Ça roule au CAPMO, année 16, numéro 8
Le travail, source de dignité
Lorsqu’on s’intéresse au concept philosophique du travail non comme un instrument de torture inventé par les Romains, mais comme source d’épanouissement personnelle, de créativité et d’intégration sociale, on remarque la présence d’un paradoxe concernant les attentes des gestionnaires anxieux de quantifier le temps de travail, versus ce qui motivent l’engagement des travailleurs envers l’État ou l’entreprise comme un projet de vie. La pensée managériale considère les personnes exerçant une activité professionnelle comme de simples rouages interchangeables. Ce faisant, elle éteint les motivations altruistes chez les individus. D’une source d’accomplissement mobilisant les ressources internes au service du bien commun, nous sommes passés à l’imposition de règles dissociées de la réalité humaine. S’inspirant de la maxime : « Diviser pour régner », cette logique s’impose au réel, à la nature, aux familles ou aux individus, sans tenir compte de leurs besoins fondamentaux. Aussi, ce processus de déshumanisation inscrit dans nos rapports sociaux jusque dans nos valeurs personnelles, ne se situe pas très loin de la dictature, le licenciement équivalant à une condamnation à mort.
Au Québec, l’accès universel à l’éducation demandé par le rapport Parent semblait ouvrir la voie à tous les rêves. Affranchi de son rôle d’esclave écrasé par les lois du marché, l’ouvrier moderne croyait enfin obtenir la maîtrise de sa vie et un avenir meilleur pour ses enfants. Pendant un temps, les universités ont fait miroiter aux étudiants crédules que, s’ils y mettaient l’effort suffisant, leur vie ressemblerait à l’ascension de l’Everest. Évidemment, la pensée bancaire finit par nous rattraper, d’abord en abolissant les postes de travail, puis en limitant les offres d’emplois. Pris en souricière, les chercheurs d’emploi apprenaient la dure loi de l’exclusion sociale. Voyant leurs rêves et leurs espoirs séquestrés par la classe possédante, ils devinrent des citoyens en attente, suspendus dans le vide de l’appartenance sociale d’une main d’œuvre excédentaire.
Heureusement, dans le sauve-qui-peut général engendré par les politiques néolibérales, certains parvinrent à accrocher leur rêve au firmament du système comme autant de justifications au règne impitoyable de la compétition. Mais chargés de leurs dettes d’études, bon nombre ne connurent que déception et désenchantement, leurs rêves avaient un goût de cendre et le Québec n’avait pas tenu ses promesses d’une société juste et inclusive.
Pour ceux et celles qui ne souhaitent pas dévorer les autres pour s’élever au sommet de la pyramide des morts avant d’être avalés eux-mêmes par des concurrents davantage compétitifs, le monde moderne ressemble à un désert de sens et à une prison de l’âme. À l’intérieur du processus d’acquisition des dernières ressources du monde où tout est mesuré à l’aulne de l’argent, l’esprit de l’homme se meurt de pouvoir donner un sens à sa vie à travers un travail vécu comme service aux autres. Quand j’étais petit, tous les travailleurs étaient dignes du plus grand respect, peu importe le poste qu’ils ou elles occupaient.
Pour les gestionnaires du monde, tout signe de faiblesse sera interprété comme une défaillance et une inadaptation à la loi du vide et du non-sens. (C’est justement le sens qui leur fait peur.) Les sentiments appartiennent désormais à la sphère du contrôle social, administrés par des sorciers modernes en mal de bénéfices, les oppresseurs sont libres d’abuser sans être remis en cause. Cela me fait craindre pour l’avenir de la civilisation, à moins qu’il ne s’agisse d’une bonne nouvelle ? « Annoncez la libération aux captifs », la rationalité auto-justificatrice a atteint son terme.
Yves Carrier
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Notions de base sur la théorie de la Société civile.
But de la théorie :
La théorie vise le changement social en incluant l’espace comme élément fondamental de la théorie et en faisant l’économie de la violence. La théorie vise à reprendre tous les pouvoirs qui reviennent à la société civile et qu’elle est capable d’exercer. Il s’agit de renforcer l’État de Droit et le rapport démocratique avec les citoyens.
Ce qu’est la société civile.
C’est la sphère des relations de toutes sortes tissées par les citoyens entre eux sans que l’État intervienne si ce n’est pour faire respecter les lois. La société politique est celle des relations entretenues par l’État avec les citoyens et leurs organisations.
Trois conditions essentielles.
