Ça roule au CAPMO – avril 2017

Ça roule au CAPMO – avril 2017

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La minorisation du Canada français

 Il y a plusieurs façons de lire l’histoire: 1) celle des vainqueurs oblitère celles des vaincues, 2) l’histoire refoulée oublie les traumatismes subis comme nation dominée et, 3) l’épopée qui magnifie les rêves et les exploits des prédécesseurs pour nous donner du courage. Bien loin de l’histoire bancaire qui additionne des chiffres, de l’argent, des morts, abaissant l’héroïsme et le don de soi à de simples stratégies d’enrichissement personnel, curieux renversement de perspective négateur de sens. Parce que ce regard qui nous morcelle en intérêts individualistes nous prive d’un imaginaire collectif susceptible de nous élever au-delà de l’aspiration économique ? Pourquoi ne pas réussir notre société ensemble ?

Depuis deux siècles, les injures qu’a subies notre langue, nous ont installés dans un esprit de minoritaires tolérés jusqu’à l’extinction des derniers feux. Pourtant, perdurait cette soif de vivre en français en Amérique du nord, en se regroupant dans des paroisses et en fondant des institutions. Rapetissés, nous l’avons été depuis la déportation des Acadiens en passant par la chute de Québec, de la vente de la Louisiane à la pendaison de Riel, de l’interdiction de l’enseignement du français en Ontario et au Manitoba, de l’exode vers la Nouvelle-Angleterre à la colonisation de l’Abitibi, de la crise de la conscription, au massacre des plages de Dieppe où les soldats francophones et irlandais étaient placés au premier rang pour préserver le sang britannique. De cette oppression séculaire où nous devons sans cesse nous excuser d’être qui nous sommes, nul n’entend jamais parler. Anomalie de l’histoire, soumis au capital, le nègre blanc d’Amérique n’en finit plus de mourir.

Inquiet comme tous les peuples colonisés, il tremble lorsque d’autres viennent trouver refuge en ce pays. Ignorant la grandeur de sa lignée, il devient l’opprimé oppresseur parce qu’il a bien appris sa leçon de dominé en admiration devant le maître anglo-saxon qui régit le monde comme sa maison. Heureusement qu’il nous tolère encore malgré ses excès de Québec bashing. Que voulez-vous, on ne gagne pas le respect des autres en s’excusant d’être qui l’on est. Speak white !

Bien sûr, avoir une histoire, des racines et une culture, c’est dérangeant. Le rêve de la société de consommation nord-américaine apparaît si somptueux. Personne pour nous dire quoi faire, aucune fidélité à respecter autre que le docile consentement offert par nos médias d’aliénation. L’esprit du capitalisme a colonisé nos rêves et nous n’appréhendons le monde qu’avec appréhension. Et si quelqu’un s’éveillait de ce sommeil profond, les bons docteurs sauront soigner cette douleur existentielle d’un peuple qui s’ignore. À moins qu’ils ne trouvent enfin le gène défectueux du Canadien français et du Québécois expansif qui s’entêtent à ne pas disparaître. Alors le Canada pourra célébrer son anniversaire en toute quiétude, sans aucun malaise identitaire. Mais pour les irréductibles que nous sommes, c’est de cette blessure que renaît l’espoir à chaque printemps, comme si la guérison se trouvait dans le mal lui-même.

Au combat donquichottesque d’Octave Crémazie s’efforçant de répondre vaillamment au mépris de Lord Durham après le soulèvement de 1837, nous préférons le souvenir des exploits d’un joueur de hockey, oubliant une fois encore qu’être et paraître ne relèvent pas de la même essence et que la première condition de l’être consiste à mieux se connaitre pour pouvoir se parfaire.

Yves Carrier

 


 

Table des matières

Spiritualité et citoyenneté
Refaire les mêmes erreurs
Une éthique pour la Terre
L’école du monde
Accord de libre-échange
L’utopie nécessaire
Calendrier

 


 

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Spiritualité et citoyenneté

CONDITIONS POUR UN PROJET DE SOCIÉTÉ

Bien sûr, pour changer le monde, il faut d’abord se changer soi-même. Ces changements sont parallèles en ce qui nous concerne et se produisent sans nous ou malgré nous, même ceux qui nous concernent.

Mais, sur le plan de l’analyse politique, il faut considérer trois conditions essentielles. Premièrement, il faut un sujet historique qui fait l’histoire et qui ne se contente pas de la subir. Par le passé, il y a eu des individus remarquables, des classes sociales, des religions, des idéologies qui ont contribué à faire l’histoire. Plus récemment, il y a eu la bourgeoisie et la petite bourgeoisie intellectuelle qui se cachaient derrière ces entités appelées le peuple, le prolétariat. Encore plus récemment, on a cité les indigné-e-s, les 99%. Mais il importe que les gens soient organisés, rassemblés socialement. Ce qui m’amène à considérer la société civile comme la forme organisationnelle réunissant toutes les composantes de la société. La société civile tend à réaliser cette articulation entre les organismes qui naissent spontanément dans la population et qui ne sont pas du ressort des institutions politiques, religieuses et économiques qui, issues du giron social, s’en sont émancipées.

