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Ces misanthropes qui nous gouvernent
par Yves Carrier
La misanthropie est l’art de détester et de mépriser le genre humain sans aucune distinction de genre. Donc, si on adore l’argent, il y a de fortes chances qu’on méprise tout ce qui est partage, accueil et solidarité. Être riche, c’est se suffire à soi-même et ne plus avoir besoin des autres pour grandir en humanité, c’est aussi s’enfermer dans la matière qui engourdit l’esprit et éteint la flamme de la générosité et de la compassion. C’est vivre dans la peur permanente que quelqu’un s’en prenne à son bien que l’on confondavec son être. Boaventura de Sousa Santos nous prévient pourtant que l’humanité est régie par deux forces : la peur ou l’espoir. Avoir le cœur prisonnier de l’argent, c’est cesser d’appartenir à l’espèce humaine et choisir un destin solitaire, loin de tous. C’est tourner le dos à la souffrance, mais aussi à la réalisation du bonheur d’autrui en les aidant à réaliser leur plein potentiel d’humanité. C’est s’approprier les voies de l’avenir et usurper le devenir du genre humain. C’est être un fossoyeur de peuples. D’abord les autres là-bas dont on peut m’enrichir sans crainte de représailles, puis ici, pour affirmer sa domination et la distance qui le sépare du commun des mortels, parce que lui, tout-puissant, aspire à l’éternité.
Être riche, ou vouloir le devenir, c’est être bien pauvre en fait, “car là où est ton trésor se trouvera ton cœur.”
Pour le théologien espagnol José Regi : “Les cœurs qui ne ressentent rien sont incapables de voir la misère du monde, de même les yeux qui ne savent pas regarder n’ont pas de cœur leur permettant de comprendre la réalité.” Le cash n’est pas une façon de regarder un peuple et de comprendre sa marche à travers l’histoire. L’argent doit demeurer un outil au service de l’épanouissement de la communauté humaine, pas un instrument de domination réservé aux égoïstes. La richesse appartient à tous et à toutes parce que nous contribuons tous et toutes à la créer. De plus, les riches s’accaparent la richesse des nations davantage qu’ils ne contribuent à la créer. Une révolution des consciences et des cœurs s’avère nécessaire si nous souhaitons changer le monde.
Si nous continuons de suivre aveuglément cette bêtise qui s’appelle néolibéralisme, nous creuserons la tombe du genre humain et les universités qui l’enseignent comme une vérité scientifique sont aussi responsables de ce désastre. Rappelons-nous que toute idéologie sécrète sa propre logique aveugle aux externalités. Une rationalité détachée du bon sens le plus élémentaire ne peut produire que des holocaustes.
Lorsque nous regardons le monde avec notre cœur, qu’est-ce que nous voyons ? “147 groupes contrôlent 40% de l’économie mondiale, les 85 personnes les plus riches de la planète accumulent l’équivalent de ce que gagnent en une année 3 milliards des pauvres du monde, et cela sans oublier qu’à chaque année, entre 13 et 18 millions d’êtres humains meurent de faim (Oxfam, janvier 2014).”
La dignité humaine est le champ de l’histoire que nous devons investir parce que l’autorité morale est supérieure à la légalité des possédants. Dans le dernier rapport d’OXFAM intitulé : « À Égalité, Il est temps de mettre fin aux inégalités extrêmes », certains des plus fortunés de la planète commencent à dire eux-mêmes que nous sommes allés trop loin dans la concentration de la richesse. « Tout comme n’importe quelle révolution mange ses enfants, le capitalisme sauvage peut dévorer le capital social essentiel au dynamisme à long terme du capitalisme lui-même. Les idéologies tendent naturellement vers les extrêmes. Le capitalisme perd le sens de la modération lorsque le crédit dont jouit le marché se transforme en croyance religieuse. Le capitalisme sauvage (sous la forme de cadres réglementaires allégés, de croyance que les bulles ne peuvent pas être identifiées et que les marchés s’assainissent toujours d’eux-mêmes) a directement contribué à la crise financière et à l’érosion du capital social qui en découle. » Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre. Tout le monde devrait lire ce rapport d’OXFAM.
Spiritualité de la citoyenneté
PARDONNEZ LEUR, CAR ILS NE SAVENT PAS CE QU’ILS FONT!