Reconnaître la société civile comme sujet historique du changement – qui doit donc l’effectuer et en bénéficier -, sujet qu’elle est de toute façon. Elle est simplement la forme moderne de l’entité société dont trois fonctions sociales, qui y étaient inclues, sont sorties : le politique avec l’État et certaines hautes instances internationales, le religieux qui tend à coiffer l’ensemble de la société et l’économique au niveau des multinationales et des hautes instances financières.
Développer un discours, une idéologie, de la société civile pour elle-même pour promouvoir ses valeurs et défendre ses intérêts. Ce qui requiert davantage d’autonomie.
Créer un mouvement de la société civile pour l’orienter, élaborer des stratégies.
Inspiration spirituelle.
La spiritualité transcende en réalité toutes les activités humaines. Des valeurs, mais aussi des intérêts, sont les moteurs de nos actions. Ces valeurs, universelles, s’expriment comme humaines, citoyennes et spirituelles, les premières et les dernières encadrant les secondes. Responsabilité, autonomie, démocratie et territorialité apparaissent comme des valeurs piliers de la théorie, tandis que certaines autres valeurs permettent de faciliter le changement social : l’arme de la vérité, conformité entre ce qu’énonce la constitution et la réalité; l’auto-limitation, conjonction entre liberté et responsabilité pour savoir jusqu’où ne pas aller trop loin afin d’éviter la violence et la répression; la civilité, pour apprendre à vivre en société; et la liminalité, sorte de résilience sociale quand des gens marginalisés pour toutes sortes de raisons ou de dépendances reviennent en société en s’appuyant sur la spiritualité.
Robert Lapointe
À la poursuite des piratesCommuniqué de presse, Québec, 16 mars 2016
Ce midi, les groupes communautaires de la région ont formé une grande chaîne humaine autour du Conseil du trésor pour revendiquer un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux ainsi qu’un meilleur financement des organismes d’action communautaire autonome. À l’heure où d’austères pirates demandent à l’ensemble de la population de se serrer la ceinture, sabrent dans nos services publics et programmes sociaux et sous-financent l’action communautaire autonome, les organismes communautaires unissent leurs forces pour protéger le trésor public.
Assez de leur régime de terreur, assez de leur austérité !
« En deux années de règne libéral, les plus vulnérables de notre société ont écopé, nos services publics ont été massacrés. Ce sont les femmes, les personnes assistées sociales, les parents d’enfants qui fréquentent des services de garde, les jeunes qui ont besoin de l’aide de professionnel-le-s dans nos écoles, nos enseignantes et nos éducatrices, celles et ceux qui maintiennent notre réseau de la santé à bout de bras qui sont attaqué-e-s. Alors que la population doit rationner ses vivres, les banques et les multinationales se gavent de généreux avantages fiscaux et fuient avec nos richesses vers de lointains paradis fiscaux. Ça suffit ! », s’indigne Anne-Valérie Lemieux-Breton, porte-parole de l’action.
Les impacts de ces coupes se répercutent dans les groupes communautaires. Ceux-ci peinent de plus en plus à répondre aux demandes d’aide alors que leur sous-financement se poursuit. « Le gouvernement semble se désintéresser des conséquences de ses choix politiques. Il se déleste des problèmes sociaux engendrés par ses compressions budgétaires et les renvoient dans la cour des organismes communautaires sans leur donner les moyens nécessaires pour les résoudre », déplore Vicky Brazeau, porte-parole de l’action.
À la poursuite des pirates !
Les organismes communautaires multiplient depuis plusieurs mois les actions pour se faire entendre. «Cette chaîne humaine représente bien la solidarité qui s’est développée entre les différents secteurs de l’action communautaire autonome. Lorsqu’on est attaqué, on se sert les coudes et on réplique ! », poursuit Madame Brazeau. Les organismes communautaires exigent le respect de leur autonomie, le plein financement à la mission globale, l’indexation annuelle de leurs subventions ainsi que la fin des compressions budgétaires et un réinvestissement majeur dans les services publics et les programmes sociaux.
« Si les ministre Leitao a besoin d’idées pour équilibrer les finances publiques, nous pouvons lui en proposer, rappelle Madame Lemieux Breton. Des alternatives fiscales qui permettraient un financement plus équitable de nos services publics, il y en a, et nous nous attendons à ce que le gouvernement fasse preuve de courage dans son prochain budget, qu’il fasse d’autres choix. » À titre d’exemples, l’augmentation du taux d’imposition provincial des entreprises, le rétablissement de la taxe sur le capital des entreprises financières, le renforcement du caractère progressif de notre régime fiscal en ajoutant des paliers d’imposition sont toutes des mesures qui permettrait de renflouer annuellement les coffres de l’État.