Le deuxième élément essentiel c’est la nécessité d’avoir un discours spécifique de la société civile pour elle-même, reflétant ses intérêts et ses valeurs. Les valeurs citoyennes qu’elle défend sont encadrées par les valeurs humaines et spirituelles qui, toutes universelles qu’elles soient, n’échappent pas à la relativité des époques et des cultures. Il y aura donc des débats de valeurs lesquelles ne doivent pas être considérées de façon fondamentale ou dogmatique. Par exemple, au nom de la vérité ou de l’honnêteté, dois-je révéler à l’officier de la Gestapo que j’ai caché un juif dans mon placard? Il y a donc une hiérarchie des valeurs et un contexte à considérer. Ce discours de la société civile, qui se veut démocratique, ne se harnachera pas à une religion ou à une idéologie particulière, mais acceptera d’être inspiré par l’une ou l’autre. Le but de la politique est de résoudre des conflits produits autour de problèmes concrets de façon démocratique, autonome et responsable. La société civile s’efforcera de prendre tous les pouvoirs qui lui reviennent et qu’elle est en mesure d’exercer. La société civile renforcera l’État de droit et poursuivra son objectif du bien commun.

Tertio, il faut un mouvement, une direction, une organisation et, osons le dire, une théorie pour guider ce travail, cette œuvre de changement social, de projet de société. C’est l’un des quatre axes du CAPMO; l’une de nos missions. Peut-on confier la tâche à un parti politique? Non. Un parti politique, presque toujours issu de la société civile, en est sorti pour entrer dans la sphère dite de la société politique, sphère des relations entre les citoyens et l’État. La société politique œuvre au consentement des citoyens à la direction de l’État, et le pouvoir de celui-ci tend à court-circuiter celui de la société civile qui doit préserver son autonomie et défendre ses valeurs et intérêts face à un État souvent instrumentalisé par des groupes d’intérêts particuliers : des classes dominantes, des financiers, une religion, une idéologie.

Donc un sujet historique, la société civile autonome; ensuite un discours réalisant une théorie originale; enfin, un mouvement, une direction indépendante de la sphère étatique.

Robert Lapointe

 


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Refaire les mêmes erreurs

Budget 2017-2018 et lutte à la pauvreté

Refaire les mêmes erreurs et espérer un résultat différent

Québec, 28 mars 2017 — « Le budget du Québec est censé être « pour aujourd’hui et pour demain », pour reprendre les termes du ministre des Finances, M. Carlos Leitão. En réalité, en ce qui concerne la lutte à la pauvreté, le budget 2017-2018 remet ce travail à plus tard », de lancer M. Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

Même si le budget contient quelques mesures étiquetées « lutte à la pauvreté », ces dernières n’auront qu’un impact négligeable sur les conditions de vie de la plupart des personnes en situation de pauvreté. « Il semble incroyable que nous soyons en pleine année du renouvellement du plan de lutte à la pauvreté, une année charnière qui aurait dû mobiliser le Québec autour d’un projet d’élimination de la pauvreté », d’ajouter M. Petitclerc.

En effet, l’absence de ressources spécifiquement dédiées à l’augmentation du revenu des plus pauvres est surprenante. Il y a seulement quelques jours de cela, le ministre responsable de la lutte à la pauvreté, M. François Blais, confirmait ce que tout le monde savait déjà : les deux premiers plans de lutte à la pauvreté ont été des échecs. Pourquoi? L’absence d’une augmentation significative du revenu de l’ensemble des personnes ne couvrant pas leurs besoins de base. Pour éviter de n’être qu’un ministre de plus à avoir contribué à ces échecs répétitifs, il se devait d’agir vite et fort. Il semble bien que ce ne soit pas pour 2017-2018.

Les plus pauvres et toutes les personnes qui leur sont solidaires devront encore attendre, parce qu’aucun investissement important, à l’exception notable du logement social, n’a été annoncé aujourd’hui. Le dépôt annoncé du prochain plan de lutte à la pauvreté devra donc se limiter à de vagues promesses, repoussant ainsi les investissements nécessaires à la réalisation du droit à un niveau de vie suffisant à 2018-2019, au plus tôt. Pourtant, près d’une personne sur dix ne couvre pas ses besoins de base au Québec, de façon quasi ininterrompue depuis plus de 10 ans. Si la pauvreté n’est pas qu’un manque de revenu, la pauvreté tourne toujours autour de « l’insuffisance du revenu ». Que contient le budget du Québec pour agir sur cet enjeu central : du vent. Conclusion : le gouvernement laisse 10 % des QuébécoiSEs sans possibilité de couvrir leurs besoins de base pour une autre année.

« En somme, ce budget ne contribue que très peu à la lutte contre la pauvreté. Le courage politique face au nécessaire respect des droits humains est remplacé par une méprisante gestion de la pauvreté, construite autour d’un espoir vain : que « l’effet de ruissellement » amène, comme par magie, une redistribution plus égalitaire de la richesse », de conclure M. Petitclerc.

Cet espoir se nourrit à même notre extraordinaire capacité à occulter le fait que, depuis 40 ans, l’augmentation de la richesse collective ne profite qu’aux plus riches en laissant dans la noirceur et la misère une part importante de la population. Le gouvernement du Québec se prépare à refaire les mêmes erreurs en espérant un résultat différent.

Collectif pour un Québec sans pauvreté, Martin Michaud, attaché de presse

 


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Une éthique pour la Terre-Mère

Aujourd’hui, c’est un fait scientifiquement reconnu que les changements climatiques, dont l’expression majeure se révèle par le réchauffement global, est de nature anthropogénique, dans un degré de certitude de 95%. Cela signifie qu’il trouve son origine dans un type de comportement humain violent vis-à-vis de la nature.

