le coup d’État.
« La Bolivie au Christ. Jamais plus la Pachamama au Palais présidentiel… Dieu nous a envoyé en Bolivie pour évangéliser une seconde fois ». Ce furent les affirmation de Luis Fernando Camacho après le Coup d’État militaire, suivi par le dépôt de la Bible sur la bannière créole bolivienne dans le hall du Palais du gouvernement à La Paz. Camacho avait raison : débutait une seconde évangélisation baignée de sang comme la première fois, il y a cinq cent ans.
Derrière ces phénomènes produits en différents pays, il faudrait parler d’une alliance christo-biblique-militaire-néolibérales-patriarcale fasciste qui agit de façon coordonnée sur tous les continents et plus spécifiquement en Amérique latine, elle utilise de manière irrévérencieuse le nom du Christ et elle défend la « théologie de la prospérité » comme légitimation du système capitaliste dans sa version néolibérale. Et elle le fait avec d’excellents résultats: elle renforce des gouvernements autoritaires, reverse des présidents élus démocratiquement, commet des coups d’État, empêche l’approbation de lois en défense des droits sexuels et reproductifs des femmes et emprisonne des dirigeants politiques de l’opposition, etc.
[La troisième partie de cet article se centrera sur le discours qui construit et les pratiques de haine que génère sème dans la population mondiale l’Internationale christo-néofasciste]
Juan José Tamayo est directeur de la chair “Ignacio Ellacuría”. Ses derniers livres sont :“¿Ha muerto la utopía? ¿Triunfan las distopías? (Biblioteca Nueva, 2019, 3ª ed.) et Hermano Islam (Trotta, 2019).
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Juan José Tamayo
L’Internationale christo-néofasciste à l’assaut du pouvoir en brandissant la bible et le crucifix (3)
Juan José Tamayo, Madrid, 17 janvier 2020
Discours de haine
L’internationale christo-néofasciste constitue une manipulation crase de la religion et une perversion du sacré qui appuie les discours et les pratiques de haine des partis d’extrême-droite partout dans le monde.
Le christo-néofascisme s’alimente de la haine, il grandit et même qu’il s’en amuse. Il le fomente parmi ses adeptes et il l’étend à toute la citoyenneté. Dans son livre « L’obsolescence de la haine (Pretexto, Valencia, 2019) », l’intellectuel pacifiste Günter Anders la définit comme « l’auto-affirmation et l’auto-constitution au moyen de la négation et de l’annihilation de l’autre ». Une telle manière de procéder est en contradiction avec les principes moraux de la majorité des religions, concrètement du christianisme, comme le pardon et l’amour du prochain, l’amour des ennemis et le renoncement à la vengeance, à « œil pour œil, dent pour dent ».
La haine se traduit en une série de manifestations dogmatiques, intolérance, manque de respect et agressivité à l’endroit de :
· La « théorie du genre », qu’ils appellent de manière méprisante « l’idéologie du genre » – qu’ils associent à la lutte et la compétitivité entre les hommes et les femmes, qu’ils rendent responsables de la destruction de la famille et qu’ils accusent de dégrader la dignité des femmes;
· Le féminisme, défini comme « fémi-nazisme », une « chose diabolique » et comme le « suicide de la propre dignité humaine »;
· Les programmes d’éducation sexuelle dans les écoles qui incluent la théorie de genre, avec la consigne : « touche pas à mon enfant »;
· La violence de genre, niant l’évidence des milliers de féminicides qui se produisent partout dans le monde comme manifestation de la haine envers la vie des femmes;
· Le LGBTIQ avec la défense de l’hétéro-normativité et une conception binaire de la sexualité qui débouche sur la persécution et des agressions contre les gais, les lesbiennes, les bisexuels, les transsexuels, les intersexuels, les queer;
· Le mariage égalitaire et l’homosexualité, limitant les droits affectifs et sexuels des personnes;
· L’interruption volontaire de grossesse avec la persécution et l’excommunication de celles qui y ont recours.
