Ça roule au CAPMO – février 2017, année 17, numéro 6
Essai de psychanalyse sociale
Chaque être humain est habité par une tension permanente entre l’enracinement et l’évolution, le besoin de sécurité et la soif de liberté. Si cette démarche de connaissance de soi se réalise avec amour, elle peut devenir source d’épanouissement et de rencontre, ouverture au monde et exploration de son plein potentiel créatif. Délivré des peurs et des préjugés, des aliénations modernes et anciennes qui le dissocient du monde, l’individu apprend à intégrer les différentes dimensions de son être et projette une confiance certaine en ce monde. Sa personnalité irradie la bienveillance et il se gouverne lui-même selon la loi universelle de l’altérité. En quête permanente de l’unité perdue, il se met à l’épreuve, établit ses limites, conquiert l’espace de sa finitude et lorsque son cœur bat au rythme de ses pas, sa propre vie produit du sens et acquiert une valeur infinie. Chaque individu demeure partagé entre un profond sentiment d’appartenance à un groupe auquel il s’identifie et grâce auquel il se définit : les amis, la famille, la patrie, et son désir d’être reconnu comme participant d’une culture universelle. La tension suscitée par son désir d’inventer sa vie et le non-être produit par une consommation à outrance créent chez lui un sentiment d’émiettement et d’éparpillement. À la recherche de repères que la modernité ne lui offre plus, il ne se reconnait plus dans la société de marché qui profane le sens des valeurs. Voulant combler son vide intérieur, il cherche à satisfaire aux exigences de la société en s’affichant aux yeux de tous. Épuisé par les rythmes effrénés des cadences de travail, il s’enferme dans une vision étroite du monde.
La différence renvoie à soi-même, au sentiment d’appartenance, à une identité commune qui se dissipe dans la poursuite des rêves individuels engendrée par l’ambition et la croyance en la réussite personnelle. Privé de chemin d’alliance avec les autres, le cosmos et lui-même, le passé, le présent et l’avenir, l’homme et la femme modernes s’égarent dans les méandres de leurs peurs et appréhendent l’avenir.
Le Québécois, la Québécoise, est porteur d’une culture originale en Amérique, mais il ignore toujours ce qui constitue sa richesse et son apport au monde. Depuis longtemps, il a perdu la trace des signes lui permettant de se rattacher aux espoirs de ses aïeux, au sens de l’histoire et de sa présence ici. Pourquoi s’obstine-t-il à vivre en français ? Qu’est-ce que cette langue commune et universelle apporte à son identité d’être humain, à la compréhension qu’il a du monde et de lui-même ?
Si elle semble porteuse de convictions profondes qu’il ne se reconnait plus lui-même, la différence lui apparaît toujours comme une menace. Se sentant amoindri devant l’autre qui affirme ses valeurs et son identité, son appartenance à une tradition religieuse et sa fierté culturelle, l’avorton de l’histoire ne possède plus que le reflet de lui-même qui se dissipe dans l’insignifiance de ses actes. La superficialité et l’ignorance ne peuvent être son credo, un malaise le trahit qu’aucun bouc-émissaire ne saurait guérir. L’effacement collective est une souffrance certaine conduisant à de nombreuses pathologies dont la dépression et l’angoisse de vivre ne sont pas les moindres. Ne rejetons pas sur les autres notre manque de courage et la faiblesse de nos convictions.
À l’aube des nouvelles synthèses culturelles, nous devons apprendre à intégrer nos différents héritages tout en demeurant conscients de l’esprit qui nous habite.
Yves Carrier
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LA THÉORIE DE LA VALEUR MARXISTE
On a vu que, dans la vision libérale, le travail était considéré comme du capital variable, un coût de production. Pour les marxistes, le travail constitue la principale source de la richesse et le profit ne devient qu’un élément de la plus-value, ce qui reste quand tous les coûts sont assumés : matières premières, équipements, transports, impôts, taxes, etc. et, en outre, la part la plus importante possible des profits est maquillée en coûts divers.
Toute activité économique ou presque serait inutile sans l’intervention des travailleurs et travailleuses qui transforment des produits bruts et sans utilité en des produits finis utilisables et surtout échangeables. Les autres travailleurs et travailleuses, transporteurs, récolteurs, vendeurs, permettent de réaliser la valeur créée par les transformateurs. En réalité, tous participent à leur manière à la création de la valeur.
La plus-value est la différence entre la valeur créée par la transformation du produit qui se réalise dans le prix et le salaire versé aux travailleurs et aux travailleuses. Marx y voyait une exploitation éhontée des travailleurs dont le salaire régi par les lois du marché était à peine suffisant ou insuffisant pour leur assurer une vie décente. Le salaire ne représente souvent qu’une infime part de la richesse créée par le travail.
Cela est due, selon Marx, au fait que les moyens de production sont privés alors que la production est socialisée, ce qui instaure des rapports de production injustes où les travailleurs et travailleuses ne contrôlent rien à moins de se syndiquer. Mais les syndicats ne changent rien à cette réalité d’ordre politique d’où la nécessité de s’organiser en partis et de prendre le pouvoir. Cent ans plus tard, après la révolution russe, nous pouvons tirer les leçons de l’ère communiste. Et nous le ferons à l’occasion d’une rencontre mensuelle en automne.