Ce comportement n’est pas de syntonie avec les cycles et les rythmes de la nature. L’être humain ne s’adapte pas à la nature, mais il la modifie et l’adapte en fonction de ses intérêts. Depuis des siècles, l’intérêt prédominant est celui de l’accumulation de la richesse et des profits pour la vie humaine à partir de l’exploitation systématique des biens et services offerts par la nature et de nombreux peuples indigènes.

Les pays qui dominent ce processus n’ont pas donné l’importance due aux limites du système-Terre. Ils continuent de soumettre la Nature et la Terre à une véritable guerre, sachant qu’ils seront vaincus. La Terre-Mère exprime la pression exercée sur ses limites infranchissables par des événements extrêmes (sécheresses prolongées d’un côté et inondations dévastatrices de l’autre, neiges sans précédent à certains endroits et vagues de chaleur insupportables ailleurs).

Face à de tels événements, la Terre est devenue un objet de préoccupation humaine. Les différentes conférences internationales organisées par les Nations Unies ne sont jamais arrivées à une entente. C’est seulement lors de la COP21 de Paris, réalisée du 30 novembre au 13 décembre 2015, qu’ils sont parvenus, pour la première fois, à un consensus minimal, assumé par tous : d’éviter que le réchauffement dépasse les 2 degrés Celsius. Malheureusement, cette décision n’est pas contraignante. Ceux qui veulent peuvent la suivre, mais il n’existe aucune obligation comme l’a démontré le Congrès nord-américain qui a mis son veto sur les mesures écologiques du Président Obama.

Actuellement, le Président Donald Trump refuse catégoriquement cette entente comme quelque chose d’insensé et de trompeur.

Il est de plus en plus claire que la question est davantage éthique que scientifique. Cela indique que la qualité de nos relations avec la nature et envers la Maison commune ne sont pas adéquates, mais destructives.
En citant le pape François dans son encyclique inspirante : Laudato Si, sur la Maison commune (2015) : «Jamais nous n’avons maltraité et blessé notre Maison commune comme au cours des deux derniers siècles… Ces situations provoquent les gémissements de la sœur Terre, qui s’unissent aux gémissement des abandonnés du monde, avec une lamentation qui exige de nous de prendre un autre cap» (n.53).

Nous avons un urgent besoin d’une éthique régénératrice de la Terre-Mère. Celle-ci doit lui rendre la vitalité qui a été vulnérabilisée afin qu’elle puisse continuer à nous être présente à nous comme elle l’a toujours été. Ce sera une éthique du soin, du respect de ses rythmes et de la responsabilité collective que nous avons envers elle.

 

Mais une éthique de la Terre ne suffit pas. Celle-ci doit être accompagnée d’une spiritualité qui lance ses racines dans la raison cordiale et sensible. De là nous viendra la passion pour le soin et un engagement sérieux d’amour, de responsabilité et de compassion envers la Maison commune, comme cela est bien exprimé à la fin de l’encyclique de l’évêque de Rome, François.

Le regretté Antoine de Saint-Exupéry dans un texte posthume, écrit en 1943, intitulé : Lettre au Général X, affirme solennellement : « Il n’existe qu’un seul problème, seulement un: redécouvrir qu’il y a une vie de l’esprit qui est encore plus élevée que la vie intellectuelle, c’est la seule qui puisse satisfaire l’être humain. » (Macondo Libri 2015, p.31).

Dans un autre texte, écrit en 1936, lorsqu’il était correspondant de «Paris Soir», durant la Guerre d’Espagne, qui avait pour titre : « Il est nécessaire de donner un sens à la vie ». Il y reprend le thème de la vie de l’esprit en affirmant : « L’être humain ne se réalise qu’en se joignant à d’autres êtres humains, dans l’amour et dans l’amitié; cependant, ceux-ci ne s’unissent pas simplement en s’approchant les uns des autres, mais en se fondant dans une même divinité. Dans un monde devenu désert, nous avons soif de rencontrer des compagnons avec lesquels nous partageons le pain » (Macondo Libri 2015, p.20). À la fin de la Lettre au Général, il conclut : «comme nous avons besoin d’un Dieu » (op. cit. p.36).

Effectivement, seule la vie de l’esprit confère la plénitude à l’être humain. Elle représente un beau synonyme pour la spiritualité qui est souvent confondue avec la religion. La vie de l’esprit est davantage que cela, c’est une donnée originelle et anthropologique comme l’intelligence et la volonté, quelque chose qui appartient à notre profondeur essentielle.

Nous savons nous occuper de la vie du corps, aujourd’hui devenue une véritable culture avec tant d’académies de gymnastiques.

Les psychanalystes de plusieurs tendances nous aident à prendre soin de la vie de notre psyché pour que nous ayons une vie relativement équilibrée, sans névroses ni dépressions.

Mais dans notre culture, nous oublions de cultiver la vie de l’esprit qui est notre dimension radicale, là où se logent les grandes questions, où s’animent les rêves les plus audacieux et s’élaborent les utopies les plus généreuses. La vie de l’esprit s’alimente de biens intangibles comme l’amour, l’amitié, la convivialité amicale avec les autres, la compassion, le soin et l’ouverture sur l’infini. Sans la vie de l’esprit, nous errons sans un sens qui nous oriente et qui rend la vie appétissante et agréable.

