Mammon et les autres…
Voyez comment les puissances de l’argent nous divisent et nous conduisent au sacrifice ultime, ignorant tous les avertissements d’une catastrophe annoncée, ils croient qu’ils seront épargnés. Ceux et celles qui leur ont offert leur cœur, marchent comme des zombies en quête de leur humanité. Si seulement celle-ci avait été à la hauteur de nos attentes de solidarité, de paix et d’harmonie. Hormis quelques individus qui ont su nous émouvoir par leur capacité de compassion, nous avons tous succombé aux charmes de la consommation, à l’admiration de la richesse et aux sirènes de l’ambition.
Pour de vulgaires intérêts, les nations les plus puissantes ont trahi leurs principes les plus chers et se sont discréditées. Nous n’avons plus d’idéal à proposer et le phare de l’Occident s’est éteint à coup de guerres, de spoliation et de mensonges aux Nations Unies. Les garants de la paix sont ainsi devenus les promoteurs de tous les conflits, pour empêcher les peuples de s’organiser et d’avoir leur mot à dire dans le choix de leurs destinées parce que cela pouvait nuire aux affaires. Sans doute en a-t-il toujours été ainsi et je ne fais qu’émerger à la pleine conscience de la laideur de ce monde.
Le pouvoir de l’argent semble infini. Il suffit d’y ajouter un peu d’orgueil et d’arrogance, de raisonnements à court terme, de défense des privilèges d’un ordre injuste, de mélanger le tout en accusant les victimes d’être responsables de ce qui arrive, et nous avons fini de dissoudre les idéaux de démocratie et des droits humains, de sauvegarde de l’environnement et de recherche de la paix. Cultivant les litiges sans fin, les procureurs des puissants ont enchainé l’espoir et perverti l’idée même de l’innocence des populations civiles. Désormais, le crime majeur est de porter atteinte aux puissances de mort qui nous gouvernent.
Qu’il est triste d’observer la faiblesse des gens de bien et la toute puissance des violents qui imposent leurs lois, assoiffés de richesse et de pouvoir, indifférents au mal qu’ils produisent et heureux de triompher au prix de la plus désespérante destruction. Non, nous ne sommes pas humains, et je me demande si un jour nous l’avons été. « Parce que dans chaque être humain qu’on tue, c’est l’humanité qu’on assassine, » dixit Pauline Julien.
Pendant que les pays riches se prélassent dans leur vide abyssal, concentrant la richesse en refusant tout partage, à l’intérieur comme à l’extérieur, des milliers d’immigrants affluent et nous démontrent le déséquilibre du monde. Sans le vouloir, ils seront les boucs émissaires désignés des extrême-droites jouant sur nos peurs et notre manque d’altérité. Une intellectuelle brésilienne faisait le parallèle entre la destruction planétaire et la décadence morale de l’humanité, incapable de discerner le bien du mal, et ce au prix de la plus grande cruauté.
Yves Carrier
Oxfam, Davos, et la concentration immorale de la richesse
Isabella Arria* – Estrategia.la
Le monde pourrait connaître son premier billionnaire (un million de millions ou mille fois un milliard) en dollars dans moins de dix ans, mais éradiquer la pauvreté prendrait plus de 200 ans, affirme Oxfam International dans son évaluation sur l’inégalité mondiale, publiée pour coïncider avec l’ouverture du Forum économique mondial de Davos.
À ce forum, les multimillionnaires et les gouvernants néolibéraux se réunissent chaque année pour célébrer le modèle économique qui a généré la plus grande concentration de la richesse dans toute l’histoire de la civilisation humaine et ainsi faire dévier la culpabilité de la dévastation sociale et écologique vers n’importe quel autre facteur qui ne soit pas le système lui-même.
La réalité réfute de manière incontestable le mythe néolibéral selon lequel la croissance économique se traduit automatiquement en réductions de la pauvreté et donc, qu’il suffit de laisser agir les forces du marché pour régler tous les maux du monde.