Cette action est organisée par le Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12), le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (Québec-Portneuf-Charlevoix) (RGF-CN), le Regroupement des organismes communautaire de la région 03 (ROC 03) et plusieurs organismes communautaires de la région.
Communiqué du Collectif pour un Québec sans pauvreté
17 mars 2016
Après analyse du budget du Québec déposé aujourd’hui, le Collectif pour un Québec sans pauvreté dénonce l’absence de réelle volonté du gouvernement de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. « Ce budget maintient dans une situation inacceptable plus d’un million de ménages québécois qui n’arrivent pas à sortir de la pauvreté. Devant ce constat, le Collectif considère que ce gouvernement n’a pas de cœur. Il préfère distribuer des milliards de dollars aux entreprises et aux mieux nantis ou encore verser plus de 2 milliards $ au Fonds de générations, plutôt que de hausser les revenus des plus pauvres », de s’indigner Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif.
Selon le Collectif, la pauvreté pèse lourd sur les épaules des plus pauvres, réduit leur espérance de vie et jette de l’ombre sur le futur de leurs enfants. Mais ces faits n’incitent nullement le gouvernement à agir autrement que pour souligner, dans une brochure descriptive sans engagement financier, la bonne performance du Québec dans le Canada. « Peut-être que de se comparer permet de se consoler, mais il aurait été plus honnête de la part du ministre des Finances de reconnaître que dans les faits, la lutte à la pauvreté au Québec a stagné et que les inégalités ont augmenté depuis le début des années 2000. »
Programme Objectif emploi : des pénalités maintenues
Du côté du tout nouveau programme Objectif emploi, contenu dans le projet de loi 70 et présentement étudié en commission parlementaire, le Collectif s’insurge que le gouvernement maintienne l’obligation pour les nouveaux demandeurs d’accepter un emploi ou de participer à une mesure d’employabilité sous peine de voir leur prestation amputée.
Le Collectif reconnaît toutefois que la légère bonification de la prestation qui sera accordée aux premiers demandeurs d’aide sociale qui participent au programme Objectif emploi représente un pas dans la bonne direction. « Mais pourquoi la limiter à ces seules personnes? Pourquoi ne pas bonifier les prestations des quelque 116 000 adultes qui utilisent déjà les services publics d’emploi? Le recherche d’économies à tout prix et le contrôle obsessif des dépenses de l’État sont devenus une fin en soi pour ce gouvernement et tant pis pour les laissés pour compte », de s’indigner M. Petitclerc. Une autre démonstration que ce gouvernement manque de cœur, selon lui.
Prime au travail : une subvention déguisée aux entreprises
En augmentant la prime au travail pour un adulte vivant seul, afin de la porter à un maximum de 725,76 $ par année (près de 15 $ par semaine), le gouvernement du Québec nous dit prendre les moyens pour encourager les personnes à faible revenu à travailler davantage. Mais le moyen choisi risque de ne pas avoir les effets escomptés. Cet incitatif, somme toute assez faible, réduit en fait la pression sur les employeurs du Québec pour qu’ils accordent de meilleurs salaires. « Il s’agit d’une sorte de subvention encourageant la précarisation des emplois, notamment par la multiplication des postes à temps partiel », d’expliquer M. Petitclerc. Selon lui, la prime au travail augmente le revenu des travailleurs et travailleuses pauvres, mais à quel prix? Cette mesure rend encore plus pertinentes les luttes citoyennes pour l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure.
« Mais l’éléphant dans la pièce demeure l’injustice flagrante quant au taux effectif marginal d’imposition du salaire des travailleurs et travailleuses pauvres. Entre 8000 $ et 20 000 $ de revenus par année, une famille avec un enfant contribue à la cagnotte fiscale collective à un taux effectif marginal d’imposition de plus de 80 cents sur chaque nouveau dollar gagné. Une trappe fiscale qui nuit fortement à la capacité de ces ménages pauvres à se sortir de leur situation. C’est un frein à la mobilité sociale des plus pauvres. Ne rien faire pour ces personnes, c’est accepter que leurs efforts valent moins que ceux des mieux nantis », de s’insurger M. Petitclerc.
Somme toute, et compte tenu du ralentissement des investissements dans le logement social, le budget d’aujourd’hui annonce aux personnes en situation de pauvreté qu’elles devront encore patienter avant de voir la lumière au bout du tunnel. Toute la fierté dont les ministres ont fait preuve aujourd’hui est une insulte de plus envers les plus pauvres.