Par Robert Lapointe
Jésus visait les gens entraînés dans la spirale du mimétisme, de la rivalité mimétique, dirait René Girard. Mon directeur de thèse au doctorat parlait de l’échec des relations interpersonnelles pour expliquer le démembrement de la société dite primitive. Les deux phénomènes se rejoignent. Les efforts déployés par les sages dans cette société consistaient à aplanir les rivalités qui pouvaient naître entre deux guerriers par exemple en quête de reconnaissance sociale. Quand on essaie d’avoir le meilleur sur un autre, de s’affirmer comme plus utile, on trouve souvent de bonnes raisons pour dévaloriser autrui, de bonne justifications; et l’on ne se rend pas compte, ou on ne veut pas savoir que l’on participe à une escalade qui peut mener à la violence en tentant d’éliminer un rival devenu victime émissaire responsable du fait que cela ne tourne pas rond ou comme on veut dans le monde. Le syndrome d’Abel et Caïn est universel, comme celui d’Adam et Ève; d’ailleurs, ces épisodes ne sont pas dans la Bible pour rien. Le mécanisme est présent dans le Livre de Job, dans la vie de David et dans le Nouveau Testament. Pour désamorcer la violence, il faut prendre conscience de ce mécanisme dans notre vie de tous les jours, dans nos organismes, dans nos sociétés. On veut toujours paraître mieux que les autres, conséquence de nos besoins d’affirmation de soi, de reconnaissance et d’intégration sociales. Au-delà de nos justifications qui peuvent être valables, admettons, il faut toujours se demander si on ne participe à un mécanisme de bouc émissaire, lequel est un mécanisme qui mène à la violence. En quoi consiste ce mécanisme? Deux personnes sont en rivalité pour se faire valoir en société ou au regard de Dieu (Abel et Caïn). La rivalité s’accroît entre elles au point, par l’effet de la haine, d’en oublier les motifs ou les objets du différend. Chacun essaie de rallier d’autres gens à sa cause, en trouvant des justifications, afin d’isoler l’autre et de l’éliminer. On passe de la rivalité mimétique au bouc émissaire. La société est soit divisée, parfois détruite, mais peut aussi être sauvée, pour un temps seulement, en attendant que le phénomène se reproduise si les vrais causes ne sont pas élucidées, par la transformation du rival en victime émissaire, victime de sa mauvaise différence et chargée de tous les péchés du monde. C’est ce mécanisme qui a tué Jésus et c’est ce qu’Il est venu dénoncer sur terre. C’est pour cela que le passage de Jésus sur terre et Sa Passion est l’événement historique, politique et social le plus important de l’humanité. On ne peut réduire ce passage à un fait religieux et spirituel. Il s’agit d’une spiritualité incarnée, transcendée dans tous les domaines de la vie. La Passion du Christ est au cœur d’une théorie de la société civile. La vie associative et épanouie est liée à une grande qualité des relations interpersonnelles où il est affirmé avec vigueur que chaque personne y trouve sa place, a droit à sa reconnaissance en sa dignité d’être humain et en son utilité. Cela implique l’amour de ses adversaires, de ses rivaux, la prise de conscience du mécanisme de rivalité mimétique et à son éradication. Quand je dis du mal de quelqu’un, que j’émets des critiques, que je m’en prends à lui, est-ce pour mieux me faire voir, en dévaluant un rival, l’isolant.
Les activités sociales autour de la ligue de cartes s’élargissent parfois par des sorties, en mangeant ensemble (il paraît que ma cuisine est fort bonne), en ayant beaucoup de plaisir. Et chacun y met sa part. Tous les vendredis et dimanches au 435 du Roi, au 2ème étage, à compter de 16 heures. Et tout le monde est gagnant en construisant des relations interpersonnelles saines et en remportant des championnats. Bienvenue à toutes et à tous.
Lettre aux jeunes du Mexique
par Boaventura de Sousa Santos
L’auteur est économiste, intellectuel et professeur à l’Université de Coimbra au Portugal.Je m’adresse à tous mes amis et amies du Mexique. Si vous me le permettez, je m’adresse particulièrement à vous, jeunes du Mexique. Une commotion traverse le monde entier devant l’horreur du massacre des jeunes de l’École normale d’Ayotzinapa, dans l’État du Guerrero, et en particulier à cause de l’horreur des détails avec lesquels ont été perpétrés ces crimes.
Je comprends votre angoisse, votre colère et votre perplexité : Quelle genre de société permet que des gens apparemment normaux commettent des crimes si détestables ? Quel genre d’État peut être infiltré jusqu’à la moelle par le crime organisé et la violence des narcotrafiquants ? Quel genre de démocratie invite à la résignation devant des ennemis qui semblent trop forts pour être combattus, tandis qu’on y approuve des lois qui criminalisent la protestation pacifique ? Quel genre de police est-ce cela qui est complice de disparitions forcées et de tortures de citoyens innocents ? Quelle politique éducative est-ce cela qui persécute l’éducation rurale et ne permet pas que ces jeunes soient les héros de la vie communautaire qu’ils promeuvent, mais martyrs par la mort horrible qu’ils subirent ? De quelles commissions des droits humains parle-t-on, elles qui sont absentes du débat et qui omettent de dénoncer tant de crimes contre l’humanité tandis que les vrais défenseurs des droits humains sont assassinés ? Quel monde est-ce cela qui continue de faire l’éloge du président de la république pour le simple et unique fait d’avoir livré à l’impérialisme la dernière richesse du pays qui demeurait entre des mains mexicaines (PEMEX) ?
Je sais qu’il s’agit-là de trop nombreuses questions, mais le pire qui pourrait arriver, c’est que vous vous laissiez écraser par l’amplitude de celles-ci et que vous vous sentiez impuissants. La contingence de notre vie et de notre société est dominée par deux émotions : la peur et l’espoir. Sachez que cette violence vise à vous inculquer la résignation afin que vous soyez dominés par la peur et, surtout, par la peur de l’espoir.
Les puissants criminels savent que sans espoir, il n’y a pas de résistance ni de changement social possible. Nous savons qu’il est difficile d’échapper à la peur dans des conditions aussi dramatiques que celles que vous vivez. La peur ne peut être éliminée, mais ce qui importe c’est de ne pas céder à la peur, sinon de la prendre au sérieux pour pouvoir l’affronter et la dépasser efficacement. C’est ce que nous appelons l’espoir. Vous avez la force pour sortir de ce cauchemar, résister à l’illégalité et à la violences institutionnalisées pour construire une alternative d’espoir. C’est pourquoi l’organisation, l’appui populaire ainsi qu’une vision claire, non seulement politique, mais également éthique d’une société où il est possible de vivre dans la dignité et la paix, sont nécessaires.