Ce qu’on observe en réalité, c’est que le libre marché est une fiction alimentée par les privilégiés et leurs porte-voix – les médias internationaux – afin de maintenir endormies les immenses majorités qui sont appauvries et précarisées pour financier la ploutocratie. L’enrichissement n’est pas, comme le prétendent les économistes orthodoxes, le résultat de l’innovation et de l’optimisation des processus, mais de la spoliation.
Le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne, deux institutions pleinement engagées envers le néolibéralisme, reconnaissent que pendant la crise déclenchée par le coronavirus, les grandes entreprises de nombreux secteurs concentrés ont augmenté les prix pour accroitre leurs bénéfices, ce qui éleva le coût de la vie à l’échelle globale.
Pendant que manquait les produits et les services, ils utilisèrent leur pouvoir monopolistique pour diminuer les salaires en termes réels (croissance nominale moins l’inflation).
Les données de l’Organisation internationale du travail sont éloquentes : En 2023, parmi les 20 plus grandes économies du monde, seuls le Mexique, la Chine et la Russie, ont connu une croissance réelle des salaires.
Le billionnaire
Le billionnaire possèdera un dollar de chaque 630 dollars de la richesse dans le monde et il aura la même valeur que la puissance pétrolière qu’est l’Arabie Saoudite, affirme le directeur exécutif d’Oxfam, Amitabh Behar. Le système économique mondial en vigueur est une gigantesque machine à subtiliser la richesse d’en bas pour la transférer vers le haut de la pyramide sociale dans la lutte des classes la plus brutale connue, et la bande des propriétaires des moyens financiers est en train de vaincre sans même jeter un œil aux travailleurs.
Depuis 2020, les cinq hommes les plus riches ont multiplié par deux leurs fortunes, alors que 5 milliards des personnes sont plus pauvres qu’au commencement de la pandémie de la Covid-19. En 2010, l’homme le plus riche possédait 53 milliards de dollars, et le top 5 totalisait 211 milliards. Aujourd’hui, la plus grande fortune personnelle est de 251 milliards, et ensemble, avec les quatre qui le suivent, ils possèdent 879 milliards de dollars.
Si ces nombres s’ajustent à l’inflation, en moins de 15 ans, la quantité d’argent détenu par les cinq individus les plus riches aura triplée. Les fortunes des cinq hommes les plus riches du monde – le directeur général de Tesla, Elon Musk; Bernard Arnault et sa famille, de la compagnie des produits de luxe LVMH; le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos; le fondateur de Oracle, Larry Ellison, et le financier Warren Buffet – ont accru leurs richesses de 114 fois en termes réels depuis 2020.
Aujourd’hui, la personne la plus riche du monde est le magnat Elon Musk, avec une fortune personnelle d’un peu moins de 250 milliards de dollars, selon les chiffres de la revue Forbes.
Pendant la pandémie, en plus de l’augmentation du coût de la vie, la concentration de pouvoir des monopoles a réduit les salaires en termes réels. Nous assistons au début d’une décennie de division, avec des milliards de personnes qui endurent la pandémie, l’inflation et la guerre, tandis que les fortunes des multimillionnaires explosent. Cette inégalité n’est pas accidentelle, les plus riches s’assurent que les corporations qu’ils possèdent produisent toujours plus de richesses aux dépends de tous les autres, explique Behar.
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Isabelle Arrias est une journaliste chilienne résidant en Europe, analyste associée au Centre latino américain d’analyse stratégique. (CLAE, estrategia.la)
Traduit de l’espagnol
par Yves Carrier
Équateur : La première violence est celle du système néolibéral
Par Pedro Pierre, site Amerindia
Nous sommes à nouveau confinés pour nous protéger de la violence militaire… parce que la violence criminelle est née du manque d’emploi. Les Équatoriens en âge de travailler ne trouvent pas d’emploi. La corruption généralisée a infiltré l’État avec l’argent provenant du trafique de drogue, la partialité politique de la justice au plus haut niveau, la santé et l’éducation négligées et chères, la nonchalance du gouvernement pour la jeunesse, les pactes gouvernementaux avec les bandes criminelles en abandonnant les prisons aux chefs de gang, l’exploitation systématique des travailleurs, les campagnes de haine et de mensonge des moyens de communication… tout cela nous a conduit à la situation de chaos actuel.