Renseignements : Stéphane Lessard, responsable des communications Cellulaire : 418-930-5969
Courriel : communications@pauvrete.qc.ca
Site Internet : www.pauvrete.qc.ca
La colère, l’indignation et la douleur ressentie par l’absence de notre amie et collègue Berta Caceres sont toujours ancrées dans nos cœurs.
Berta était une représentante indigène importante qui, depuis plus de 20 ans, représentait le Conseil Civique des Organisations Populaires et Indigènes du Honduras. Promotrice infatigable des droits des communautés rurales et du peuple Lenca du Honduras, elle a aussi inspiré les luttes sociales des organisations et des mouvements régionaux et internationaux.
Alors qu’elle dormait dans sa maison, Berta a été brutalement assassinée par des inconnus armés, dans la nuit du 02 au 03 mars 2016. Son activisme et son travail représentaient une menace aux intérêts du capitalisme néolibéral qui est en train de piller les biens communs, imposant des méga projets qui provoquent le déplacement de villages entiers et qui violent la nature.
Comme Berta, d’autres camarades sont en train de militer et de lutter, au sein de leur communauté, pour défendre l’eau, la terre, l’air et les forêts, contre les grandes corporations qui ne pensent qu’à leurs bénéfices économiques. Dans différents coins de la planète, ces femmes courageuses continuent de lutter pour défendre la vie, même après avoir reçu des menaces de mort et avoir été victime d’agressions physiques. Les célébrations du 08 mars, la Journée internationale de la femme, sont marquées par cette perte, par cette violence, mais celles-ci nous donnent des forces pour relever la tête et être plus en alerte.
Pour cela, nous déclarons que, malgré la tristesse que nous ressentons, les larmes ne voileront pas nos yeux et le nœud qui nous opprime la gorge, à cause de l’assassinat de Berta, ne nous empêchera pas de crier et de réclamer justice. Et parce que nous allons intensifier la lutte, nous allons renforcer notre résistance et nos réponses aux agressions du système capitaliste patriarcal et néocolonialiste, seront plus coordonnées, rapides et effectives.
Parce que s’ils touchent à une, ils touchent à toutes.
Marche mondiale des femmes
Wold March of Women
Marcha mundial de las mujeres
Le pape François réhabiite le bon sens de Jésus, Leonardo Boff, 21 mars 2016
Le pivot central des discours de François n’est ni la doctrine ni le dogme de l’Église catholique. Non qu’il en fasse peu de cas. Il sait qu’il s’agit de constructions théologiques historiquement datées, qui ont déclenché des guerres de religion, des schismes, des excommunications, qui ont brûlé des théologiens et des femmes (comme Jeanne d’Arc et d’autres considérées comme « sorcières ») sur les bûchers de l’Inquisition. Cela a duré des siècles et l’auteur de ces lignes a fait, lui même, l’amère expérience du réduit où l’on interrogeait les accusés, dans l’austère bâtiment de l’ex-Inquisition, situé à gauche de la basilique Saint Pierre.
Le pape François a révolutionné la pensée de l’Église en faisant le choix inconditionnel de la méthode du « Jésus de l’histoire ». Elle actualise ce que l’on entend, de nos jours, par « tradition de Jésus », antérieure aux actuels évangiles, rédigés 30 à 40 ans après sa crucifixion et sa mort. La « tradition de Jésus » ou ce que l’on appelle, dans les Actes de apôtres, « le chemin de Jésus », se fonde davantage sur les valeurs et les idéaux que sur les doctrines. Essentiels sont l’amour inconditionnel, la miséricorde, la justice, le pardon, et l’option préférentielle pour les pauvres marginalisés et l’ouverture totale à Dieu le Père. Jésus, en vérité, n’avait pas l’intention de fonder une nouvelle religion. Lui, il voulait nous apprendre à vivre, à vivre comme des frères, solidaires et attentifs les uns aux autres.
Ce qui ressort le plus en Jésus, c’est le bon sens. Nous, nous disons de quelqu’un qu’il a du bon sens quand il a la parole juste, en chaque circonstance, le comportement adéquat et qu’à la volée, il saisit le point central de la question. Le bon sens est lié à l’expérience concrète de la vie. Il distingue l’essentiel du secondaire, il est capable de voir et de mettre chaque chose à sa place. Le bon sens est à l’opposé de l’exagération. C’est en cela que les fous et les génies, qui par de nombreux aspects se ressemblent, ici se différencient radicalement. Le génie exalte le bon sens, le fou minimise l’exagération.