Une éthique de la Terre ne se sustente pas seule bien longtemps sans qu’elle ait ce supplément d’âme qui est la vie de l’esprit. Elle nous fait sentir partie de la Terre-Mère que nous devons aimer et protéger.

Leonardo Boff é articulista do JB online e autor de Ética e Espiritualidade: como cuidar da Casa Comum, Vozes 2017.
Texte traduit du portugais par Yves Carrier

Leonardo Boff

 


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L’Europe doit revenir à l’école du monde, en tant qu’élève

par Boaventura de Sousa Santos, 03 mars 2017

Un sentiment d’épuisement historique et politique parcourt l’Europe et le Nord global en général. Après cinq siècles où elle a imposé ses solutions au monde, l’Europe semble incapable de résoudre ses propres problèmes et elle livre leur résolution à des entreprises multinationales à travers des accords de libre-échange dont l’objectif est d’éliminer les derniers éléments de cohésions sociales et de conscience environnementale acquises après la Seconde Guerre Mondiale.

Aux États-Unis, Donald Trump est plus une conséquence qu’une cause de la décomposition d’un système politique hautement corrompu, dysfonctionnel et antidémocratique, où le candidat qui a reçu le plus de votes aux élections nationales peut être battu par un candidat qui a obtenu trois millions de votes en moins. La conviction domine qu’il n’y a pas d’alternatives à l’état critique où le choses en sont rendues.

Les leaders mondiaux, réunis récemment au Forum économique de Davos, reconnurent que les huit hommes les plus riches au monde cumulent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Malgré cela, il ne leur est pas passé par l’esprit d’appuyer les politiques contribuant à redistribuer la richesse. Au contraire, ils ont incité les plus pauvres du monde à améliorer leurs performances pour être riche un jour prochain.

Pendant ce temps, les instruments d’analyse et de communication sociale globale dont nous disposons nous empêchent de voir qu’à l’extérieur de l’Europe et des pays du Nord global, il existe de nombreuses innovations sociales et politiques qui pourraient servir de stimuli pour trouver des nouvelles solutions globales qui garantissent un futur politiquement plus démocratique, socialement plus solidaire et écologiquement plus durable. Curieusement, certaines de ces solutions sont nés d’idées et d’expériences européennes (même si elles ont été abandonnées par l’Europe) réinterprétées et reconfigurées à la lumière des différents contextes concrets, libérées des dogmes et de l’orthodoxie. En même temps, l’Europe semble rapetisser, tandis que le monde non européen s’agrandit. L’avenir du monde sera beaucoup moins européen qu’il ne le fut par le passé.

Il serait logique de penser que l’Europe a un grand intérêt à mieux connaître l’innovation qui apparaît dans le monde. Mais pour cela, l’Europe devrait être disposée à s’interroger sur la façon dont elle s’est, tout au long de l’ère moderne, considérée comme maitresse du monde et s’imaginer comme une étudiante, comme co-apprentie de l’avenir avec les autres régions et les autres.

Le fait est que l’Europe éprouve de grandes difficultés à apprendre des expériences non européennes, surtout lorsqu’elles ont des origines dans le Sud global, du à un persistant préjugé colonial. Finalement, comment l’Europe pourrait bénéficier d’expériences provenant de « régions et de cultures moins avancées», de solutions qui, de plus, renvoient à des problèmes qu’elle a supposément résolus il y a longtemps ?

Comment vaincre ce préjugé et créer une nouvelle disposition pour des apprentissages mutuels à l’échelle globale ? Pour répondre nous devons faire un pas en arrière dans le temps. L’époque impériale de l’Europe comme pouvoir global se termina en 1945.

Quand les pays périphériques du Sud global, dont de nombreuses ex-colonies européennes, devinrent indépendantes et tentèrent d’écrire leur propre histoire dans un monde post européen, le chemin fut accidenté, avec l’Europe et les États-Unis qui questionnaient toute tentative de dissociation d’avec le monde capitaliste et l’Union soviétique qui rejetait toute alternative qui ne fut pas la sienne.

Le mouvement des non-alignés, initiés en 1955 avec la Conférence de Bandung convoquée par les présidents Nehru (Inde), Sukarno (Indonésie), Nasser (Egypte), Nkrumah (Ghana) et Tito (Yougoslavie), fut la première manifestation de l’intention historique de dessiner un chemin au-delà de la vision bipolaire et contradictoire que l’Europe offrait au monde, tantôt libéral et capitaliste, tantôt marxiste et socialiste, deux systèmes peu sensibles aux réalités extra européennes et comportant des exigences de loyauté inconditionnelle. Cette dichotomisation dans les affaires mondiales, dramatiquement illustrée par la Guerre froide, posait des dilemmes politiques insolubles pour les nouvelles élites politiques du Sud global et même pour les plus éloignées de la culture occidentale capitaliste et communiste, qui voyaient dans ces deux systèmes des pièges jumeaux basés sur la suprématie de «l’homme blanc».