Cette théorie peut apparaître comme étant la plus juste et, si on y adhère, il est logique de militer pour le renversement du capitalisme et l’avènement du socialisme. L’exploitation, l’aliénation et l’injustice sont des réalités incontournables sans parler du désastre écologique. Le capitalisme menace la survie de notre monde, il n’y aucun doute là-dessus. Alors, que faire?
D’abord, il faut sortir de l’économisme basique des trois théories de la valeur que nous avons présentées. Elles témoignent du renversement des valeurs que nous connaissons depuis quelques siècles (depuis la Renaissance). Les valeurs spirituelles ont fait place aux valeurs économiques à cause de l’hypocrisie des classes dominantes du passé qui camouflaient sous des valeurs supérieures leurs plus vils intérêts. Et le peuple comme les intellectuels qui sont à leurs côtés n’ont pas été dupes.
Il existe peut-être une autre théorie de la valeur. Elle est selon moi en gestation. À suivre.
Robert Lapointe
Pour en finir avec la culture du déni
En moins de deux semaines, la Gaspésie et la Basse Côte-Nord ont connu deux événements météorologiques d’importance qui ont fait des ravages sur leurs côtes : fermeture de routes à la circulation, quai et promenade sérieusement endommagés à Percé, rue complètement rayée de la carte à Gaspé, commerces détruits, maisons endommagées à détruire ou à relocaliser, terrains disparus, infrastructures de chemins de fer détruites, mise en sécurité des sinistrés. « Les changements climatiques se font de plus en plus ressentir sur notre territoire », reconnaît la mairesse de Chandler, Mme Louisette Langlois.
Pour nous aider à comprendre le phénomène, à son émission Midi Info du 12 janvier dernier, M. Michel C. Auger a invité M. Réjean Porlier, maire de Sept-Îles, et M. Philippe Gachon, professeur de géographie à l’UQAM et spécialiste de l’évolution du climat.
Avec eux, nous y avons appris que les tempêtes du 30 décembre et du 11 janvier derniers ont constitué des « bombes météorologiques » de par la combinaison des grandes marées, de chutes de pression soudaines, de fortes précipitations et de puissantes rafales. De plus, le réchauffement climatique ayant réduit de façon significative la formation de glace sur le fleuve, l’absence de banquise le long des rives pour briser les vagues et la rareté des glaces au large pour réduire l’effet de la houle et la force des vagues ne contribuent plus à protéger les berges de l’érosion.
Contribuant à modifier la circulation des masses d’air à grande échelle, multipliant ainsi la rencontre des phases froides et chaudes à l’origine de la fréquence des tempêtes, nous assisterons dans les prochaines années à une augmentation de la fréquence et « plus particulièrement » de l’intensité des phénomènes météorologiques. Dans ce contexte, il est nécessaire de mettre fin à la culture du déni face au changement climatique.
Combattre la culture du déni
Dans cette lutte contre la culture du déni, nos experts invitaient les pouvoirs publics à arrêter d’intervenir à la pièce pour se doter d’une vision à long terme dans l’adoption de stratégies de reconstruction qui tiennent compte des zones à risque.
Or si les mesures d’adaptation s’avèrent nécessaires pour assurer la sécurité des citoyens et rentabiliser le plus possible les coûts de reconstruction, celles-ci n’agissent pas sur les causes des phénomènes climatiques provoqués surtout par la production, le transport et la consommation des énergies fossiles.
Le combat pour faire reculer la culture du déni relève de la responsabilité de tous : pouvoirs publics et citoyens. L’autorisation de l’exploration et de l’exploitation du pétrole sur l’île d’Anticosti ou ailleurs au Québec et la promotion du pipeline Énergie Est qui traverserait une bonne partie du Québec relèvent de la culture du déni. Il en est de même pour l’approbation par M. Trudeau de la construction du pipeline TransMountain sur la côte Ouest et auquel Mme Clark, première ministre de la Colombie Britannique, a donné son accord il y a quelques jours.
On le voit, les pouvoirs publics n’agiront que sous l’effet d’une parole citoyenne forte. Celle-ci passe par nos choix de consommation individuels et collectifs à faibles émanations de carbone, mais aussi en faisant pression sur nos dirigeants pour qu’ils adoptent de façon urgente des mesures de transition vers des énergies renouvelables qui s’avèrent de plus en plus compétitives et même économiques.
Le combat contre la culture du déni se veut un combat pour une culture de vie et de confiance en l’avenir pour nos enfants et petits-enfants. Faisons-le nôtre.
Pierre Prud’homme, 16 janvier 2017
Fidel ou le défi de la mondialisation capitaliste
François Houtart
Il est difficile de répondre à une demande de souvenirs personnels à propos d’une personnalité comme Fidel, sans tomber dans le défaut de parler plus de soi que du personnage. Cependant, c’est le défi que j’ai accepté. Mon premier contact avec Cuba date d’avant la révolution, en mars 1953, lors d’un congrès de la JOC. Après 1959, je me suis rendu dans l’île plus de 50 fois, rencontrant Fidel à une dizaine d’occasions. L’ordre chronologique sera suivi, accompagné de réflexions sur le contexte général.
La sociologie de la religion
En 1986 au début du dégel idéologique, après une période de lourde présence soviétique, quelques intellectuels marxistes persuadèrent les autorités politiques de l’importance pour les cadres du parti, d’une réflexion sociologique sur la religion. En effet, en contact avec les chrétiens actifs dans les mouvements révolutionnaires de l’Amérique centrale et avec les théologiens de la libération, ils ne pouvaient accepter que la ligne officielle soit de considérer la religion uniquement comme l’opium du peuple. Pendant 15 jours, ma collègue Geneviève Lemercinier et moi-même, impartirent cet enseignement, pour arriver à la conclusion que dans bien des cas, la religion était un calmant contre les révoltes populaires, mais qu’elle pouvait aussi constituer une motivation éthique pour un engagement révolutionnaire.