Il existe plusieurs options et je ne m’étonne pas que vous les étudiez toutes. Je sais que certains d’entre vous cherchent à créer des zones autonomes, libres d’oppression et de domination. De telles zones libérées apparaissent fondamentales comme espace d’éducation pour que vous puissiez faire la démonstration aux uns et aux autres qu’il est possible de vivre de manière coopérative et solidaire pour que chacun et chacune puisse dire :
« Je suis parce que tu es. »
Mais au-delà des zones libérées, il est nécessaire d’affronter le pouvoir politique, économique et culturel, qui opprime et terrorise. Pour cela, il existe deux options de base et je suis convaincu que vous analysez les deux avec beaucoup d’attention : D’un côté, la lutte armée, de l’autre, le lutte pacifique, légale et illégale. Si vous me permettez, je vous dis que l’histoire nous enseigne que la première est uniquement nécessaire lorsque toutes les autres options ont été épuisées. La raison en est fort simple : la lutte armée obtient difficilement l’approbation populaire si elle oblige à sacrifier la vie pour défendre la vie.
Alors, la question est la suivante : Existe-t-il un espace de manœuvre suffisant pour qu’il y ait une alternative pacifique ? Humblement, je pense que oui parce que la démocratie mexicaine, malgré qu’elle soit très endommagée et violée, est dans notre cœur, comme le démontre vos luttes contre toutes les fraudes électorales successives que vous avez subies.
Voyez l’expérience au sud de l’Europe, où le chômage des jeunes donne lieu à des innovations politiques intéressantes, des partis-mouvements qui assument dans leurs structures mêmes les processus de démocratie participative, où les visages connus sont les porte-paroles des processus de délibération très créatifs où participent des milliers de citoyens et de citoyennes. Je souligne, des citoyens et des citoyennes. Lamentablement, dans plusieurs pays, et le Mexique ne fait pas exception, les traditions de lutte ont un style assez autoritaire, machiste et verticale. C’est sur ce plan qu’il faut approfondir la démocratie participative, surtout quand nous savons que les femmes ont été si souvent les cibles favorites des assassins. Serait-il possible, qu’au Mexique, naisse un nouveau parti-mouvement organisé par les jeunes, garçons et filles ?
Vous connaissez la réponse, mieux encore, vous êtes la réponse. Cela ne sera pas facile parce que les seigneurs du pouvoir vont tenter de criminaliser votre lutte pacifique. Il faut assumer le coût de la résistance pacifique même si elle est déclarée illégale, assumer ce risque au nom de l’espoir. La peur de l’illégalité doit être confrontée avec la conviction de l’illégalité de la peur. C’est là où se situe l’espoir.
Accolade solidaire
Traduit par Yves Carrier
Réflexion sur la rareté des ressources
par André Huot
Imaginons que nous sommes 10 personnes qui vivent en plein désert, à plus de 1000 km de toute civilisation et de tout point d’eau. Nous sommes autosuffisants sauf pour l’eau qui est livré une fois par année dans une citerne de 365 mètres cubes, soit l’équivalent d’un mètre cube par jour ou 1/10 de mètre cube par personne et par jour.
Que se passe-t-il si une des dix personnes décide de prendre 1 mètre cube/jour, en disant que cela le regarde et qu’il n’y a rien à craindre tant que la pression demeure stable au robinet ? Et si les neuf autres personnes de faire pareil, qu’est-ce qui va arriver ? (Vous pouvez lui répondre en écrivant un mot dans la Feuille de chou du CAPMO).
Que se passe-t-il si l’une des dix personnes signale que la pression semble diminuer dans le réservoir, mais que rien ne permet de le mesurer précisément ? Que se passe-t-il si une des dix personnes annonce qu’à ce rythme de consommation de l’eau, tous périront de soif avant la fin de l’année.
Qui est responsable d’assurer le respect de la limite ? Qui est responsable de signaler le non respect de la quantité d’eau pouvant être consommé par chacun à chaque jour ?
S’il est impossible de mesurer précisément le volume restant, quelle valeur devrait être retenue ?
Si quelqu’un refuse de reconnaître et de respecter la limite, qui est-ce qui devrait intervenir, et comment ?
La Terre étant sphérique, ses ressources sont limitées. La limite varie d’une ressource à l’autre, mais l’épuisement d’une ressource vitale est fatal. Quelles sont les ressources vitales dont l’humanité a besoin pour survivre ? Qui devrait évaluer ces limites ? Qui devrait signaler leur non respect ? Qui devrait intervenir et comment en cas de non respect ?
Mesures d’autérité : une atteinte pour les droits humains ?
Par Lucie Lamarche et Dominic Peshard, lettre ouverte parue dans la revue Ricochet.
D’un ballon d’essai à l’autre, les Québécois-e-s comprennent que le gouvernement actuel est entré dans l’ère de l’austérité. Cette stratégie consiste essentiellement à réviser les programmes destinés à offrir des services publics. C’est donc à coup de coupures et de compressions que nous renouerons avec la prospérité, dit le gouvernement.
La Ligue des droits et libertés du Québec (LDL) est un organisme de défense des droits humains et, à ce titre, elle est légitimée de soulever la question de la prise en compte de ces droits par la Commission de révision permanente des programmes.
En effet, les droits humains s’imposent à tout gouvernement et ce, au-delà de l’ordre du jour politique. Les droits humains ne constituent pas un luxe, voire une idéologie, mais bien une exigence démocratique. Or, tant sur le plan des modes de consultation que sur celui de la sauvegarde des droits eux-mêmes, et notamment des droits sociaux, le gouvernement actuel manque à ses devoirs.