Mais le mouvement des non-alignés fut neutralisé par le néolibéralisme global et la chute du mur de Berlin, puis l’appel du Tiers-Monde se diversifia au point de perdre tout contenu. Cependant, cela n’empêcha pas que de nouvelles solutions continuèrent d’être dessinées et exécutées. Mais à chaque fois qu’elles questionnèrent la domination du Nord global et, en particulier, de l’impérialisme nord-américain, ces solutions furent combattues violemment : de l’embargo à Cuba à la destruction de l’Irak, de la Libye, et de la Syrie; du Nouvel Ordre économique mondial à la neutralisation des BRICS ( la coopération entre les pays émergents : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud).

La vérité c’est que, malgré cela, la ténacité avec laquelle les peuples du monde cherchent des solutions de libération et d’autonomie continue de surprendre les analystes. Il ne s’agit pas de romancer une telle ténacité ou d’accepter sans critique les solutions résultantes de cela. Il s’agit seulement d’initier une conversation du monde qui ne s’épuise pas dans la discussion des solutions qu’une petite partie du monde, l’euro-centrique, légitima par le passé. Ces solutions furent successivement ou simultanément, le colonialisme, l’évangélisation, le néocolonialisme, l’impérialisme, le développement, la globalisation, l’aide internationale, les droits humains, l’assistance humanitaire.

Dépendant de ces solutions, le monde non européen termina presque toujours par les adopter, volontairement ou par la force, car c’est là où résidait sa condition subalterne vis-à-vis de l’Europe et des États-Unis. Mais jamais il ne cessa de penser en-dehors de la boîte euro-centrique. En cette époque d’apparente élimination des alternatives, cette pensée peut être très valide pour stimuler la possibilité de nouveaux apprentissages globaux comme alternative à la paralysie et à la guerre.

Du côté européen, il y a deux conditions principales pour réaliser cet apprentissage et aucune de celles-ci ne correspondent à des solutions rapides. Les deux impliquent la construction d’une nouvelle vision de l’Europe. La première consiste à soumettre à un débat profond le concept même d’Europe. Nous devons commencer par assumer qu’il n’existe pas une définition officielle «d’européen», tout au moins en termes de politiques culturelles. Combien d’Europe existent ? Combien y a-t-il de pays européens ? Que signifie être européen ? La désintégration de l’Union Soviétique, la réunification allemande et le mouvement à grande échelle de migrants, de travailleurs et de réfugiés dans toute l’Europe, ont créés une complexité nouvelle, tant dans le domaine des identités que dans celui de frontières.

Pour cette raison, plusieurs auteurs soutiennent que le discours sur «l’identité de l’Europe» est prématuré. Comme il n’existe pas une «Europe», mais une pluralité de définitions historiques spécifiques et concurrentes entre elles, ils existent des «identités européennes» contrastées et rivales, subordonnées au dessein des frontières et à la perception de la nature de «l’européité». Pendant ce temps, les services d’immigration et des douanes vont développer leurs propres idées sur l’Europe et l’identité européenne, mais sans aucune connexion avec les autres niveaux de discussion.

La seconde condition, intimement reliée à la première, se réfère à ce qui s’entend par le Sud global en tant que monde non-européen. Le Sud qui confronte l’Europe comme «l’autre» existe tout autant à l’intérieur de l’Europe qu’à l’extérieur. Dans les premières décades du XIXème siècle, le statisticien autrichien Metternich écrivait que l’Asie commençait dans une rue en périphérie de Vienne, la rue où vivaient des immigrants en provenance des Balkans.

Alors, comme maintenant, la distinction entre les Balkans (Albanie et ex-Yougoslavie) et l’Europe paraissait claire, comme si ceux-là n’appartenaient pas à l’Europe. Aujourd’hui, le sud à l’intérieur de l’Europe, ce sont les immigrants. Même si certains d’eux habitent l’Europe depuis plusieurs générations et qu’ils possèdent des passeports européens, ils ne sont pas reconnus comme des «Européens comme les autres». Puis, il existe un autre Sud en Europe qui nous intéresse plus particulièrement. C’est le Sud, qui étant périphérique au sens géographique, l’est également dans de nombreux autres sens.

Le Sud global, à l’extérieur de l’Europe, a été compris depuis le XVème siècle d’une manière grossièrement réductionniste. Ce sont des pays pourvoyeurs de matières premières et ; plus tard, des marchés de consommation à exploiter; pays dont les catastrophes naturelles rendent nécessaire l’aide humanitaire européenne; incapables d’assumer les besoins de base de leur population, donnant origine au problème d’immigration qui «afflige» l’Europe; pays qui engendrent le terroriste contre lesquels il est nécessaire de lutter sans aucune clémence. Cette vision du Sud global continue d’être dominée par l’entreprise coloniale. Celle-ci stipule que les populations et les nations sujettes à la domination européenne, indépendamment de la diversité de leur histoire, sont condamnées à un seul futur : celui dicté par l’Europe. Ainsi, le futur de l’Europe est demeuré otage des limites que nous avons imposées au monde non européen. Combien d’idées et de projets furent rejetés, discrédités, abandonnés, démonisés, en Europe, simplement parce qu’ils n’étaient pas utiles au projet colonial de conquête et de domination du monde ?

L’Europe doit retourner à l’école du monde et de sa diversité infinie. Pour apprendre, elle doit être disposée à désapprendre un bon nombre des conceptions qu’elle a d’elle-même et sur le monde non-européen, en ce moment du degré zéro de l’innovation sociale et politique où elle se trouve.