Le cours fut enregistré et publié en un volume que j’eus l’occasion de donner à Fidel. « En effet, me dit-il, il faut que je me remette à jour dans ce domaine ». Peu avant, il avait accordé une longue interview à Frei Betto, le dominicain brésilien, qui la publia sous le titre de Fidel et la Religion, ouvrage qui à Cuba fut vendu à plus d’un million d’exemplaires. L’année suivant le cours, le Congrès du parti supprima les articles de son règlement écartant les croyants de toute affiliation.
Cette succession de faits se déroulèrent à la moitié des années 80, quand s’amorçait déjà le déclin de l’Union soviétique. Après la crise des missiles de 1962, sa présence à Cuba s’était avérée très importante. Garantie que les Etats-Unis n’envahiraient pas l’île, soutien économique du pays intégré dans le COMECOM, l’URSS était un pilier essentiel pour la survie du pays. Cela explique son influence politique et idéologique : réorientation de l’économie et prolongation de la monoculture du sucre pour l’approvisionnement des pays socialistes; formation d’une bureaucratie d’Etat sur le modèle de la nomenklatura soviétique; manuels scolaires traduits du russe ; « période grise » pour les intellectuels cubains ; chercheurs écartés de centres d’étude du parti ; suppression du groupe et de la revue Pensée critique ; alignement sur l’URSS lors de son intervention à Prague, etc. Ce fut probablement le prix à payer pour ne pas disparaître comme société socialiste dans un océan capitaliste, à moins de 200 km des côtes des Etats-Unis. Cependant, jamais il n’y eut de vassalisation complète, au point que les soviétiques pensèrent à un moment se défaire de Fidel.L’esprit de José Marti, philosophe et écrivain cubain de la fin du XIX° siècle, tué dans la guerre d’indépendance contre le Espagnols, vivait toujours au sein d’un peuple épris de sa souveraineté.
Dans les années 90, le terrorisme était à l’ordre du jour. Fidel convoqua une réunion sur le sujet. J’arrivai le soir de la première journée et me rendis compte de la confusion existante sur le concept. Comme je devais prendre la parole le matin suivant, en plénière, je passai presque toute la nuit à travailler sur la notion de terrorisme. En arrivant dans la salle du palais des Congrès, je fus invité à prendre un café à l’arrière de la scène. Fidel arriva aussi et me dit :«Le terrorisme et inacceptable, de quelque camp que ce soit, les Palestiniens ou les Tchéchènes. Je pense pouvoir dire que durant la campagne qui nous mena de la Sierra Maestra jusqu’à La Havane, jamais nous n’avons tué un civil ». Cela correspondait avec la position que j’allais défendre et me rassura. A la fin du séminaire, avec un petit groupe, dont Abel Prieto, le ministre de la culture, lors d’un dîner avec Fidel, qui dura jusqu’aux petites heures du jour suivant, nous rédigeâmes un texte, incluant notamment la notion de terrorisme d’Etat, qui brillait par son absence dans la définition des Nations Unies.
En effet, l’adversaire fondamental restait les Etats-Unis, surtout depuis la nationalisation des entreprises sucrières et des raffineries pétrolières. La riposte ne s’était pas fait attendre: un embargo économique qui au cours des 50 dernières années, coûta au pays plus de 750 milliards de dollars et dont les conséquences infiltrèrent tous les secteurs de la vie sociale et individuelle : arrêt de nombreuses importations, amendes gigantesques à des entreprises ou banques étrangères ne respectant pas les normes américaines, difficultés d’accès à l’internet (monopole d’entreprises du Nord), jusqu’à la confiscation de prix scientifiques attribués à des Cubains. Accompagnait ces mesures une intense activité idéologique : financement des radios de l’opposition de Miami (radio Marti) inondant le pays de programmes anti-gouvernementaux, des dizaines de millions de dollars accordés chaque année, officiellement par le Congrès ou secrètement par les agences de renseignement, aux opposants au régime, à l’extérieur ou à l’intérieur.
A cela s’ajoutèrent les actions violentes : épandages de produits chimiques pour détruire des récoltes, actes terroristes dans des hôtels de l’île, bombardement des ports, explosion en plein vol d’un avion de ligne, tentative d’invasion (la baie des Cochons), le tout ayant coûté la vie à plus de 3000 Cubains au cours des vingt premières années de la révolution et finalement, des dizaines de tentatives d’assassinat de Fidel, déjouées par les services secrets du pays. S’il est vrai qu’à Cuba, une île, il y a une tendance à développer des théories du complot, il n’en reste pas moins que l’on ne lutte pas contre l’impérialisme, avec des spray anti-moustiques ! Le rôle de l’armée se vit renforcé et une fois de plus ce fut un « socialisme de guerre » qui dut s’installer.