Le gouvernement s’attaque aux « conséquences » et non aux causes de la violence et les jeunes, coupables ou non, paient le prix élevé de la guerre à la délinquance associée au narco-trafique alors que les responsables sont les deux gouvernements antérieurs – ceux de « cols blancs » – qui permirent voire facilitèrent le trafic de la drogue pour que les bandes de jeunes s’entretuent et nous extorquent. L’ambassade nord-américaine nous avisa que le trafic de drogue s’effectue avec la complicité des cadres supérieurs de l’armée et de la police.
Les futures prisons de « dernière génération » ne vont pas résoudre le problème du chômage, de la corruption de l’État et de l’accumulation de la richesse dans peu de mains. Ni ne le fera la consultation populaire de 20 questions qui n’est rien d’autres qu’un rideau de fumée. En passant, le gouvernement veut augmenter la taxe de vente de 12% à 15%… faisant payer à toute la population le manque d’argent dans les coffres de l’État alors qu’il ne parle pas d’exiger des banques qu’elles paient les 5 milliards de dollars qu’elles lui doivent, ni les 2 milliards des entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale, ou les 82 millions de dollars dus par les sociétés du président Noboa. Bien non, les puissants vont toujours être les bénéficiaires avec la nouvelle loi fiscale en préparation avec des facilités financières et des zones franches sans obligation envers les travailleurs. Les banques et les grands groupes financiers continuent de cacher leur argent dans les paradis fiscaux puisque l’État ne contrôle plus les entrées et les sorties des devises ni ne radiographie les conteneurs qui partent des ports nationaux.
Après deux gouvernements qui ont pactisé avec les délinquants et les mafias internationales de la drogue, obéissant aux intérêts nord-américains, nous voyons les résultats du système pervers qui nous gouverne. Nous allons continuer de mal en pis avec le gouvernement des entreprises conseillé par le Fonds monétaire international qui organise le saccage du pays et des matières première en faveur des grandes multinationales… parce qu’il refuse de voir et de s’attaquer aux causes qui ont conduit au désastre national actuel.
Avec tout cela, c’est impossible qu’il y ait des emplois pour les jeunes, une vie digne, des maisons, la santé, l’éducation, le progrès et la tranquillité pour la majorité des Équatoriens. Les montants des envois d’argent des expatriés à leur famille ont augmenté parce que la pauvreté a fait augmenter les inégalités sociales et l’émigration. Ont aussi augmenté l’égoïsme, l’indifférence, l’individualisme qui nous rend complices et masque ce qui se passe. Les dernières élections ont été tâchées de sang avec l’assassinat de 8 personnes par nos malnommées « élites nationales ». Maintenant, on se demande sur les réseaux sociaux et sur TV Sur si l’assaut du Canal de télévision TC television à Guayaquil, qui a provoqué une commotion nationale et une panique dans les grandes villes du pays, n’a pas été un show préparé à l’avance… Malheureusement, tout est possible dans mon cher pays.
Pour les chrétiens et les hommes et les femmes de bonne volonté, les Écritures nous éclairent à travers saint Paul qui affirme : « Les racines de tous les maux se trouvent dans l’ambition de l’argent. » Jean Baptiste continue en orientant les militaires : « N’abusez pas des gens, ne portez pas de faux témoignages et contentez-vous de votre solde. » Le prophète Isaïe continue en criant : « Malheur à ceux qui écrivent des lois injustes et mettent par écrit les décrets de la méchanceté. Ils laissent sans protection les pauvres de mon pays, dépossèdent les faibles de leurs droits, laissent la veuve sans rien et dépossèdent l’orphelin! » L’apôtre saint Jacques dénonce : « Maintenant, c’est votre tour les riches : pleurez et lamentez-vous… Vous n’avez connu que le luxe et les plaisirs en ce monde, et vous vous enivriez pendant que d’autres étaient assassinés ».