Boaventura de Sousa Santos est un académicien portugais, docteur en sociologie et doyen de la faculté d’économie et directeur du centre d’études sociales de l’Université de Coimbra (Portugal). Professeur invités dans des université américaines et ailleurs dans le monde. Il est l’un des scientifiques sociale et chercheurs les plus importants au monde dans le domaine de la sociologie juridique et il est un des principaux animateurs du Forum social mondial.

Texte traduit de l’espagnol par Yves Carrier, Other News, 3 mars 2017,

http://www.other-news.info/noticias/2017/03/europa-debe-regresar-a-la-escuela-del-mundo-como-alumna/#more-12846
http://www.alainet.org/es/articulo/183887


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Qu’en est-il de l’accord de libre-échange Canada-Union européenne ?

2017/03/16 | Par Jacques B. Gélinas, L’Aut Journal

L’Accord économique et commercial global (AECG) conclu à l’arraché en octobre 2016, après huit ans de négociations tordues, entrera en vigueur en avril prochain, sans avoir obtenu la ratification normalement nécessaire des 28 parlements des pays membres de l’Union.

Il faut rappeler comment la mise au monde cet Accord n’a été possible qu’à force d’impostures et de cachoteries, signe que ses protagonistes – la Commission européenne et les gouvernements Harper et Trudeau – avaient quelque chose à cacher. Cachez cet agenda néolibéral que le bon peuple ne saurait voir.

L’adhésion du public aux principes du néolibéralisme s’est érodée au fil des ans. Car au lieu de l’enrichissement promis par trois décennies de néo-libre-échange, on assiste aujourd’hui à l’appauvrissement des classes moyennes et populaires, à une stagnation des salaires, à la croissance des inégalités et à l’imposition de politiques d’austérité.

Chronique d’une négociation marquée au coin de l’imposture et de la cachoterie :

Une première imposture devrait coiffer cette chronique : celle de Jean Charest qui aime se présenter comme le père de l’Accord, alors qu’il n’a été que la mouche du coche, «prétendant animer l’attelage par son bourdonnement» (La Fontaine).

La vérité, c’est que l’idée d’un accord de libre-échange Canada-Union européenne mijotait depuis le début du millénaire. Le projet s’appelait alors Accord sur le renforcement du commerce et de l’investissement (ARCI). Premier sommet à Ottawa en décembre 2002.

En 2006, suspension des négociations. L’Union européenne trouve que le Canada ne fait pas assez de concessions, surtout en ce qui touche les achats publics. C’est 127 milliards de dollars de contrats octroyés annuellement par les gouvernements fédéral et provinciaux, les municipalités, les hôpitaux, les universités et les sociétés d’État. Voilà ce qui intéresse les multinationales européennes. Côté canadien, on hésite. On craint une perte d’autonomie.

Avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement néoconservateur de Stephen Harper, les choses changent. L’Union européenne se montre désormais confiante d’obtenir les concessions désirées… et plus. En 2009, les négociations reprennent, dont voici les étapes marquantes :

6 mai 2009: Stephen Harper atterrit à Prague pour donner le coup d’envoi à des négociations dont le grand public ignore la teneur et les visées concrètes; sept séances suivront à huis clos, dans la même opacité.

8 décembre 2011 : Pierre-Marc Johnson, négociateur de l’AECG pour le Québec, refuse en commission parlementaire de réponde aux questions des députés sur le contenu de l’Accord, évoquant le contrat de confidentialité qu’il a signé.

20 octobre 2013: les deux parties s’étant entendues sur les termes de l’Accord, le premier ministre Harper apparaît à Bruxelles pour le parapher, tandis que la résistance s’organise dans la société civile.

5 août 2014: les termes de l’Accord ayant été remanié pour répondre aux critiques qui pleuvent de toutes parts, le texte est paraphé une seconde fois par les deux parties.
24 septembre 2014: le texte est enfin rendu public, après qu’une fuite en eut révélé le contenu.

26 septembre 2014: signature solennelle de l’Accord, à Ottawa, par le premier ministre Stephen Harper, d’une part, et par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, d’autre part. Les signataires jubilent : cette signature «marque un moment véritablement historique». Cette cérémonie précipitée apparaîtra bientôt comme une parade protocolaire visant à court-circuiter la résistance.
27 septembre 2014: recrudescence des contestations des deux côtés de l’Atlantique, à mesure que les organisations de la société civile prennent connaissance du document; en Europe, les élus nationaux écoutent ces doléances et plus d’un se prononcent contre l’Accord; les négociations vont donc reprendre pour aplanir les éléments qui fâchent.
2 février 2016: exaspérée, la ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, proclame la fin des négociations; elle va donc parapher l’Accord pour la troisième fois.

23 juin 2016: le BREXIT, soit un vote référendaire au Royaume-Uni en faveur du retrait de l’Union, constitue un humiliant désaveu des pratiques de la Commission.
14 octobre 2016 : le parlement de la région wallonne se prononce contre l’Accord qui, de ce fait, se trouve dans une impasse.

24 octobre 2016 : ultimatum de la Commission au parlement Wallon : «On va vous tordre le bras». (cf. Daniel Lessard sur les ondes de Radio-Canada, 17.10.24).

27 octobre 2016 : le parlement de la Wallonie cède et lève son véto.

30 octobre 2016: signature de l’Accord, à Bruxelles, par le premier ministre Justin Trudeau, d’une part, et par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, Donald Tusk, d’autre part.