La visite du pape Jean Paul II
Durant la visite pontificale, le gouvernement invita un groupe de 4 personnes pour suivre l’événement : dont Frei Betto et moi-même. Le jour après le départ du pape, Fidel nous convoqua pour un dîner avec l’ensemble de son staff : vice-président, premier ministre, secrétaire personnel, responsables des secteurs des religions, de l’Amérique latine, de la pensée politique. Il était visiblement satisfait : « Visite de plusieurs jours, discours du pape transmis en direct par tous les moyens de communication, des centaines de milliers de personnes sur les places, plus de 3000 journalistes, un service d’ordre non-armé (pas un révolver) et tout se passa sans incident » disait-il.
Quelques jours au paravent, il avait passé 4 heures à la télévision, expliquant le but de la visite et son admiration pour Jean Paul II, un homme sportif, courageux, moderne, de grandes connaissances et d’une conviction profonde. « Mais, dit-il, il est anticommuniste. Nous devons essayer de comprendre pourquoi ? Le communisme en Pologne n’est pas surgi du peuple, mais il été imposé de l’extérieur. Par ailleurs, l’Eglise catholique fut au cours de l’histoire le rempart de l’identité nationale contre les Suédois, les Prussiens, les Russes. Malgré son attitude, nous avons invité le pape et il pourra s’exprimer comme il l’entend. Si cela ne vous plait pas, ne réagissez pas, car il est notre hôte et si des responsables révolutionnaires sont présents lors de cérémonies, ne les applaudissez pas, car ce sont des actes religieux. Pour ma part, je serai présent à la messe sur la place de la Révolution à La Havane. »
Après son introduction au débat, lors du dîner, Fidel adopta un ton plus agressif, à propos de l’incident verbal provoqué par l’archevêque de Santiago, qui en présentant le pape, en profita pour attaquer le régime. Ce n’était pas son opinion qui irritait Fidel, car elle était bien connue, sinon le fait du non-respect de l’accord conclu avec la conférence épiscopale, après une consultation mutuelle de 8 heures, pour établir tous les détails de la visite et qui précisa qu’aucun incident ne serait provoqué, ni d’une part, ni de l’autre.
Pour lui, il s’agissait d’un manque d’éthique, qu’il attribuait à un accord au sein de la conférence épiscopale.
A ce moment, j’intervins : « Commandant, il n’est pas certain du tout qu’il s’agisse d’une répartition des tâches au sein de l’épiscopat. L’Eglise catholique ne fonctionne pas comme le Parti communiste. Chaque évêque est autonome dans son diocèse ». Le dîner se prolongea jusqu’à deux heures du matin. Le lendemain, je pris contacta avec le père Carlos Manuel de Cespedes, un de mes anciens étudiants et pendant longtemps secrétaire de la conférence épiscopale. Il me confirma que l’initiative de l’évêque de Santiago avait été purement personnelle et que le cardinal Jaime Ortega en était fort contrarié. Je transmis cette information au secrétariat de Fidel.
Durant le repas, Fidel aborda le thème de la doctrine sociale de l’Eglise (en sortant, il me montra sur son bureau la pile de documents qu’il avait consultés sur le sujet, notamment les encycliques des trois derniers papes). Il en fit l’éloge, au point que Giulio Girardi et moi-même intervinrent pour souligner certaines faiblesses, notamment dans l’analyse des sociétés en termes de strates et non de classes et indiquer la nécessité d’une autre démarche, celle de la théologie de la libération.
Les réunions sur la mondialisation de l’économie
A plusieurs reprises, entre 1990 et 2000 Fidel participa aux réunions convoquées par l’Association des Economistes cubains, sur le sujet. Invités à ces assises, rien moins que la Banque mondiale, le FMI, les prix Nobel de l’économie, jusqu’à l’auteur de la formule : « consensus de Washington ». Plate-forme inattendue pour la logique néolibérale ! Inutile de dire que ces thèses étaient soumises à de dures critiques. Je fis plusieurs exposés pour défendre l’idée d’un nouveau paradigme post-capitaliste : le Bien Commun de l’Humanité face à la crise systémique du capitalisme. Fidel clôturait les débats, par un discours de plusieurs heures jusque tard dans la nuit. Au cours des autres soirées, tous dansaient la salsa sans arrière-pensées.
Cependant, Fidel a toujours été implacable avec ceux qui, de l’intérieur ou de l’extérieur mettaient en danger le processus révolutionnaire, c’est-à-dire le projet d’une société plus juste, la reconnaissance politique du droit de tous à la vie, à la santé, à l’éducation, à la culture, au sport ; la transformation des valeurs sociales vers une solidarité réelle opposée à l’individualisme et à l’appât de la consommation. Beaucoup d’obstacles caractérisèrent ce parcours : la pauvreté du pays ; sa bourgeoisie parasitaire, qui heureusement quitta massivement le pays ; l’embargo économique ; la rigidité d’une économie d’Etat trop exclusive ; fin des années 70, un début de narcotrafic ;plus tard, la chute de l’URSS, entraînant une période d’austérité extrême ; la fragilité du Venezuela qui avait organisé via l’ALBA, une solidarité économique ; sans parler d’une opposition interne en bonne partie financée par les Etats-Unis et une réaction autoritaire parfois excessive.