· Les personnes et les collectifs de migrants, les réfugiés et les déplacés, sont l’objet de xénophobie, qu’ils accusent d’être responsables de l’agitation sociale qui se produit dans les pays d’accueil, d’enlever le travail aux personnes d’origine et de faire usage des services sociaux, de santé et d’éducation, dont les seuls destinataires devraient être les citoyens nationaux;
· Les communautés musulmanes qu’ils accusent d’avoir un autre modèle de famille, de discriminer les femmes et d’avoir une conception de la politique incompatible avec la démocratie et les droits humains;
· Les communautés juives, objets d’antisémitisme;
· Les personnes noires objet de racisme;
· Les changements climatiques, démontrés scientifiquement lors du Sommet sur le climat qui a eu lieu à Madrid, ainsi que du besoin de réduire les taux d’émission de carbone et les futurs marchés du carbone, avec une attitude négationniste qui est aussi irrationnelle que de nier l’évidence;
· La nature, à laquelle ils nient sa dignité et ses droits, est l’objet d’un écocide et ils la pillent par amour du modèle de développement techno-scientifique de la modernité qui soumet la nature au libre-arbitre de l’être humain.
L’Internationale néofasciste chrétienne a changé la carte politique et religieuse aux États-Unis, elle transforme la carte de l’Amérique latine et elle se prépare à la faire en Europe où nous avons déjà des exemples en Pologne, en Hongrie, en Autriche, en Italie, etc. Le saut vers la politique du mouvement religieux fondamentaliste suppose un grave recul dans l’autonomie de la sphère publique et politique ainsi que de la culture, dans la sécularisation de la société et dans la séparation entre l’État et la religion.
L’Amérique latine eut, pendant plus d’une décennie, des gouvernements progressistes qui incorporèrent de nouveaux protagonistes à la vie politique: les femmes, les communautés paysannes, les indigènes, les afro-descendants, des identités sexuelles autrefois discriminées, la nature elle-même, les religions originelles autrefois discriminées, etc. Aujourd’hui, le retour de gouvernements conservateurs nient tout protagonisme aux sujets émergents que nous venons de mentionner.
Cette Internationale défend le renforcement de la famille patriarcale et le racisme épistémologique qui déprécie les connaissances et les savoirs qui ne correspondent pas au modèle de la pensée unique et de la conception euro-centrique de la connaissance et du savoir scientifique.
Elle démontre une insensibilité totale envers le phénomène de la pauvreté et des inégalités qui s’accroissent année après année, les dictatures militaires qui répriment la population avec des méthodes mortifères, les morts des personnes migrantes qui fuient la faim et cherchent de meilleures conditions de vie pour elle et leur famille, les discriminations de genre, d’ethnie, de culture, de religion, de classe sociale, d’identité sexuelle et la destruction de l’environnement, etc.
Résignation ou réponse adéquate ?
Comment répondre au discours de la haine ? Devons-nous être résignés devant l’Internationale de la haine et ses manifestations de violence ? Absolument pas. M’inspirant du livre de Caroline EMCK : « Contre la haine » (Taurus, Madrid 2017), je vous présente le catalogue suivant :
1. Ne pas se taire devant les haineux, ni nous laisser effrayer par eux, ne pas avoir peur des représailles. La défense de l’égale dignité de tous les êtres humains doit être défendue sans peur comme un impératif catégorique qui n’admet ni le silence ni la lâcheté.
2. Ne pas considérer la haine comme quelque chose de naturel, mais comme quelque chose qui s’incube, se programme, se cultive, se fomente à travers les différents mécanismes que possèdent ceux qui la pratiquent et ceux qui les appuient.
3. Ne pas répondre à la haine par plus de haine, parce que, comme dans le cas de la réponse violente aux pratiques de violence, cela engendre une spirale sans fin de la violence, la réaction discursive et pratique de la haine aux discours et aux pratiques de haine engendre une spirale imparable de haine.
4. Analyser le contexte dans lequel se produit la haine et les causes qui la provoquent pour aller au fond de ces attitudes et de ces pratiques et ne pas demeurer en superficie.
5. Faire l’éloge engagé du différent et reconnaître les autres non pas comme des altérités niées, mais comme égaux et différents à la fois.
6. Observer la haine avant qu’elle n’éclate pour prévenir ses conséquences mortelles. Cela requiert des analyses rigoureuses des situations et des contextes ou cela se produit.
7. Avoir le courage de confronter les tenants de cette idéologie comme condition nécessaire pour défendre la démocratie puisque déjà la haine politiquement organisée constitue l’une des plus grandes menaces à la démocratie.