15 février 2017: Le Parlement européen se prononce en faveur de l’Accord.

8 décembre 2011 : Pierre-Marc Johnson, négociateur de l’AECG pour le Québec, refuse en commission parlementaire de réponde aux questions des députés sur le contenu de l’Accord, évoquant le contrat de confidentialité qu’il a signé.

20 octobre 2013: les deux parties s’étant entendues sur les termes de l’Accord, le premier ministre Harper apparaît à Bruxelles pour le parapher, tandis que la résistance s’organise dans la société civile.

5 août 2014: les termes de l’Accord ayant été remanié pour répondre aux critiques qui pleuvent de toutes parts, le texte est paraphé une seconde fois par les deux parties.
24 septembre 2014: le texte est enfin rendu public, après qu’une fuite en eut révélé le contenu.

26 septembre 2014: signature solennelle de l’Accord, à Ottawa, par le premier ministre Stephen Harper, d’une part, et par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, d’autre part. Les signataires jubilent : cette signature «marque un moment véritablement historique». Cette cérémonie précipitée apparaîtra bientôt comme une parade protocolaire visant à court-circuiter la résistance.
27 septembre 2014: recrudescence des contestations des deux côtés de l’Atlantique, à mesure que les organisations de la société civile prennent connaissance du document; en Europe, les élus nationaux écoutent ces doléances et plus d’un se prononcent contre l’Accord; les négociations vont donc reprendre pour aplanir les éléments qui fâchent.
2 février 2016: exaspérée, la ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, proclame la fin des négociations; elle va donc parapher l’Accord pour la troisième fois.

23 juin 2016: le BREXIT, soit un vote référendaire au Royaume-Uni en faveur du retrait de l’Union, constitue un humiliant désaveu des pratiques de la Commission.
14 octobre 2016 : le parlement de la région wallonne se prononce contre l’Accord qui, de ce fait, se trouve dans une impasse.

24 octobre 2016 : ultimatum de la Commission au parlement Wallon : «On va vous tordre le bras». (cf. Daniel Lessard sur les ondes de Radio-Canada, 17.10.24).

27 octobre 2016 : le parlement de la Wallonie cède et lève son véto.

30 octobre 2016: signature de l’Accord, à Bruxelles, par le premier ministre Justin Trudeau, d’une part, et par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, Donald Tusk, d’autre part.

15 février 2017: Le Parlement européen se prononce en faveur de l’Accord.

Le pouvoir usurpé de la Commission européenne
Vous croyez que la Canada a négocié cet accord, dans un cadre démocratique, avec des représentants élus des pays européens? Détrompez-vous. Les négociateurs canadiens n’ont traité qu’avec la puissante bureaucratie de la Commission européenne, bras exécutif de l’Union. Les gouvernements des 28 États membres ont été tenus à l’écart.

La dite Commission est une énorme bureaucratie – 40 000 fonctionnaires – autour de laquelle gravitent 37 500 lobbyistes, représentants des compagnies transnationales, l’oligopole bancaire mondial, de puissants cabinets d’avocats et de think tanks. Les dirigeants de la Commission ont toujours refusé d’encadrer efficacement le lobbying, sous prétexte qu’ils ont besoin de cet afflux d’informations pour bien remplir leur mission de gouverner l’Europe.

Ce 25 mars, on célébrera, dans la capitale italienne, le 60e anniversaire du traité pionnier de l’Union européenne : le Traité de Rome, signé par six pays fondateurs. Le Marché commun, institué en 1958, visait la suppression progressive des tarifs douaniers entre les Six. Il s’agissait à l’époque d’un libre-échange de coopération, contrairement à ce que préconise aujourd’hui le néo-libre-échange fondé sur la compétition et, en dernière analyse, sur la guerre économique.

Il faudra un autre article pour raconter comment l’Union européenne s’est dénaturée.

[1] Pour les produits sous la gestion de l’offre – le lait, les œufs et la volaille -, c’est différent. Ils sont protégés par des frais douaniers prohibitifs. Néanmoins, l’AECG ouvre une brèche pour les produits laitiers : l’Europe pourra déverser 17 700 tonnes de fromage en sol canadien sans frais de douane. Méchante affaire pour les artisans fromagers du Québec qui produisent 60% des fromages fins canadiens.

 


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La religion comme source d’utopies salvatrices

Leonardo Boff

 De nos jours, prédomine la conviction que le facteur religieux est une donnée de fond utopique chez l’être humain. Après que soit redescendue la marée critique de la religion faite par Marx, Nietzsche, Freud et Popper, nous pouvons dire que les critiques ne furent pas suffisamment critiques.

Dans le fond, ils élaborèrent tous sur un équivoque : ils voulurent situer la religion à l’intérieur de la raison, ce qui fit apparaître toutes sortes d’incompréhensions. Ces critiques ne s’aperçurent pas que le lieu de la religion n’était pas la raison, même si elle possédait une dimension rationnelle, mais dans l’intelligence cordiale, dans le sentiment océanique, dans cette sphère de l’être humain d’où émerge les utopies.

Blaise Pascal, mathématicien et philosophe, le disait bien dans le fameux fragment 277 de ses Pensées: «C’est le cœur qui sent Dieu, pas la raison.» Croire en Dieu ce n’est pas la même chose que penser à Dieu, mais sentir Dieu à partir de la totalité de notre être. La religion est la voix d’une conscience qui refuse d’accepter le monde tel qu’il est, sym-bolique et dia-bolique. Elle se propose de le transcender, projetant des visions d’un ciel nouveau, d’une Terre nouvelle et d’utopies qui ouvrent des horizons que nous n’avons pas encore aperçus.