Le Forum social mondial
A la veille du Forum social de Mumbay en Inde, un séminaire fut organisé à La Havane sur l’actualité du marxisme, auquel participa Fidel. J’avais choisi pour thème: une analyse marxiste du FSM, à présenter au sein d’un panel de 4 personnes, où chacun disposait de 15 minutes. Le premier intervenant, un Chinois fit un éloge interminable de Fidel, avant d’entrer dans son sujet. Suivit un latino-américain, intarissable. Isabel Rauber, une collègue qui me précéda, respecta son temps. Quand vint mon tour, selon l’horaire, il ne me restait plus d’espace. « Mes prédécesseurs ont mangé toutes mes minutes, déclarai je, aussi, selon l’exemple du commandant, j’essayera d’être bref. » Cela provoqua l’hilarité y compris du commandant, qui à plusieurs reprises, par la suite, quand il m’avait repéré dans l’auditoire, commençait ses discours en pointant son doigt et disant : « Je serai bref » et il parlait durant 4 heures.
Quand je terminai mon intervention, Fidel demanda la parole : « C’est au moment où de nouveaux gouvernements se mettent en place en Amérique latine et que l’impérialisme devient plus agressif, que le FSM décide de quitter le continent et d’aller en Inde. Pourquoi ? » Ma réponse fut brève: « Si le FSM veut être réellement mondial, il doit tenir ses assises dans les divers continents ». « Non, répondit Fidel, c’est le résultat d’une décision d’Européens, avec la complicité de quelques Brésiliens ». Je répondis : « Commandant, je ne crois pas, en l’occurrence, à une théorie des complots. C’est bien plus simple. Il s’agit d’internationaliser le Forum. Dire qu’il doit rester en Amérique latine, c’est du latino-américano-centrisme ».
Cela provoqua une explosion de protestations. Non seulement, j’avais osé contredire le leader suprême, mais c’était interprété comme une attaque à Cuba. Dans le tumulte, quelques uns défendaient ma position, notamment un syndicaliste, membre du Conseil international du FSM. La majorité appuyait le commandant. Abel Prieto se leva : « François, tu ne peux accuser Cuba d’américano-centrisme, alors que nous avons appuyé la lutte du Vietnam, combattu en Angola contre l’intromission de l’Afrique du Sud, envoyé des dizaines de milliers de médecins dans les lieux les plus déshérités du monde, formé des centaines de spécialistes du sud dans nos écoles ».
Je répondis « Cela n’est pas remis en question et tout le monde le reconnait, mais affirmer que le FSM doit rester en Amérique latine, c’est du latino-américano-centrisme ». La discussion reprit de plus belle. Fidel redemanda la parole ; « Y a-t-il des mouvements sociaux en Inde ? »Je répondis : « Commandant, non seulement ils existent, mais ils ont des dizaines de fois plus de membres qu’en Amérique latine ».
Le débat se poursuivit, bouleversant le programme de l’après-midi, lorsque Fidel déclara : « Il est 4heures et nous devons déjeuner. » La session reprit à 5 heures, avec les mêmes controverses, jusqu’à la fin du jour. Quelques mois plus tard, je revis Abel Prieto, qui me déclara : «Fidel m’a dit : c’est lui qui avait raison ».
La maladie de Fidel
En 2006, Fidel allait célébrer son 80° anniversaire. J’arrivai dans l’île quelques jours avant, au moment où l’on annonça son grave état de santé. Abel Prieto, ministre de la Culture, envoya sa voiture de fonction à l’aéroport (une vieille Lada en panne d’amortisseurs). Il me demandait de collaborer à l’élaboration d’un texte à faire signer par le plus grand nombre possible d’intellectuels et d’artistes à travers le monde, pour mettre en garde contre toute intervention extérieure.
Le travail fut intense. La première rédaction affirmait avec emphase la juste cause de l’héroïque peuple cubain. J’objectai à cette littérature imbuvable à l’extérieur. On refit plusieurs versions. Finalement je proposai l’exclusion de tout adjectif et de tout adverbe. Le projet définitif fut achevé un vendredi fin de journée. Or, sa présentation était annoncée pour le lundi matin. En moins de trois jours plus de 400 signatures furent obtenues, dont 4 prix Nobel. Les Cubains voulaient à tout prix la signature de Noam Chomsky, le linguiste américain, qui était toujours resté critique vis-à-vis de l’île. Par email, j’insistai auprès de lui et il signa.
Le lundi matin, la salle internationale de presse était comble. Les 4 principales chaines américaines étaient présentes. Les Cubains m’avaient demandé de présider la conférence et de lire le texte avec les principales signatures. Cependant, il était clair que les journalistes n’étaient pas là pour entendre cette déclaration. Ils voulaient des nouvelles de la santé de Fidel. Dès le début, je leur dis que nous n’avions rien à dire sur ce sujet. Parmi les questions, un journaliste me demanda ce que j’aurais à recommander aux évêques du pays. Je répondis que je n’avais aucun conseil à donner et que la conférence épiscopale avait d’ailleurs pris position dans une lettre pastorale, courte mais claire. Elle demandait des prières pour Fidel et pour le nouveau gouvernement, affirmant qu’aucune intervention extérieure ne serait justifiée.
Réunions avec les intellectuels
A deux reprises, au début de la décennie de 2010, à l’occasion de la Foire du livre, événement culturel qui réunit jusqu’à un million de personnes à travers l’île, se déplaçant de villes en villes, Fidel convoqua une soixantaine de participants pour des échanges d’opinion. Son état physique n’était guère brillant, ce qui ne l’empêchait pas de passer 7 à 8 heures à cet exercice. Intellectuellement parlant, il était parfaitement lucide. Il introduisait le débat, demandant à chacun de s’exprimer et prenait beaucoup de notes. Lors de la première session, il aborda la question des dégâts écologiques, thème qu’il avait traité depuis plus de 20 ans, avant tous les autres. Je fus impressionné de sa connaissance du domaine, ayant dû aborder le sujet en écrivant un livre sur l’agro-énergie. Il citait de mémoire de nombreux chiffres et développait une pensée montrant les contradictions du développement capitaliste détruisant la nature. Ses mises en garde étaient dramatiques, en même temps qu’il indiquait des solutions.