8. Adopter une vision ouverte de la société, respectueuse du pluralisme à tous les niveaux: politique, religieux, social, culturel, ethnique, etc.
9. Pratiquer l’ironie et le doute, celle qui fait défaut à ceux qui propagent la haine, qui sont fondés sur des certitudes absolues, des identités singulières et des sécurités égolâtriques, des geste enragés et des attitudes violentes. Face au discours de la haine, nous devrions suivre la proposition de Frida Kahlo:
« Rire m’a rendu invincible, non pas comme ceux qui gagnent tout le temps, sinon comme ceux qui jamais ne se rendent. »
10. Construire des communautés non discriminatoires, intégratrices où il y a de la place pour tous et toutes, pour la nature aussi, en pratiquant l’éco-fraternité-sororité, la citoyenneté du monde et celle qui prend soin, qui tient pour égaux aux différents genres.
11. Respecter et reconnaître la dignité et les droits de la nature, de laquelle nous faisons partie, face à la déprédation dont elle est l’objet de la part du modèle de développement techno-scientifique de la modernité.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Oumarou Ibrahim, militante tchadienne pour l’environnement
Intervention au Sommet économique de Davos le 21 janvier 2020
J’aimerais commencer par ce que Greta a dit. “Notre maison brûle”. Elle l’a dit au début et à la fin de son discours. Pour les indigènes, quand ils disent que la forêt brûle, ce n’est pas une métaphore, c’est notre vraie maison qui brûle. Parce que les peuples indigènes du monde entier, qu’ils viennent du Tchad, de l’Amazonie ou de l’Indonésie, dépendent de cette forêt. C’est notre nourriture, notre médecine, notre pharmacie, notre école.
Pour les peuples indigènes du Tchad et surtout pour ma communauté qui sont agriculteurs et éleveurs de bétail, toujours nomades, nous ne dépendons pas de la fin du mois.
Nous dépendons de la pluie de l’automne. Et l’impact climatique, c’est dans notre vie de tous les jours, dans notre vie sociale. Notre environnement quand la pluie devient de plus en plus courte. Avec une forte pluie qui peut inonder toutes nos cultures. Ou avec une sécheresse qui peut assécher toute notre nourriture. Ce qui amène les communautés à se battre entre elles pour avoir accès à ces ressources qui se raréfient. C’est notre réalité.
Quand la forêt brûle en Australie, en Amazonie, c’est la forêt qui disparaît. Mais dans ma région, au Sahel, ce sont les gens qui meurent à cause du changement climatique, qui perdent la vie. Nous ne pensons pas à l’avenir. Et c’est aussi pour cela que lorsque les gens parlent d’objectifs pour 2050, pour moi, c’est vraiment absurde! D’ici 2050, il n’y a pas de solution pour cette planète, nous avons besoin de solutions maintenant.
Donc quand on entend parler de la migration, qui devient de plus en plus importante, on migre juste pour s’adapter, pour avoir accès aux ressources, et c’est aussi ce qui s’est passé le mois dernier au Burkina Faso, au Mali, au Nigeria et ainsi de suite.
Les gens qui vivaient en harmonie entre eux, les éleveurs et les agriculteurs, maintenant ils se battent, ainsi la nature qui nous protège devient un ennemi pour les peuples. C’est ce que nous vivons chaque jour et cela change la vie sociale des hommes et des femmes. Et nous en subissons de plus en plus les conséquences.
C’est pourquoi je pense qu’il faut agir maintenant, et c’est aussi pour cela que les entreprises doivent agir pour le bien de tous, qu’ils doivent changer leurs manières de faire le plus rapidement possible. Mais agissons-nous maintenant ? Agissons-nous pour le vrai monde ?
Alors ne parlez pas d’émission zéro d’ici 2050, mais d’accélération dès aujourd’hui. Changez vos politiques, changez vos entreprises. Parce que pour nous, les peuples indigènes, nous sommes déjà en train de changer et de nous adapter. Laissez-moi vous dire pourquoi. Parce que les peuples indigènes sont partout dans le monde. Nous avons la sagesse, nous sommes les plus touchés, mais nous comprenons la nature. Nous avons développé les connaissances, nous nous sommes adaptés et nous savons comment restaurer les forêts qui brûlent.