L’anthropologie en général et plus spécialement l’école psychanalytique de Carl Gustav Jung conçoivent l’expérience religieuse comme quelque chose qui émerge des couches les plus profondes de la psyché. Aujourd’hui, nous savons que la structure au degré zéro de l’être humain n’est pas la raison (logos, ratio), mais l’émotion et le monde des affects pathos, eros et ethos).

La recherche empirique de David Golemann avec son Intelligence émotionnelle (1984) vient confirmer une longue tradition philosophique qui culmine en M. Meffessoli, Muniz Sodré et moi-même (Droits du cœur, Paulus, 2016). Nous affirmons être l’intelligence saturée d’émotions et d’affects (attachements émotionnels). C’est dans les émotions et les affects que s’élabore l’univers des valeurs, de l’éthique, des utopies et de la religion.
C’est de cet abîme qu’émerge l’expérience religieuse sous-jacente à toute religion institutionnalisée. Selon L. Wittgenstein, le facteur mystique et religieux nait de la capacité qu’a l’être humain de s’extasier. «S’extasier ne peut s’exprimer par une question. C’est pourquoi il n’existe aucune réponse» (Schriften 3, 1969,68).

Le fait que le monde existe est totalement inexprimable. À ce propos, «il n’y a pas de langage, mais cet inexprimable se montre; c’est le mystique» (Tractatus logico-philosophicus, 1962, 6, 52).

Et Wittgenstein poursuit en écrivant : «Le mystique ne se situe pas dans le raisonnement qui consiste à savoir comment le monde est fait, mais dans le fait que le monde est.» (Tractaus, 6,44).

«Même si nous avions répondu à toutes les questions scientifiques possibles, nous nous apercevons que nos problèmes vitaux n’ont même pas été abordés» (Tractatus, 5,52).

«Croire en Dieu», poursuit Wittgenstein, «c’est comprendre la question du sens de la vie. Croire en Dieu, c’est affirmer que la vie a un sens. Sur Dieu qui est au-delà de ce monde, nous ne pouvons pas parler. Et sur ce dont nous ne pouvons parler, parce que nous ne savons rien, nous devons nous taire» (Tractatus, 7).

La limitation de l’esprit scientifique c’est de n’avoir rien à dire à ce propos. Les religions lorsqu’elles parlent, c’est toujours sous une forme symbolique, évocatrice et auto-implicative. À la fin, elles se terminent par le noble silence du Buddha ou par l’emploi du langage des arts, de la musique, de la danse et du rite.

Aujourd’hui, fatigués par l’excès de rationalité, de matérialisme et de consommation, nous assistons au retour du religieux et du mystique puisqu’en lui réside l’invisible qui est la partie du visible et qui peut conférer une espérance nouvelle aux êtres humains.

Il suffit de rappeler une phrase du grand sociologue et penseur, au terme de son œuvre monumental :«Formes élémentaires de la vie religieuse» (édition portugaise de 1996): « Destinée à survivre à tous les symboles particuliers, il y a quelque chose d’éternel dans la religion. » Parce qu’elle survit aux temps, est valable l’affirmation de Ernst Bloch dans ses fameux trois volumes intitulés «Le principe espérance» : «Là où il y a du religieux, il y a de l’espérance.»

L’essentiel du Christianisme ne réside pas dans l’affirmation de l’incarnation de Dieu. D’autres religions l’ont également affirmer. Mais, dans le fait d’affirmer que l’utopie (ce qui n’a pas d’endroit) est devenu eutopia (un bon endroit). Chez un être humain, non seulement la mort a été vaincue, ce qui serait beaucoup, mais qu’il s’est produit quelque chose de plus grand encore : toutes les virtualités cachées ont explosées et implosées en même temps. Jésus de Nazareth est le « nouvel Adam » dans l’expression de saint Paul (1Cor 15,45), le plein potentiel humain maintenant révélé. Il n’est que le premier de nombreux frères et sœurs ; l’humanité également, la Terre et l’Univers lui-même seront transfigurée.

Ainsi, notre avenir est la transfiguration de l’Univers et de tout ce qu’il contient, spécialement de la vie humaine. C’est peut-être là que réside notre grande espérance, notre futur absolu.



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Mon désir
Aujourd’hui, il faut que ça change ; le temps et venu de crier et de dénoncer les injustices que la société nous fait vivre. Trop de gens souffrent moralement, mentalement et physiquement. Il y a beaucoup de racisme, des personnes qui n’arrivent pas et qui sont au salaire minimum, des organismes communautaires qui sont sous-financés, des jeunes qui sont marginalisés et mal perçus dans la société. Des préjugés qui sont dits et qui dénigrent les personnes assistées sociales, il y en a tellement que je ne peux tous les nommer. Il faut s’unir les uns les autres, toutes les classes de la société car nous vivons de l’oppression de la part du gouvernement. Aujourd’hui, moi Monique je tends les mains et les joints à celles des autres, à ma gauche, à ma droite, pour qu’on s’unisse tous ensembles pour changer le monde.
Monique Toutant

 



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Calendrier des activités du mois d’avril 2017

 

 

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