Dans le contexte québécois, on peut s’interroger au sujet de l’évocation d’une crise économique. Quelle crise ?
L’Europe a récemment joué dans un film de même nature. Et des troïkas diverses ont imposé à des citoyen-ne-s des stratégies dites d’austérité. Pensons à la Grèce, au Portugal ou à l’Espagne. Les conséquences catastrophiques de telles stratégies ont récemment fait réagir le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans un document rendu public en 2014 et intitulé « Protéger les droits de l’homme en temps de crise économique ».
Dans le contexte québécois, on peut s’interroger au sujet de l’évocation d’une crise économique. Quelle crise ? Mais au-delà de cette question fort importante – le Québec n’est pas en crise – on peut tirer des enseignements intéressants du document rendu public par le Commissaire.
Déjà en 2012, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait signalé dans un Rapport que la consolidation budgétaire, ce qui est peut-être plus près de la stratégie du gouvernement québécois, aggravait la crise sociale. En 2014, le Commissaire prenait acte de cette crise sociale qui illustre de nombreuses atteintes aux droits humains.
On apprend dans le Rapport de 2014 que le chômage européen a augmenté de façon draconienne dans la zone euro, mettant ainsi en péril le droit de travailler de même que celui à un niveau de vie adéquat; que les réformes dans les régimes de retraite et dans les programmes d’assistance sociale ont augmenté la vulnérabilité des personnes, diminuant ainsi leur droit à la sécurité sociale; que le droit au logement est également affecté, entraînant une augmentation du nombre des sans-abris; que les nombreuses réductions des budgets alloués à l’éducation ont réduit l’accessibilité et la qualité de l’éducation. Ces atteintes concernent aussi les droits civils et politiques. Ainsi, ces mesures ont été implantées en faisant fi de toute exigence de transparence, voire d’une consultation effective des populations.
Et que dire des médias, dont la liberté et les moyens ont été réduits à une peau de chagrin ?
Bref, vu sous l’angle de l’exigence des droits humains, l’austérité ne fonctionne pas et ne constitue pas une stratégie acceptable. Et avec un léger décalage temporel, on constate que les mesures d’austérité envisagées par le gouvernement québécois sont de même nature que celles dont les conséquences affligent les populations en Europe. Dans le contexte européen, des tribunaux nationaux ont même dans certains cas conclu à l’inconstitutionnalité des mesures d’austérité (en Grèce et au Portugal, notamment).
L’élimination du déficit budgétaire, ici comme ailleurs, ne constitue pas une excuse légitime qui exempterait le gouvernement d’une part, d’une analyse des effets de ces mesures sur les droits, et d’autre part, de la participation effective des titulaires de droits à quelque projet de réingénierie des programmes sociaux tout comme des services publics. Tous les moyens d’équilibrer le budget ne s’équivalent pas au niveau des droits. L’augmentation des recettes fiscales au moyen d’un impôt sur le revenu plus progressif ne porte atteinte à aucun droit, contrairement à la réduction de l’accès aux programmes sociaux ou culturels.
Les droits humains sont interdépendants, indivisibles et indissociables. Perdre son boulot, c’est être privé de l’exercice du droit au travail librement consenti et du droit à la dignité. Voir sa retraite atteinte par l’effet d’une loi constitue non seulement une atteinte au droit à la protection sociale, mais aussi au droit à la libre négociation de ses conditions de travail. Au-delà du principe de l’interdépendance de tous les droits, les traités internationaux auxquels le Québec a adhéré exigent de celui-ci qu’il respecte une autre règle : celle de la non régressivité dans la mise en œuvre de tous les droits. Enfin, faut-il rappeler qu’un État a le devoir immédiat de veiller à l’aspect non discriminatoire de toutes ses décisions politiques et économiques?
De plus, quels moyens prend-il afin d’assurer la participation éclairée et informée des citoyen-ne-s à un tel exercice ? La LDL estime que la plateforme web actuellement en place ne respecte pas cette exigence.
Si le gouvernement québécois décide de réviser les programmes, et plus particulièrement les programmes sociaux, il doit garantir qu’un tel exercice n’aggrave pas les inégalités. Quels moyens le gouvernement québécois prend-il à cette fin ? De plus, quels moyens prend-il afin d’assurer la participation éclairée et informée des citoyen-ne-s à un tel exercice ? La LDL estime que la plateforme web actuellement en place ne respecte pas cette exigence.
Le Québec n’est pas à court d’institutions capables d’accompagner le gouvernement dans une démarche de révision des programmes et ce, afin de garantir que les exigences des droits humains soient respectées, tant sur le plan démocratique – la participation – que substantif – le non recul dans la réalisation des droits. Il n’est pas non plus à court de moyens. La révision des programmes exige donc l’analyse des conséquences de quelque coupure ou réforme sur les droits des citoyen-ne-s, que l’on aurait tort de réduire à leur statut d’usager-ère, de client-e ou de contribuable. Vu sous l’angle des droits humains, la finalité des programmes consiste à respecter les droits des personnes à qui ils sont destinés et non à ériger en exercice idéologique et indépendant des droits l’équilibre des finances publiques. Qui bénéficiera d’un tel équilibre ?
Le gouvernement a l’obligation d’administrer les finances publiques en fonction de ses obligations en matière de droit humains. Il est grand temps de le lui rappeler!