Lors des échanges, je fus aussi amené à intervenir, développant l’idée du Bien Commun de l’Humanité, comme paradigme de vie, face à celui de mort du capitalisme (dévastation de la nature et économie sacrifiant des millions de vies humaines pour la croissance). Le texte complet de cette intervention fut repris en annexe du livre qui relata le contenu de cette réunion. Fidel accorda à Ruth Casa Editorial, dont Carlos Tablada était directeur et moi-même président, les droits de publication en ebooks, de tous ses ouvrages.
Au cours de la seconde session, un an plus tard, Fidel fit part longuement de son inquiétude face à la dépolitisation de la jeunesse (un fait pas seulement cubain). Prenant les acquis de la révolution comme un fait accompli, n’ayant pas eu à lutter pour les obtenir, recevant une formation marxiste digne du petit catéchisme de l’Eglise d’avant le Concile Vatican II et attirés par les images d’une consommation débridée de la minorité la plus visible du monde capitaliste, ils sont amenés à réagir contre l’austérité du système cubain, sans publicité commerciale, mais aussi sans grande participation politique. Même s’ils restent très sensibles aux valeurs de la nation cubaine et pas nécessairement hostiles à la révolution, ils se désintéressent de la chose publique pour développer des valeurs plus individuelles, désirant découvrir le monde par eux-mêmes. Evidemment, ils n’ont aucune expérience existentielle des sociétés du Sud qui les entourent, prenant comme modèle les classes moyennes minoritaires, mais en expansion. Fidel était conscient de cet état de choses et demanda des avis. Malheureusement, on était en fin de journée et il n’y eut guère de réponses.
Revenons au rôle du parti pour la conscientisation populaire, sa tâche principale. Il difficile d’échapper à l’institutionnalisation bureaucratique, qui menace tous les appareils idéologiques, y compris les Eglises, et dans le champ politique, d’éviter que des organes de participation ne se transforment en instruments de contrôle (le cas des Comités de Défense de la Révolution). Il s’agit là de mécanismes sociaux, que certes, on peut surmonter par une référence éthique. L’aspiration à Cuba est plus d’ouverture, suite à une crispation due aux duretés de la lutte et à une certaine conception du pouvoir. Le parti unique pose aussi problème aux adeptes de la démocratie bourgeoise, habitués à la pluralité des organisations politiques. Ils oublient que, dans ce système, les avantages réels du pluralisme et d’une liberté des religions, de la culture, des organisations non gouvernementales, de la presse, et j’en passe, sont conditionnés par un unique paramètre : ne pas remettre en cause de manière efficace les rapports capital-travail, c’est-à-dire l’essence de la logique capitaliste. Dans le cas contraire, c’est la répression, la mise en place des dictatures (en Amérique latine, les années 60 et 70), les embargos, la guerre.
A la base, la démocratie cubaine est réelle : les membres du parti sont soumis à une approbation populaire. Un ministre libéral luxembourgeois, qui connaissait bien Cuba, me dit un jour : « Il y a plus de démocratie dans le parti cubain, que dans mon propre parti au Luxembourg ». Dans le processus électoral, il y a aussi des candidats sans parti, mais au fur et à mesure des échelons qui dépassent le local pour arriver au régional et au national, l’hégémonie du parti s’affirme sans surprise, ce qui est une garantie pour la continuité du projet économique et social (avec des discussions sérieuses sur les moyens d’y parvenir), mais aussi un risque de paralysie et même d’abus (reconnus officiellement).
Cependant, on ne peut oublier le poids de la lutte. Après la victoire de 1959, quelques 600 partisans de Batista furent fusillés. Lorsque le général Ochoa, héro de la guerre de l’Angola fut impliqué dans le narcotrafic, il paya de sa vie une telle déviation. Lorsque 75 opposants furent convaincus de recevoir des appuis financiers des Etats-Unis, ils reçurent de lourdes peines. Trois jeunes noirs ayant séquestré un ferry furent fusillés. À ce moment, je n’eus pas l’occasion de parler avec Fidel, mais étant au Venezuela avec Carlos Lage, le premier ministre, je lui dis : « Vous avez fusillé 3 délinquants, mais aussi 10.000 de vos partisans en Europe ». Il me répondit : « Mais il faut expliquer », ce à quoi, je répondis : « Il y a des choses inexplicables ». Plusieurs fois, je discutai avec Abel Prieto de la peine de mort, qui mettait Cuba au niveau des Etats-Unis, mais la réponse était toujours la même : « C’est notre seul moyen de pression contre les USA ». Cuba cependant déclara un moratoire. Quelques mois plus tard, Lage et le ministre des affaires étrangères furent destitués pour manque de loyauté et utilisation excessive des privilèges du pouvoir. Le premier reprit son travail de médecin et le second d’ingénieur.
Réaffirmer les principes de la révolution, tout en les adaptant aux nouvelles réalités, sans créer un processus d’accumulation individuelle ; réanimer la participation populaire en ouvrant des espaces nouveaux ; résister aux pressions extérieures du monde capitaliste, sont les grands défis à relever pour transmettre l’héritage de Fidel.