Jésus, selon les témoignages des Évangiles, se révèle comme un génie du bon sens. Une sincérité sans équivalent traverse tout ce qu’il dit et fait. Dieu dans sa bonté, l’être humain dans sa fragilité, la société avec ses contradictions, la nature dans sa splendeur, apparaissent dans une immédiateté cristalline. Il ne fait pas de théologie. Il ne recourt pas à des principes moraux supérieurs, ne se perd pas dans une casuistique ennuyeuse et sans cœur. Ses paroles et ses attitudes mordent le concret à pleines dents et, là où la réalité saigne, il est conduit à prendre une décision, face à lui même et face à Dieu.
Ses monitions sont incisives et directes : « Réconcilie toi avec ton frère » (Mt 5,24) ; « ne jure pour aucune raison » (Mt 5,34) ; « ne résiste pas aux méchants et si quelqu’un te gifle la joue droite, tend lui l’autre aussi » (Mt 5,39) ; « quand tu fais l’aumône, que ta main droite ne sache pas ce que fait la gauche » (Mt 6,3)…
C’est ce bon sens qui a manqué à l’Église institutionnelle (papes, évêques, prêtres) et non pas à l’Église de la base, particulièrement sur les questions morales. En ces matières, l’Église-institution est sévère et implacable. Elle sacrifie les personnes, avec leurs douleurs, à des principes abstraits. Elle se maintient plus par le pouvoir que par la miséricorde. Les saints et les sages nous avertissent : là où règne le pouvoir, l’amour s’évanouit et la miséricorde disparaît.
Comme le pape François est différent ! Il nous dit que la qualité principale de Dieu est la miséricorde. Il répète souvent : « Soyez miséricordieux comme l’est votre Père des cieux. » (Lc 6,36) Il explique ainsi le sens étymologique de « miséricorde » : donner son coeur aux pauvres, à ceux qui souffrent. À l’Angélus du 6 avril 2014, il déclarait d’une voix altérée : « Remarquez bien qu’il n’existe aucune limite à la miséricorde divine offerte à tous. » Il demande à la foule de répéter, ensemble et avec lui : « Il n’existe aucune limite à la miséricorde divine offerte à tous. » Il fait une déclaration de théologien, rappelant la conception de Saint Thomas d’Aquin, qui, lorsqu’il se réfère à la pratique, affirme que la miséricorde est la plus importante des vertus, car « il lui appartient de se consumer pour les autres et de les secourir dans leurs faiblesses ».
Empli de miséricorde devant les risques de l’épidémie de « zica », il ouvre la possibilité de recourir aux contraceptifs, car il s’agit de sauver des vies : « Éviter la gestation n’est pas un mal absolu » a-t-il dit lors de son voyage au Mexique, au mois de février de cette année. Aux nouveaux cardinaux, il déclare clairement : « L’Église ne condamne pas pour toujours. Le châtiment de l’enfer, avec lequel elle tourmentait les fidèles n’est pas éternel. Dieu est un mystère d’inclusion, jamais d’exclusion. La miséricorde triomphe toujours. »
Cela signifie que nous devons interpréter les références à l’enfer dans la Bible, non pas de manière fondamentaliste, mais avec pédagogie, comme une des modalités parmi d’autres, capables de nous conduire à faire le bien. C’est logique, on n’entre pas dans la Trinité de n’importe quelle manière, nous passerons à travers l’action purificatrice de Dieu, jusqu’à faire irruption, purifiés, dans la béatitude éternelle.
Voilà un message vraiment libérateur. Il est la confirmation de son exhortation apostolique « La joie de l’Évangile ». Une telle joie est offerte à tous, aux non-chrétiens aussi, car c’est un chemin d’humanisation et de libération.
https://leonardoboff.wordpress.com/2016/03/08/papa-francesco-riscatta-il-buon-senso-di-gesu
Traduction Paule Zellitch
C’est l’État qui traduit, par ses lois, les choix et les valeurs d’une société. Pas les tribunaux, ni même la Cour suprême et ses neuf juges. C’est l’État, pas la délibération de son Parlement et non pas par le résultat des sondages populaires.
L’État canadien a maintenant moins de trois mois (c’est bien peu) pour donner suite au jugement Carter de février 2015 rendu par la Cour suprême qui autorisait l’aide médicale à mourir. Faut-il légaliser l’aide à mourir ? Ou plutôt la décriminaliser ? Ou enfin maintenir le statu quo en recourant à la clause nonobstant ?
La réponse n’est pas que légale. Elle a inséparablement une dimension anthropologique, philosophique et spirituelle encore plus importante que sa dimension juridique. C’est un choix de société pour l’avenir, bien davantage qu’un simple reflet de l’évolution des mœurs.