Discours du Pape François aux participants de la Rencontre mondiale des mouvements populaires
Traduction de Yves Carrier
Merci d’avoir accepté cette invitation à débattre des graves problèmes sociaux qui affligent le monde aujourd’hui, vous qui souffrez dans votre propre chair l’inégalité et l’exclusion. Cette rencontre de mouvements populaires est un signe, un grand signe : Vous nous apportez une réalité souvent ignorée : « Les pauvres ne souffrent pas seulement de l’injustice, mais ils luttent également contre elle ! » Ils ne se satisfont pas de promesses illusoires, limitées, ou d’excuses. Ils ne restent pas non plus les bras croisés en attendant l’aide des ONG, des plans d’assistance ou des solutions qui n’arrivent jamais ou, lorsqu’elles arrivent, font en sorte d’anesthésier ou de domestiquer la population. Cela est un peu risquer. Vous savez que les pauvres n’attendent plus et qu’ils veulent être les protagonistes de leur vie, ils s’organisent, ils étudient, ils travaillent, ils réclament et, surtout, ils pratiquent cette solidarité si particulière qui existe entre ceux et celles qui souffrent, entre les pauvres, et que notre civilisation semble avoir oublié, ou à tout le moins, qu’elle a très envie d’oublier.
Solidarité est un mot qui ne tombe pas toujours bien et je dirais que nous l’avons parfois transformé en un mauvais mot qu’il ne faut pas prononcer. Mais c’est un mot qui signifie bien davantage que certains actes de générosité sporadiques. C’est penser et agir en terme de communauté, de la priorité de la vie de tous sur l’appropriation des biens par quelques-uns. Il s’agit également de lutter contre les causes structurelles de la pauvreté, l’inégalité, le manque de travail, la terre et le logement, la négation des droits sociaux et des droits des travailleurs et des travailleuses. C’est affronter les effets destructeurs de l’empire de l’argent : les déplacements forcées, les émigrations douloureuses, la traite des personnes, la drogue, la guerre, la violence et toutes ces réalités que nombre d’entre vous souffrez et que nous sommes tous et toutes appelées à transformer. La solidarité, comprise en ce sens plus profond, est une manière de faire l’histoire et c’est ce que font les mouvements populaires.
Cette rencontre ne répond pas à une idéologie. Vous ne travaillez pas avec des idées, vous travaillez avec des réalités comme celles que je viens de mentionner et de nombreuses autres dont vous m’avez parlées. Vous avez les pieds sur terre et les mains dans la chair. Vous avez l’odeur des quartiers populaires, du peuple, de la lutte ! Nous voulons que votre voix soit entendue parce qu’en général, on l’entend peu. Peut-être parce qu’elle gêne, peut-être parce que votre cri dérange ou qu’on a peur du changement que vous réclamez, mais sans votre présence, sans aller réellement aux périphéries, les bonnes propositions et les projets qu’on entend à souhait lors des conférences internationales demeurent dans le monde des idées. C’est mon projet.
On ne peut aborder le scandale de la pauvreté en faisant uniquement la promotion de stratégies de contention qui tranquillisent et convertissent les pauvres en des êtres domestiqués et inoffensifs. Qu’il est triste de constater que trop souvent derrière de supposées œuvres altruistes, on réduit l’autre à la passivité, on le nie ou pire encore, on promeut des intérêts et des ambitions personnels. Jésus les traiterait d’hypocrites. À l’inverse, qu’il est beau d’apercevoir dans les mouvements populaires les membres les plus pauvres et les jeunes. Alors, oui, on ressent le vent d’une promesse qui avive l’espoir d’un monde meilleur. Que ce vent se transforme en ouragan d’espérance. C’est mon vœux.
Cette rencontre répond à une aspiration très concrète, quelque chose que tout père, que toute mère, souhaite pour son enfant, quelque chose qui devrait être à porter de tous et de toutes, mais aujourd’hui nous constatons avec tristesse que ces choses toutes simples s’éloignent de la majorité des gens : l’accès à la terre, à un toit, à un travail. C’est étrange, mais lorsque je parle de cela, pour certains, il s’avère que le pape est communiste. Ils ne comprennent pas que l’amour des pauvres se situe au cœur de l’Évangile. La terre, le logement, le travail, tout ce pour quoi vous lutter, ce sont des droits sacrés. Réclamer cela ce n’est pas étrange, c’est la doctrine sociale de l’Église. Je vais m’attarder un peu sur chacun de ces éléments parce que vous les avez choisis comme consignes pour cette rencontre.
Premièrement, la terre. Au début de la création, Dieu créa l’homme, gardien de son œuvre, Il le chargea de cultiver la terre et de la protéger. J’aperçois ici des dizaines de paysans et de paysannes, et je veux vous féliciter pour le soin que vous avez de la terre, pour la cultiver et pour le faire en communauté. Je suis préoccupé par la disparition de nombreux frères paysans qui souffrent le déracinement et non pas en raison des guerres ou des désastres naturels. L’accaparement des terres, la déforestation, l’appropriation des sources d’eau, les herbicides et les pesticides inadéquats, sont certains des maux qui arrachent les paysans à leur terre natale. Cette séparation douloureuse n’est pas seulement physique, sinon existentielle et spirituelle, parce qu’un certain type de relation avec la terre place la communauté rurale et sa manière particulière de vivre en situation de déclin où elles risquent de disparaître.