Première rencontre
Permettons-nous un retour dans l’ordre chronologique. Ma première rencontre avec Fidel relève de l’impromptu. Lors de mon second retour à Cuba, après la révolution, au moment de la mort du pape Jean XXIII, pour laquelle un deuil de trois jours avait été décrété, j’eus plusieurs réunions avec des membres de l’Eglise catholique, très traumatisés par les événements. La majeure partie du clergé était espagnole et pour eux, il s’agissait d’un remake de la guerre civile. Le chargé d’affaires du St Siège, Monseigneur Zacchi, que j’avais connu en Colombie, entretenait de bons rapports avec Fidel, ce qui lui valait l’hostilité de la majorité de l’épiscopat. Comme son secrétaire, canadien du Québec, était en vacances, il me demanda de l’aider pour sa correspondance en langue française. Le dimanche, nous nous rendirent à Varadero, qui n’était pas encore la plage touristique d’aujourd’hui, chez un médecin de ses amis, pour nager dans la mer des Caraïbes. De petits bateaux de la sécurité passaient et repassaient, laissant une désagréable odeur de pétrole, lorsque de la maison voisine, sortit Fidel, se préparant à partir à la pêche, suite à un voyage en URSS. Reconnaissant le nonce, Fidel fit un large signe, auquel répondit monseigneur Zacchi, bien embarrassé de ne pas porter sa croix pectorale !
Les ajustements structurels : le cas de Sri Lanka
Lors des réunions sur la mondialisation de l’économie, je présentai en présence de Fidel, un exposé sur la manière dont la Banque mondiale imposait l’ajustement structurel à Sri Lanka, pays que je connaissais assez bien, car j’y avais rédigé ma thèse doctorale sur une sociologie du bouddhisme et où je continuais à travailler avec le mouvement paysan MONLAR. En 1996, la Banque demanda au gouvernement de l’île de mettre fin à la production de riz, car il coûtait moins cher de se le procurer au Vietnam ou en Thaïlande. Pour se faire les autorités étaient priées de supprimer toute régulation des prix du riz, de faire payer l’eau d’irrigation aux paysans et de privatiser les propriétés collectives villageoises. En effet, le plan consistait à remplacer le riz par des monocultures d’exportation et les compagnies nationales et internationales intéressées au projet étaient toutes prêtes à racheter aux paysans, les terres ainsi nouvellement réparties.
Il y avait plus de 3000 ans que Sri Lanka produisait du riz. Celui-ci formait la base de la nourriture, avec ses flaveurs particulières. Il faisait partie de l’histoire, de la culture, de la littérature, de la poésie. Les rizières ondulaient sur les pans des collines, marquant les particularités du paysage. Foin la souveraineté alimentaire, en cas de catastrophes naturelles ou de conflits. La logique du marché était la loi qui devait s’imposer. Comme le gouvernement de l’époque, de sensibilité socialiste, n’obtempérait pas suffisamment vite à l’ukase de la Banque, celle-ci coupa tout crédit international au pays durant une année. Le gouvernement suivant, néolibéral, estima que l’idée n’était pas mauvaise. Cela permettrait de libérer un million de travailleurs pour l’industrie, notamment dans les zones franches où les entreprises étrangères développaient la production textile et l’électronique. Malheureusement, le moment était mal choisi. En effet, les travailleurs de ces zones avaient obtenu par leurs luttes sociales, certains avantages salariaux et sociaux. La main d’œuvre était devenue plus chère et les capitaux (loi du marché impose) quittaient Sri Lanka pour s’investir au Vietnam ou en Chine, où le coût du travail était moindre. Prise dans cette contradiction, fruit d’une même logique, la Banque dût abandonner le projet. Fidel fut impressionné par ce cas et il reprit souvent dans des discours sur le sujet.
La culture populaire
Peu après la fin de la « période spéciale », après la chute de l’URSS, en un moment de fortes restrictions économiques, Fidel relança l’idée de la culture populaire, avec une initiative nouvelle : introduire l’art au niveau de l’enseignement secondaire, comme matière ordinaire. Pour cela, il fallait former des enseignants, en musique, art plastique, tapisserie… Je fus invité par le ministre de la culture, à participer à la remise des diplômes, par Fidel, aux 800 premiers enseignants dans ces domaines, dans le gymnasium principal de La Havane, en présence de plusieurs milliers de jeunes des écoles sociales. A la fin de cette cérémonie, Fidel me dit : l’être humain n’est pas seulement une machine économique. Il doit pouvoir s’épanouir culturellement et le devoir de la société est de lui en donner la possibilité.
Fidel et Chavez
A plusieurs occasions, je participai à des actes publics qui réunissaient ces deux acteurs politiques-clés de l’Amérique latine. L’une d’entre elles fut la célébration du premier mai à la Havane, peu de temps avant la maladie de Fidel. Surla tribune, j’observai de près son attitude lors du discours de Chavez, à la fois la satisfaction de voir émerger un leader qui reprenait le flambeau et l’émotion d’avoir engendré une filiation nouvelle. La cruauté du sort voulut que ce soit lui qui lui survive.
Il est vrai qu’en Amérique latine, ce qu’on appelle le caudillisme, forme traditionnelle de la culture politique, a fait bien des ravages, même chez des leaders partisans du changement. La dimension de Fidel dans l’ordre intellectuel, sa préoccupation éthique, ses jugements politiques, sa capacité d’anticiper et son caractère de leader historique de la révolution, compensèrent en quelque sorte les inconvénients du système, sans cependant les éliminer complètement.