Regardez les nouvelles, par exemple dans “The Guardian” ils ont parlé des indigènes d’Australie. L’exemple de deux vieilles femmes qui protègent leurs terres parce qu’elles savent comment éloigner le feu est flagrant. C’est le cas de tous les peuples indigènes. Je peux aussi vous donner l’exemple d’une grand-mère vivant sur une île du Pacifique, elle sait où trouver les crabes après un ouragan pour nourrir sa famille. Demandez à mes oncles et à mes tantes, qui sont éleveurs de bétail, quand ils se déplacent, ils savent comment restaurer l’écosystème.
Les entreprises ont donc besoin de nous parce que nous sommes l’avenir : nous sommes la solution en tant que peuples indigènes. Vous devez donc nous écouter, apprendre de nous et faire en sorte que votre entreprise soit durable. Vous ne pouvez pas tuer votre partenaire, la nature. Pour nous, la nature est le partenaire qui nous protège. Ainsi, vous devez protéger votre entreprise en écoutant la nature et en nous écoutant nous. Nous sommes heureux de le faire.
Quand on parle de l’électricité, cela ne fait pas de sens pour les pays en développement. Pour des gens qui ont de la difficulté à se procurer de la nourriture, qui ne peuvent pas manger trois repas par jour, vont-ils penser à avoir de l’électricité qui va augmenter leur facture ? Je pense donc que nous devons parler de cette inégalité entre la technologie, le développement et les besoins des gens avant de parler de la manière dont nous pouvons lutter contre le changement climatique avec l’énergie ou pas. Par contre, les pays développés doivent passer, dès maintenant, de l’énergie du charbon ou autres énergies fossiles, aux énergies propres. Mais pas pour les pays en développement la priorité est d’abord de manger et de se concentrer ensuite sur l’énergie.
Quand on parle d’arbres, je pense que la plupart des grandes puissances croient que planter des arbres est une solution au changement climatique, sans réfléchir davantage aux conséquences. Il importe de planter des arbres oui, mais comment conserver ceux qui existent, les écosystèmes qui existent déjà, comment les restaurer, comment les protéger, nous ne pouvons pas simplement donner l’excuse de planter des arbres tout en continuant de couper pour le papier ou autres utilisations pour faire plus d’argent avec. Il faut être prudent. Planter des arbres est donc la deuxième phase et les peuples indigènes savent comment planter des arbres.
Quand vous allez sur leurs terres des peuples indigènes d’Amazonie, vous voyez qu’ils constituent l’écosystème le plus diversifié. Le gouvernement ne peut protéger les parcs nationaux des incendies, de la déforestation ou de l’exploitation minière illégale, mais les populations indigènes peuvent protéger leurs terres, c’est pourquoi l’écosystème est plus diversifié là-bas. C’est la même chose au Congo, parce que le Tchad est un pays désertique, mais il fait aussi partie de l’écosystème du Congo, c’est pourquoi nous le protégeons.
Nous avons donc les connaissances pour le faire, laissez-moi vous donner un exemple sur la manière dont nous restaurons l’écosystème. Ma grand-mère est la meilleure technologie qui soit, car elle peut prédire la météo sans avoir de téléphone portable ou d’internet, elle peut prédire le temps en observant la direction du vent, en observant la migration des animaux et les floraisons des arbres, elle peut dire à son peuple où aller chercher de l’eau et des pâturages. Ainsi, cette technologie pour restaurer l’écosystème permet à ma grand-mère de protéger son peuple. C’est ainsi que nous sommes protégés. Même si nous sommes les plus touchés par les changements climatiques, nous sommes encore debout et nous le resterons longtemps. Alors restaurons les écosystèmes et travaillons tous ensemble et ensuite nous pourrons planter les arbres.
Laissez-moi vous donner un dernier exemple concernant les arbres, la Grande Muraille Verte au Sahel. Nous disons que le Sahel est une grande terre de désertification, mais si les communautés se rassemblent et que chacune d’entre elles prend la responsabilité de restaurer sa propre terre, c’est la meilleure façon de planter des arbres. Et cela sans avoir à planter un million d’arbres n’importe où, mais en donnant aux gens la responsabilité de le faire eux-mêmes parce qu’ils savent qu’ils en dépendent pour leur survie. Voilà la manière de planter des arbres qui pour moi peut réussir.
Traduit de l’anglais par Wayana Carrier Doneys
Calendrier des activités engagés du mois de février 2020