L’autre dimension de ce processus globalisé, c’est la faim. Quand la spéculation financière conditionne le prix des aliments en les traitant comme n’importe quelle marchandise, des millions de personnes souffrent et meurent de faim. Par ailleurs, on jettent des milliers de tonnes d’aliments. Cela constitue un véritable scandale. La faim est criminelle, l’alimentation est un droit inaliénable. Je sais que certains d’entre vous exigent une réforme agraire pour résoudre certains de ces problèmes. Laissez-moi vous dire qu’en certains pays et je cite ici l’enseignement social de l’Église : « La réforme agraire en plus d’être une nécessité politique, est une obligation morale » (CDSI 300). Ce n’est pas moi qui le dis, c’est écrit dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église. S’il vous plait, continuez la lutte pour la dignité de la famille rurale, pour l’eau, pour la vie et pour que tous et toutes puissent bénéficier des fruits de la terre.
Deuxièmement, le logement. Je l’ai dit et le répète : un logement pour chaque famille. Il ne faut jamais oublier que Jésus est né dans une étable parce qu’il n’y avait pas de place pour lui à l’auberge, que sa famille dû abandonner son foyer et s’enfuir en Égypte, persécutée par Hérode. Aujourd’hui, il y a tant de familles sans logement, qui n’en ont jamais eu ou qui l’ont perdu pour différentes raisons. Famille et logement vont de pair. Mais, de plus, pour qu’un toit soit un foyer, il doit y avoir une dimension communautaire : un village, un quartier. Parce que c’est précisément dans ces endroits qu’on commence à construire cette grande famille qu’est l’humanité, à partir du plus près, de la coexistence avec les voisins. Aujourd’hui nous vivons dans d’immenses villes modernes, orgueilleuses, voire vaniteuses. Des villes offrant des plaisirs innombrables et le bien-être pour une minorité heureuse, mais qui nient le toit à des milliers de voisins et de frères, mêmes à des enfants, qu’on appelle élégamment : « personnes sans domicile fixe ». C’est curieux comment dans le monde des injustices, abondent les euphémismes. On ne dit pas les mots clairement et la réalité se trouve dans les euphémismes. Une personne, une personne victime de ségrégation, une personne mise à part, une personne qui endure la misère, la faim, est une personne sans domicile fixe. Ce sont des mots élégants. Non ? Je me trompe peut-être, mais en général, cherchez toujours, derrière un euphémisme, il y a un délit.
Nous vivons dans des villes où l’on construit des tours, des centres commerciaux, où l’on fait de affaires immobilières… mais où l’on abandonne une partie de la population dans les périphéries et les marges. Comme il est douloureux d’entendre que les habitations des pauvres installées sur des terrains vagues sont marginalisées ou que l’on veut les éradiquer. Comme sont cruelles ces images d’évictions forcées, des pelles mécaniques détruisant des maisonnettes, des images semblables aux guerres. Et cela se voit aujourd’hui.
Vous savez que dans les quartiers populaires où vivent plusieurs d’entre vous, subsistent des valeurs qui ont été oubliées dans les quartiers où règne l’opulence. Les colonies sont bénies par une riche culture populaire. Là les espaces publics ne sont pas que de vulgaires lieux de passage, mais une extension du foyer, un lieu où se créent des liens avec les voisins. Qu’il est beau d’observer les villes qui dépassent la méfiance maladive et intègrent les différences en faisant de cette intégration un nouveau facteur de développement. Comme sont belles les villes qui, jusque dans leur urbanisme sont remplies d’espaces qui se connectent, permettent les relations et favorisent la connaissance de l’autre. C’est pourquoi, ni éradication, ni marginalisation, il faut poursuivre sur cette voie de l’intégration urbaine. Dès maintenant, ce mot doit remplacer l’expression éradication, mais aussi ces projets qui prétendent vernir les quartiers populaires, masquer les périphéries et maquiller les blessures sociales au lieu de les soigner en faisant la promotion d’une intégration authentique et respectueuse. C’est une sorte d’urbanisme de maquillage. Non ? Continuons à travailler pour que toutes les familles aient un espace pour vivre et pour que tous les quartiers aient des infrastructures adéquates (égouts, électricité, gaz, asphalte, écoles, hôpitaux ou cliniques de première assistance, clubs sportifs et toutes choses qui créent des liens et qui unit, accès à la santé, à l’éducation et à la sécurité).
Troisièmement, le travail. Il n’y a pas de pire pauvreté matérielle que celle qui ne permet pas de gagner le pain et prive de la dignité du travail. Le chômage des jeunes, le travail informel et l’absence de droits reconnus, ne sont pas inévitables. Ils sont le résultat d’une option sociale préalable, d’un système économique qui place les bénéfices avant l’être humain, avant l’humanité et la dignité humaine, ce sont là les effets d’une culture du jetable qui considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation que l’on peut utiliser et jeter.
Au phénomène d’exploitation et d’oppression s’ajoute une dimension nouvelle, une variante douloureuse de l’injustice sociale; ceux et celles qu’on ne peut pas intégrer, sont mis au rebus, ils sont de trop. C’est la culture du jetable et à cela j’aimerais ajouter quelque chose : Cela se produit lorsqu’au cœur du système économique on place le dieu argent au lieu de la personne humaine alors qu’au centre de tout système social ou économique doit être la personne, l’image de Dieu, créée pour être le dénominateur de l’univers. Lorsque la personne est déplacée et qu’elle est substituée par le dieu argent, survient ce renversement des valeurs.