Une autre opportunité me fut offerte, lors de la cérémonie de présentation de « l’opération miracle » dans le théâtre Carlos Marx de La Havane. Face à près de 4000 personnes, Fidel et Chavez expliquèrent la philosophie et le fonctionnement de cette action commune en faveur des mal-voyants, qui rien que dans le sous-continent latino-américain, comptaient quelques 10 millions de personnes. Grâce aux techniques médicales cubaines et avec l’appuis financier vénézuélien, il s’agissait de guérir ou de soulager le sort des patients incapables financièrement d’avoir accès aux soins dans leurs pays. De fait, en quelques années plusieurs millions de malades furent soignés. Le nom de l’opération avait une source biblique : « les aveugles verront ». A un moment, Chavez sortit de la poche de sa veste un petit crucifix, qu’il présentait régulièrement comme une référence à Jésus, « un des premiers socialistes ». Réaffirmant cette conviction, il se tourna vers Fidel en disant : « Je te l’offre ». Un moment déconcerté, Fidel se reprit et répondit : « Je l’accepte ». L’assemblée applaudit longuement.
Mes contacts avec la société cubaine ne se limitèrent pas aux leaders politiques. Ils inclurent de nombreux intellectuels, le monde universitaire, les centres de recherche, des artistes, mais aussi les étudiants de La Havane et de Santiago, le monde paysan, le public des paroisses catholiques, la minorité protestante, des membres de la santeria et des cultes afro-cubains. Cela me permit de constater l’importance sociale et culturelle de la révolution cubaine, qui dans une certaine mesure créa « l’homme nouveau » dont parlait le Che, sans échapper évidemment aux contradictions de tout processus politique de changement. L’histoire dira quel fut le rôle de Fidel dans ces 50 ans pour appuyer un projet de transformation interne et de solidarité internationale, qu’il parvint à inspirer à travers tout.
Peu de jours après sa mort, je fus invité à Quito à une commémoration dans la « chapelle de l’homme », nom du musée Guyasamin, le peintre équatorien qui réalisa 4 portraits de Fidel à différentes périodes. Le lieu avait été inauguré quelques 10 ans au paravent, par Fidel, Chavez et Lula.C’était le jour international de la médecine cubaine. Près de 200 médecins en blouse blanche, Cubains travaillant en Equateur et Equatoriens formés à Cuba, chantèrent en rythmant lentement les paroles : Guantanamera… Un grand personnage avait quitté ce monde.
Message de condoléance aux familles et à la communauté victimes de l’attentat terroriste de Québec
Reposez en paix Ezzedine (Azzeddine) Soufiane, Boubaker (Aboubaker) Thabti, Ibrahima Barry, Abdelkrim Hassane, Khaled Belkacemi, Mamadou Tanou Barry. Mes plus sincères condoléances à leur famille, amis, élèves, clients, collègues et à toute la communauté du Centre culturel islamique de Québec. Nous sommes tous en deuil de nos concitoyens.
Je veux témoigner à vous tous qu’une amie marocaine a transformé ma vie à jamais, en bien. Je ne serai jamais assez reconnaissante. Je suis profondément chrétienne, mais par sa foi musulmane, cette amie ma aidée à me rapprocher davantage de Dieu, à approfondir le sens du jeûne et de la charité. Le mal être identitaire des »québécois d’origine », c’est notre problème et nous n’avons pas a faire porter ce fardeau à la communauté belle et fière que vous êtes. C’est facile et confortable de trouver des coupables de tout notre mal être à l’extérieur de soi. Parce que c’est trop dur et souffrant d’entrer en soi. Trop de québécois semblent vivre surtout à l’extérieur d’eux-mêmes, se confortent dans le confort et le matérialisme. Il est difficile pour eux d’entrer en eux-mêmes, de contacter leur intériorité, de s’ouvrir à ce qui dépasse leur personne, à ce qui ( pour moi) est Dieu.
Pourquoi des gens ont-il peur de vous rencontrer? Votre contact très riche m’a aidé à recontacter mes propres racines, mon identité. Nous sommes tous des êtres humain avec beaucoup en commun. Nos quelques différences offrent une altérité nécessaire pour se décentrer de soi et devenir des meilleures personnes. Merci à vous. Vous m’avez permis de grandir et vous me permettez encore de le faire. Et vous permettez de faire grandir la société québécoise. Ensemble, nous en faisons tous partie.
C’est un baume sur mon cœur d’avoir été la vigile de lundi. Ça me confirme que la majorité des québécois et des québécoises »d’origine » ne sont pas ainsi ou que du moins, au moment où adviennent des tragédies, il y a encore de cette grandeur d’âme et des valeurs profondes qui les animent. Il ressort alors ce qu’il SONT véritablement, la bonté ancrée profondément en eux.
L’attentat terroriste du Centre culturel islamique de Québec n’est PAS un acte isolé. Au Québec, ces dernières années, il y a eu une gradation constante de la violence envers les musulmans et musulmanes. Je connais plusieurs musulmans et musulmanes pour lesquels la discrimination est un lot quotidien. Quoi qu’en disent certains politiciens, l’islamophobie est omniprésente au Québec et je m’engage personnellement à ne plus tolérer le moindre acte d’islamophobie et à le dénoncer.
Salam Aleykoum. Paix à vous. Union de prière.
Emilie Frémont-Cloutier