Mourir peut-il être un choix ? Un simple choix individuel, comme celui d’un produit, d’une préférence ou d’un désir ? Ou mourir est-il un mystère qui nous échappe, comme celui de la vie elle-même, la nôtre comme celle de l’univers ?
Oui, la science a immensément progressé, rendant possibles des conceptions jusqu’ici stériles, faisant désormais vivre des bébés jusqu’ici mort-nés et prolongeant, parfois très longtemps, des vies jusqu’ici terminées prématurément. Mais la science ne crée toujours pas la vie. Pas plus qu’elle ne devrait donner la mort.
Faut-il autoriser, par une loi, l’aide médicale à mourir ? Je suis convaincu que non, pour des raisons non pas religieuses, mais politiques et anthropologiques. Notre société doit continuer de choisir la vie, et non pas commencer à cautionner la mort. Notre société doit prioriser en tout une culture de la vie, et non pas accepter que la mort puisse devenir un choix personnel, comme n’importe quelle autre marchandise.
Je suis très sensible aux drames qui peuvent accompagner certaines fins de vie, tout comme aux détresses que peuvent vivre des personnes lourdement handicapées ou atteintes de maladies dégénératives ou incurables. Même dans la réponse à ces drames et à ces détresses, notre société doit privilégier une culture de vie plutôt qu’une culture de mort. La mort, bien sûr, est inéluctable. Et elle peut parfois représenter un moindre mal. Mais jamais un bien, choisi et recherché. En fin de vie comme avant la naissance.
C’est pourquoi je crois que le Parlement canadien devrait choisir la voie de la décriminalisation, plutôt que celle de la légalisation : que l’aide médicale à mourir e soit désormais plus un crime, et non pas qu’elle devienne un droit. Comme c’est le cas, au Canada, pour l’avortement. Pour une société, cela fait une énorme différence. Provoquer la mort demeure un interdit social, un mal réprouvé par notre société. Même s’il peut être toléré, comme un moindre mal, dans certaines circonstances, d’où sa décriminalisation. Mais il ne devient pas désormais un droit ou un bien, comme si on le légalise.
Les sociétés n’ont cessé d’évoluer à travers les âges, y compris avec la science, vers un plus grand respect de la vie, de la dignité des personnes et en particulier des plus faibles et des plus vulnérables. Il est nécessaire que le Canada continue de privilégier cette culture de la vie et qu’il refuse d’avaliser tout ce qui pourrait banaliser peu à peu une culture de la mort, comme on vient de le constater avec le rappel du Collège des médecins du Québec au sujet de l’obligation de réanimer les patients qui ont tenté de se suicider.
Dominique Boisvert, 121, rue Albert, Scotstown, Québec, J0B 3B0
Dominique Boivert
Né en 2001 au Brésil, le Forum social mondial (FSM) est le plus grand rassemblement de la société civile visant à trouver des solutions aux problèmes de notre temps, en construisant des alternatives concrètes au modèle économique néolibéral et aux politiques fondées sur l’exploitation des êtres humains et de la nature.
Le FSM est un lieu de convergence des mouvements sociaux, libre expression, d’échange citoyen, de manifestation artistique, de revendication et d’inspiration. Il suscite des engagements concrets et provoque l’élaboration de stratégies d’action en réseau. Sa vocation: construire ensemble et dans un élan de solidarité internationale un monde meilleur fondé sur la justice sociale et solidaire, la démocratie participative et la reconnaissance de l’égale dignité de toutes et de tous.
Du 9 au 14 août, le FSM 2016 marquera l’histoire comme étant le premier à se tenir dans un pays du Nord. Face à la crise globale qui affecte l’humanité toute entière, il est crucial de dépasser certains clivages qui persistent toujours et d’inviter les mouvements et acteurs de solutions de tous les continents à agir ensemble.
Le territoire social mondial est un lieu riche en informations, débats et partages d’idées. Découvrez plus de 1500 activités autogérées proposées par des organisations et des collectifs du monde entier, des assemblées de convergence, des grandes conférences, des tables rondes, des panels et des initiatives, le tout entouré d’une dimension artistique.