Pour illustrer mon propos, je me souviens d’un enseignement qui nous vient de l’an 1 200. Un rabbin expliquait à ses disciples l’histoire de la Tour de Babel. Il raconta comment, pour construire cette tour, il fallait faire de nombreux efforts pour fabriquer les briques. On devait d’abord extraire l’argile et apporter de la paille, mélanger l’argile à la paille, les couper en carré puis les séparer, les faire sécher, les faire cuire, et lorsqu’elles étaient cuites et refroidies, il fallait encore les monter tout en haut pour construire la tour. Si une brique tombait, car elle valait beaucoup à cause de tout ce travail, c’était presqu’une tragédie nationale. Celui qui en échappait une était sévèrement puni ou il était suspendu ou je ne sais ce qu’on lui faisait subir. Mais si un ouvrier tombait du haut de la tour, il ne se passait rien. C’est ce qui arrive lorsque la personne est au service du dieu argent.
À propos de la mise à l’écart d’êtres humains, nous devons également être sensibles à ce qui se produit dans notre société. Je répète des choses que j’ai déjà dites et qui se trouvent dans mon encyclique Evangelii Gaudium. Aujourd’hui, on se débarrasse des enfants parce que le taux de natalité a diminué dans plusieurs pays du monde. (…) De même, on se débarrasse des vieillards parce qu’ils ne servent plus à rien, ils sont improductifs, les enfants et les vieux ne produisent rien, alors par des moyens plus ou moins sophistiqués, on les abandonne lentement. Maintenant, en raison de la crise, comme il est nécessaire de retrouver un certain équilibre, nous assistons à un troisième sacrifice très douloureux, celui des jeunes. Des millions de jeunes dont je ne connais plus le chiffre exacte, mais qui se comptent par millions, sont exclus du marché du travail, et se trouvent désœuvrés.
Dans les pays européens, et ce sont des statistiques très claires, ici en Italie, nous avons plus de 40% de jeunes sans emploi. Vous savez ce que cela signifie, toute une génération sacrifiée pour maintenir l’équilibre. Ailleurs, dans certains pays d’Europe, c’est plus de 50% et au sud de l’Italie, nous parlons de 60% des jeunes sans emploi. Ce sont là des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Sacrifice d’enfants, de vieux, qui ne sont pas productifs, et nous devons maintenant sacrifier une génération de jeunes afin de maintenir et rééquilibrer un système où le centre est occupé par le dieu argent et non par la personne humaine.
Malgré cela, cette culture du jetable, cette culture de ceux et celles qui sont de trop, autant vous, travailleurs exclus, inutiles pour ce système, vous avez créé votre propre travail avec tout ceux et celles qui semblaient incapables de donner plus d’eux-mêmes… Mais vous, avec les talents que Dieu vous a donnés, avec votre recherche, avec votre solidarité, avec votre travail communautaire, avec votre économie populaire, vous y êtes parvenus et vous vous en sortez. Laissez-moi vous dire, cela, en plus d’être du travail, c’est de la poésie. Merci !
Tout travailleur, qu’il soit ou non inséré dans le système formel du travail salarié, a le droit à une rémunération digne, à la sécurité sociale et à une pension de vieillesse. Il y a ici des ramasseurs de carton et de papier, des recycleurs, des vendeurs ambulants, des couturières, des artisans, des pêcheurs, des travailleurs de la construction, des mineurs, des ouvriers d’entreprises de récupération, toutes sortes de coopérateurs et de travailleurs des secteurs populaires qui sont exclus des droits du travail, à qui on nie le droit de se syndiquer, qui n’ont pas un revenu suffisant et stable. Aujourd’hui, je veux unir ma voix à la votre et vous accompagner dans votre lutte.
À cette rencontre, j’ai aussi parlé de la paix et de l’environnement. C’est logique : il ne peut y avoir de terre, il ne peut y avoir de logement, ni de travail, si nous n’avons pas la paix et si nous détruisons la planète. Ce sont des thèmes si importants que les peuples et leurs organisations de base ne peuvent cesser de débattre. Ces questions ne peuvent demeurer seulement entre les mains des dirigeants politiques. Tous les peuples de la Terre, tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, doivent élever la voix en défense de ces deux dons si précieux que sont la paix et la nature. La sœur mère-terre comme l’appelait saint François d’Assise.
Nous vivons actuellement la troisième guerre mondiale, mais à petites doses. Il y a des systèmes économiques qui pour survivre doivent faire la guerre. Alors, ils fabriquent des armes et ils vendent des armes et, avec cela, les finances des économies qui sacrifient des êtres humains au pied de l’idole de l’argent apparaissent équilibrées. Et on ne pense pas aux enfants affamés dans les camps de réfugiés, ni aux déplacements forcés, ni aux habitations détruites, et encore moins, à temps de vies sacrifiées. Combien de souffrances, combien de destructions, combien de douleurs ? Aujourd’hui, frères et sœurs, s’élève partout sur la Terre, chez tous les peuples, dans chaque cœur et dans les mouvements populaires, le cri de la paix : Jamais plus la guerre !
Un système économique centré sur le dieu argent a aussi besoin de saccager la nature pour soutenir le rythme frénétique de la consommation qui lui est inhérent. Le changement climatique, la perte de la biodiversité, la déforestation, démontrent déjà leurs effets dévastateurs dans les grands cataclysmes que nous voyons, et ceux et celles qui en souffrent le plus, ce sont les humbles, ceux qui vivent près des côtes dans des habitations précaires ou qui sont si vulnérables économiquement que face à un désastre naturel ils perdent tout. Frères et sœurs, la création n’est pas une propriété dont nous disposons selon notre bon plaisir, et encore moins le bien exclusif de quelques-uns.