Récemment, le pape François avertit : « La mesure d’une civilisation se voit à la manière dont elle traite les personnes vulnérables… La solidarité, en plus d’être une vertu morale, est une exigence de justice qui requiert que l’on corrige les distorsions du système et que l’on purifie les intentions des systèmes injustes, également à travers des changements radicaux de perspective dans le partage des défis et des ressources entre les hommes et les peuples… Combattre la plaie de la corruption, les abus de pouvoir et l’illégalité. » Il manque de cohérence et de prophétisme chez ceux qui se disent chrétiens et dirigent les Églises.
Dans la réalité équatorienne actuelle, nous avons tous et toutes besoin de mettre l’épaule à la roue pour parvenir aux transformations nécessaires et urgentes. Individuellement, nous devons vivre dans la simplicité, la fraternité, le partage et l’aide mutuelle. La tâche est aussi collective, parce que c’est en groupe et en communauté que nous pouvons mieux comprendre, vivre et agir. Donnons-nous pour priorité de nous informer et de mieux nous former pour être plus conscients, organisés et vaillants. Spirituellement, nous devons trouver dans la foi et l’humanisme, l’inspiration nécessaire pour vivre mieux personnellement et construire ensemble un Équateur de fraternité et de progrès. Socialement, unissons-nous aux personnes et organisations qui sont dans cette dynamique. Soit nous nous sauvons ensemble, soit nous sombrerons irrémédiablement.
Traduit de l’espagnol
par Yves Carrier
Biden ou Trump : Gérontocratie ou démocratie ?
Par Aram Aharonian
Other News, 15 janvier 2024
La candidature à la réélection de Joe Biden ouvre le débat sur l’importance de l’âge des présidents : Est-ce qu’un vieux politicien peut être un danger pour la démocratie? Les 80 ans de l’actuel candidat sont devenus un thème de la campagne, et 70% des états-uniens qui croient que Biden ne devrait pas se présenter pour un second mandat confirment que son âge est leur principale préoccupation.
Mais l’alternative à ce choix n’est guère meilleure : Donald Trump, au-delà de ses idées politiques, est un homme de 76 ans. « Si Donald Trump était ton père, tu courrais chez le neurologue pour une évaluation de sa santé cognitive », écrivait le psychologue John Gartner dans USA Today.
Les images du leader de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnel, 81 ans, paralysé lors d’une conférence de presse ont mis le focus sur un terme qui domine la politique aux États-Unis, la gérontocratie, et ont ravivé un débat : Devrait-il y avoir un âge limite pour pouvoir gouverner?
Les États-Unis sont un pays divisé entre la génération du « baby boom », qui vieillit et continue d’avoir un grand pouvoir politique, économique et social, et une population jeune, multiculturelle, en croissance rapide, mais avec beaucoup moins de poids politique et économique. Les points de rupture de cette division peuvent se voir dans la croissante brèche générationnelle qui se mesure dans les attitudes et le comportement des États-uniens d’aujourd’hui.
McDonnel n’était pas le plus vieux des sénateurs, le titre honorifique revient à la démocrate Dianne Feinstein, avec ses 90 ans. Le républicain Charles E. Grassley a 89 ans et celui qui fut pré-candidat à la présidence, Bernie Sander, a 82 ans. Dans la chambre des représentants, Grace Napolitano avec ses 86 ans, est suivie d’Eleanor Homes, Harold Rogers et Bill Pascrelle, avec 85 ans.
Samuel Huntington disait que : Les intérêts d’une nation dérivent directement de son identité. Mais sans un ennemi qui le défie, l’identité américaine s’est désintégrée. Faute d’identité nationale, les États-Unis ont poursuivi des intérêts commerciaux ou ethniques comme objectif de leur politique extérieure. »
Depuis le début, les États-uniens ont construit leur identité sur des croyances qui étaient en opposition avec un autre « indésirable ». Leurs adversaires ont toujours été définis comme des ennemis de la liberté et de la démocratie. Les États-Unis, peut-être davantage que d’autres pays, ont besoin d’affronter un ennemi extérieur pour maintenir leur unité.