13 thèmes ont été identifiés pour faciliter la construction de la programmation générale du FSM 2016. Vous avez jusqu’à la mi-mai pour proposer d’animer un atelier avec votre organisme ou votre réseau national. Voici les titres des axes :
1—Alternatives économiques, sociales et solidaires face à la crise capitaliste;
2—Démocratisation de la connaissance et droit à la communication;
3—Culture de la paix et lutte pour la justice et la démilitarisation;
4—Décolonisation et autodétermination des peuples;
5— Défense des droits de la nature et justice environnementale;
6—Luttes globales et solidarité internationale;
7—Droits humains et sociaux, dignité et luttes contre les inégalités;
8—Luttes contre le racisme, la xénophobie, le patriarcat et les fondamentalismes;
9—Lutte contre la dictature de la finance et pour le partage des ressources;
10—Migrations et citoyenneté sans frontières;
11— Démocratie, mouvements sociaux et citoyens;
12—Monde du travail face au néolibéralisme;
13—Expressions culturelles, artistiques et philosophiques pour un autre monde possible.
Tiré du dépliant Forum social mondial 2016
Site officiel du Forum social mondial
www.fsm2016
Un autre monde est nécessaire. Ensemble, il devient possible !
Montréal, 9 au 14 août 2016
Argentine, « Jamais plus ! », Pablo Gentilli, 24 mars 2016, El Pais, Madrid
Il y a 40 ans, débutait une des plus brutales dictatures de l’histoire latino-américain. Les dictatures savent faire preuve d’indulgences pour se définir elles-mêmes, pour raconter leurs prétendues conquêtes restauratrices, leur perverse et meurtrière vocation pour l’ordre, leur obsession macabre pour le silence et leur pulsion sépulcrale à subordonner la vie à l’empire de la terreur. Celle-ci, qui débuta le 24 mars 1976, s’autoproclama : « Processus de réorganisation nationale » et dévasta l’Argentine, il y a 40 longues, douloureuses et héroïques années.
Les dictatures cachent leur brutalité, elles prétendent la maquiller par des euphémismes rédempteurs et de sanglantes promesses de liberté. La dictature argentine provoqua la mort de milliers de personnes, 30 000 disparus, de centaines d’enfants enlevés à leurs victimes pour être confiés à des tortionnaires, des policiers, des militaires et des civils assassins qui firent de l’enlèvement d’enfant l’un de leurs crimes les plus répugnants, l’une de leurs perversions les moins avouables. La dictature argentine causa des milliers et des milliers d’exilés, des familles détruites, des personnes semblables à nous, à moi et à n’importe qui, submergées dans la souffrance et une douleur sans fin, si l’on peut considérer qu’il existe une limite ou une mesure à la souffrance et la douleur humaine. La dictature laissa un pays détruit, dévasté par le retard, le mensonge et l’opprobre, blessé par la vengeance et marquée par l’ignominie, mais disposé à renîitre, à revivre et à se relever. Un pays à nouveau capable de se créer lui-même, comme tant d’autres fois dans son histoire, sachant qu’ils peuvent bien lui avoir tout dérobé sauf sa dignité.
Et l’Argentine se réinventa, construisant sa démocratie, comme toutes celles que nous connaissons, incomplète, défectueuse et imparfaite, mais que son peuple su défendre dans ses rues, mobilisant ceux et celles qui avaient toujours lutté pour la conquérir et ceux et celles qui apprirent à la défendre, sachant que d’elle dépendait son avenir d’espoir et de liberté. Il n’est pas toujours facile, ni nécessaire, de reconnaître la capacité d’un pays à revenir de l’abîme de l’horreur et de la barbarie. Cependant, quiconque aura l’audace d’entendre ce qui s’est produit en Argentine au cours des 40 dernières années, ne doit pas perdre de vue la complexité, les interstices et les courbes, les opacités et les claires obscures, du processus d’affirmation d’une identité nationale qui dût se remettre d’un brutal génocide commandé du sommet de son propre État.
L’Argentine est né à nouveau et elle le fait en criant « Jamais plus ». Ce pays se risqua à faire ce que peu d’autres ont fait avec leurs génocidaires: On les jugea et on les condamna. Après, l’argentine fit également ce que plusieurs pays firent avec leurs génocidaires : Elle leur pardonna sans autre justification que celle de proclamer le triomphe de l’impunité. Plus tard, obstinée à se reconstruire, elle fit ce qu’aucun autre pays ne fit ou n’eut le courage de faire: elle leva l’impunité. Remise de l’étourdissement que le silence avait imposé à la vérité et avec la valeur que brandissent ceux et celles qui ne se satisfont pas des faux pardons de l’histoire, elle les condamna à nouveau. Et elle continue à le faire 40 ans après, pour assassinats, pour kidnapping d’enfants, pour génocide, pour avoir utilisé l’État comme un instrument de terreur, pour avoir violé en tout et en chacun de ses actes les fondements qui doivent supporter une république démocratique : les droits humains.