La création est un don, un présent, un cadeau merveilleux que Dieu nous a offert pour que nous en prenions soin et que nous l’utilisions au bénéfice de tous, toujours avec respect et gratitude. Vous savez peut-être que je prépare actuellement une encyclique sur l’écologie : Soyez certains que vos préoccupations y auront leur place. Je vous remercie pour la lettre que m’ont envoyée les membres de Via Campesinas, la Fédération des cartonniers et tant d’autres frères et sœurs à ce propos.
Nous parlons de la terre, du travail, du logement, nous parlons de travailler pour la paix et la protection de l’environnement… Mais pourquoi au lieu de cela, nous nous habituons à voir la destruction du travail digne, l’exil forcé de tant de familles, l’expulsion des paysans, les guerres et la destruction de la nature ? Parce que ce système a sorti la personne humaine du centre et qu’il l’a remplacée par autre chose. Parce qu’on rend un culte à l’argent. Parce qu’on a globalisé l’indifférence ! « Peu m’importe ce qui arrive aux autres, du moment que je conserve ce qui m’appartient. » Parce que le monde a oublié Dieu qui est Père, il est devenu orphelin en mettant Dieu de côté.
Certains d’entre vous se sont exprimés en ces termes : « Ce système est devenu insupportable. Nous devons le changer, nous devons remettre la dignité humaine au centre et sur ce pilier construire les structures sociales alternatives dont nous avons besoin. Il faut le faire avec courage, mais aussi avec intelligence. Avec ténacité, mais sans fanatisme. Avec passion, mais sans violence. Et entre nous, affronter les conflits sans y demeurer enfermés, recherchant toujours à résoudre les tensions pour atteindre un plan supérieur d’unité, de paix et de justice. Les chrétiens ont quelque chose de très beau, un guide d’action, un programme oserions-nous dire, révolutionnaire. Je vous recommande vivement de lire les Béatitudes (Mat. 5,3 et Luc 6,3) ainsi que le passage de Matthieu 25. Je l’ai dit aux jeunes à Rio de Janeiro, avec ces deux points, vous avez un plan d’action.
Je sais que parmi vous se trouvent des personnes de différentes religions, opinions, cultures, pays, continents. Je pratique aujourd’hui la culture de la rencontre qui est si différente de la xénophobie, de la discrimination et de l’intolérance que nous voyons si souvent. Parmi les exclus a lieu cette rencontre des cultures où l’ensemble n’annule par la particularité. C’est pourquoi j’aime beaucoup l’image du polyèdre, une figure géométrique qui possède différentes surfaces. Le polyèdre reflète la confluence de toutes les partialités qui en lui conservent leur originalité. Rien ne se dissout, rien ne se détruit, rien ne domine, tout s’intègre. Aujourd’hui, nous cherchons également cette synthèse entre le local et le global. Je sais que vous travaillez jour après jour autour de vous, dans le concret, dans votre village, votre quartier, votre milieu de travail. Je vous invite également à continuer en cherchant cette perspective plus large, que nos rêves volent haut et qu’ils embrassent la totalité du réel.
À partir de là, m’apparait importante cette proposition que certains m’ont partagée, que ces mouvements, ces expériences de solidarité qui naissent à partir du bas, du sous-sol de la planète, convergent, afin qu’ils soient mieux coordonnés, qu’ils se rencontrent comme vous l’avez fait au cours de ces derniers jours. Attention, il n’est jamais bon d’enfermer le mouvement dans des structures rigides, encore moins est-il bon de vouloir l’absorber, de le diriger ou de le dominer. Des mouvements libres possèdent leurs dynamique propre, mais oui, nous devons tenter de marcher ensemble. Nous sommes dans cette salle qui est celle du vieux Synode, maintenant il y a un nouveau synode et ce mot signifie : « marcher ensemble ». Que cela soit un symbole du processus que vous avez initié et que vous menez de l’avant.
Les mouvements populaires expriment l’urgente nécessité de revitaliser nos démocraties tant de fois séquestrées par d’innombrables facteurs. Il est impossible d’imaginer un futur pour la société sans la participation protagoniste des grandes majorités, et ce protagonisme excède les processus logiques de la démocratie formelle. La perspective d’un monde de paix et de justices durables réclame que nous dépassions l’assistancialisme paternaliste, il nous exige de créer de nouvelles formes de participation qui incluent les mouvements populaires et animent les structures des gouvernements locaux, nationaux et internationaux avec ce torrent d’énergie morale qui surgit de l’incorporation des exclus dans la construction du destin commun. Et cela avec un esprit constructif, sans ressentiment, avec amour.
Je vous accompagne de tout cœur sur ce chemin. Disons ensemble du fond du cœur : Aucune famille sans logement, aucun paysans sans terre, aucun travailleur sans droit, aucune personne sans la dignité que procure le travail.
Chers frères et chères sœurs, poursuivez votre lutte, vous nous faites du bien à tous et à toutes. C’est comme une bénédiction d’humanité. Je vous laisse en souvenir un chapelet qui a été fait par des artisans d’Amérique latine, des cartonniers et des travailleurs de l’économie populaire.
Et dans cet accompagnement, je prie pour vous, je prie avec vous et je veux demander à Dieu Notre Père qu’Il vous bénisse, qu’Il vous comble de son amour et qu’Il vous accompagne sur le chemin en vous donnant abondamment cette force qui nous maintient debout, cette force qui est l’espérance, l’espérance qui ne trompe pas. Merci !