Les propriétaires de la démocratie
Aux États-Unis, la démocratie est confrontée à de grands défis : l’extrémisme, l’autoritarisme et la désinformation qui s’accroit. Ils vivent une période de convulsions politiques presque sans précédent dans leur histoire moderne. Pour la première fois, on s’interroge sur la solidité du système démocratique et on s’inquiète toujours davantage du futur démocratique du pays.
Il existe aussi un désir que des réformes électorales soient réalisées afin de garantir le droit de vote pour qu’il soit inscrit dans la constitution. On demande aussi l’élimination du Collège électoral et l’élection direct du président au suffrage universel; d’introduire une plus grande proportionnalité pour diminuer la brèche entre les grands et les petits États; de limiter les dépenses électorales en réformant le système de financement. Aucune de ces propositions n’a reçu le consensus nécessaire et plusieurs requerraient un amendement constitutionnel, ce qui paraît hautement improbable.
Les États-Unis se présentent comme un modèle de démocratie dans le monde. Maintenant le monde se demande quelle direction prendra un pays où s’observe de si grandes brèches : de genres, géographiques et générationnelles. Sont nécessaires des politiques publiques qui permettent à tous et à toutes de participer dans l’arène politique réelle ou digitale, d’exercer le droit de vote, de mener des initiatives sociales et d’équilibrer la représentation dans les institutions politiques. Une démocratie d’hommes blancs, avec des études supérieures et de bons emplois manifeste une piètre vision du monde.
L’inégalité s’accroit entre les territoires : il y a des villes de première et de seconde catégorie, ainsi que des centres urbains et des espaces ruraux. La territorialisation de l’inégalité aura des effets dans les infrastructures (mobilité, éducation, hôpitaux, eau, ramassage des ordures), dans l’organisation effective du pouvoir dans la périphérie (réseaux de solidarité sociale ou mafias) et dans le comportement électoral (vote populiste et antimondialisation).
S’accroit toujours davantage la brèche générationnelle. Les jeunes s’incorporent tardivement au marché de travail et dans de mauvaises conditions, ce qui retarde leur maturité sociale et affective. S’accroit également la désaffection envers le système démocratique, puisqu’il n’offre plus de solutions à leurs problèmes immédiats. La digitalisation laisse derrière les collectifs d’ainés qui, sans compétence informatiques, sont dépendants de leurs enfants pour réaliser des tâches aussi simples que des transactions bancaires, commander leur épicerie ou recevoir de l’aide sanitaire.
L’intention de Biden de se représenter aux élections présidentielles de 2024 et de reprendre la dispute des septuagénaires de 2020, qui quatre ans plus tard et avec la guerre en Ukraine et à Gaza, sont encore plus vieux. Les batailles au Congrès pour l’approbation des fonds d’aide à l’Ukraine, les désaccords avec les républicaines sur les politiques migratoires et le conflit au Moyen-Orient, furent certains des principaux défis de 2023 pour l’administration Biden.
Les élections présidentielles de 2024 promettent une compétition que la grande majorité de l’électorat aurait préféré éviter, avec les deux candidats les plus vieux dans l’histoire des États-Unis. Toutefois ce qui est vieux, ce ne sont pas seulement les candidats, mais le modèle de démocratie qui démontre à chaque jour des signes d’un âge avancé et de détérioration.
L’économiste Michael Roberts souligne que l’économie états-unienne est dans un état de déclin relatif, l’industrie manufacturière est arrêtée et le pays affronte la menace de l’ascension de la Chine, ce qui l’oblige à mener des guerres interposées au niveau mondial pour préserver son hégémonie. Il est probable que 2024 soit une autre année de ce qu’on appelle la Longue Dépression qui débuta avec la Grande Récession de 2008-2009.
Démocratie en danger
Que la démocratie états-unienne soit en danger, ce n’est pas seulement une question rhétorique. Le 6 janvier marca le troisième anniversaire de la tentative de coup d’État de milliers de fanatiques de Trump avec l’objectif d’interrompre la certification par le Congrès de l’élection présidentielle qu’il avait perdue – et que, jusqu’à maintenant, il refuse de reconnaître.