Je ne crois pas que l’Argentine doit être considérée meilleure que n’importe quel autre pays pour avoir fait de la lutte pour la mémoire, la vérité et la justice, l’un des piliers de sa nouvelle identité comme nation souveraine. Néanmoins, si se multiplierait son exemple dans le combat contre l’impunité, cela pourrait aider énormément à ce que l’Amérique latine soit une région plus juste. L’Argentine qui jugea et continue de juger les génocidaires et les dictateurs, commémore aujourd’hui les 40 ans du coup d’État militaire de 1976, dans un contexte spécial. Certainement, peu de nous s’imaginèrent qu’une partie des hommages à la lutte contre la dictature serait réalisé par le gouvernement d’un parti conservateur, le PRO, formé de dirigeants qui ont peu ou rien fait dans la lutte contre la dictature, qui a décidé d’affronter d’une main ferme les manifestations de la population et qui compte sur l’appui d’une des forces démocratiques qui réalisa le procès historique contre la junte militaire pour aussitôt promulguer l’impunité, le Parti Radical de Raul Alfonsin.
Encore moins, quelqu’un aurait pu s’imaginer qu’un jour si emblématique dans la lutte pour les droits humains serait souligné en Argentine par la visite du président Barack Obama, premier mandataire d’un pays qui, jusqu’à l’arrivée de Jimmy Carter à la présidence, appuya, promut, et donna la couverture internationale nécessaire à toutes les dictatures latino-américaines. Un pays qui porte sur ses épaules l’opprobre historique de tout un continent qui a vécu sous la violence des coups d’État et de l’intervention militaire extérieure au cours d’une bonne partie des 200 années de son indépendance. Qui aurait dit que ce serait Barack Obama, qui, à la face du monde, rappellerait nos morts, traversant en silence le Parc de la Mémoire, sur les rives de ce fleuve immense et immuable, où des centaines d’Argentins et d’Argentines furent lancés en bas d’avions militaires avec l’appui ou la complicité de la Maison Blanche ?
Le gouvernement nord-américain a promis de déclassifier les documents qui mettent en évidence les relations entre leur pays et la dictature argentine. Le Vatican également. Surgiront ainsi de nouvelles et précieuses évidences sur les méthodes qui ont élaborée l’architecture d’un État assassin. Des preuves qui serviront à rendre justice et à ne pas oublier. Qui sait, quand ces documents seront connus, si le gouvernement des États-Unis et le Vatican ne demanderont pas pardon au peuple argentin pour la violence commise et parce qu’ils ne surent pas toujours éviter que soit mené à terme les atrocités qui coûtèrent la vie à des milliers de citoyens innocents ? Ou peut-être qu’ils ne diront rien, même si l’information déclassifiée aidera à continuer d’exiger le châtiment nécessaire de tous les coupables, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les violations des droits humains ne peuvent être prescrites parce que, lorsqu’elles sont commises, l’impunité s’institutionnalise comme un pervers et macabre sauf-conduit qui protège les homicides et immunise les sociétés de l’horreur que devraient engendrer de tels délits. (La prescription signifie que le temps pour déposer une plainte criminelle est échu.)
Aujourd’hui, tandis que Barack Obama visite la région de Bariloche, entourée de lacs et de montagnes d’une beauté incomparable, des centaines de milliers d’Argentins et d’Argentines sortiront une fois de plus manifester dans les rues pour crier : « Jamais plus ». Ils iront sur la Place de Mai, sur les places de chaque ville et de chaque village, avec les Grands-mères et les Mères de l’espoir, exiger que les coups d’État et les dictatures ne se répètent jamais plus en Argentine ni dans aucun autre pays. Ils et elles marcheront en sachant que la justice n’est pas seulement nécessaire pour guérir les blessures, mais, fondamentalement, pour éviter que la barbarie ne se répète. Ils et elles marcheront ensemble, se prenant par la main, s’embrassant comme ils et elles l’ont toujours fait, rêvant d’un pays meilleur, du le pays qu’eux-mêmes, leurs fils et leurs filles, méritent. Ils et elles marcheront vers le futur, illuminés par la mémoire.
Pablo Gentili est né en Argentine. Il a écrit plusieurs livres sur les réformes éducatives en Amérique latine. Il est l’un des fondateurs du Forum mondial d’éducation, une initiative du Forum social mondial et il est le secrétaire exécutif du Conseil latino-américain de Sciences sociales (CLACSO). Depuis plus de 20 ans, il est professeur à l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ) où il poursuit ses recherches.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
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