Plus de 140 policiers furent blessés tandis que certains extrémistes cherchaient les législateurs et le vice-président Mike Pence pour le pendre. Depuis, plus de 1 230 personnes ont été accusées d’avoir participé à l’assaut du Capitole dans ce qui est devenue la plus grande enquête criminelle de l’histoire du pays.
Le Département de Sécurité intérieure et d’autres agences fédérales ont déclaré que parmi les menaces à la sécurité nationale, les plus dangereuses proviennent des organisations d’extrême-droite et de suprémacistes blancs, et elles mettent en garde contre la possibilité d’actes violents pendant le processus électoral.
La semaine dernière, le Conseil des Relations extérieures a diffusé un sondage annuel d’experts sur la politique extérieure états-unienne qui est tenu depuis 16 ans. Pour la première fois, depuis que cet exercice a lieu, un thème interne se trouve parmi les trois principales préoccupations globales pour 2024 : le terrorisme domestique et les actes de violence politique.
On ne peut oublier que Trump est celui qui a instigué une tentative de coup d’État, qu’il continue d’appeler patriotes les membres des milices d’extrême-droite, utilisant une rhétorique fasciste pour menacer ses opposants, incluant Biden dans un message où il affirme qu’il utilisera le gouvernement pour les poursuivre judiciairement.. s’il revient à la Maison Blanche. Trump est le premier candidat présidentiel qui fera campagne alors qu’il fait face à quatre procès criminels (un total de 91 charges), en plus d’autres poursuites au civil.
Un éditorial du quotidien mexicain La Jornada indique que les mensonges de Trump constituent rien de moins qu’un appel à la subversion qui réédite sa tentative de faire dérailler la déficiente démocratie états-unienne que l’ex-mandataire avait essayé de mener à terme suite à sa défaite électorale de novembre 2020.
Sauver le système
Et ces attaques croisées, sont ce que reçoit la citoyenneté états-unienne, occultant la triste réalité du pays en crise. Tandis que le président déclare que la dispute électorale est centrée sur la défense de la démocratie face à une menace existentielle d’autoritarisme, Trump récite que la lutte est contre la gauche radicale qui a pris le pouvoir et qui conduit le pays au désastre.
Biden met l’emphase sur le fait que la vérité est attaquée aux États-Unis. « Comme conséquence, c’est aussi le cas pour notre liberté, notre démocratie et notre pays. Un mouvement extrémiste dirigé par notre ex-président tente de voler l’histoire », en rappelant l’assaut du Capitole le 6 février 2021, et il avertit que c’est ce qu’il promet pour le futur. Biden proclame que la question clé de ces élections est de savoir si la démocratie est encore une cause sacrée aux États-Unis.
Ce ne sont pas tous les démocrates qui sont enthousiastes derrière Biden : son discours en Pennsylvanie a été interrompu par des critiques en raison de son appui inconditionnel à Israël. Ils exigeaient un cessé le feu immédiat, autre exemple de comment sa gestion de la politique extérieure au Moyen-Orient et en Ukraine pourrait lui couter des votes.
De son côté, Trump répète son message que Biden et la gauche radicale, les marxistes, les communistes, les anarchistes et, comme toujours, les immigrants qui, employant une phrase de l’ère nazi, « empoisonnent le sang du pays et détruisent la nation », et que cette lutte électorale est la bataille finale pour sauver l’Amérique. Mieux encore, il insiste sur l’idée que, comme il est l’unique sauveur du pays, ses ennemis utilisent l’État – les tribunaux, les enquêteurs, les agences d’intelligence et plus – pour lui nuire dans ce qu’il qualifie de plus grande chasse aux sorcières de l’histoire.
Trump recommence à utiliser les migrants sans papiers comme axe de sa campagne pour revenir à la Maison blanche. Employant une terminologie philo-nazie, il exige la fermeture de la frontière avec le Mexique avec l’argument que les personnes en provenance d’Amérique latine, des Caraïbes, de l’Afrique ou du Proche-Orient, salissent le sang des États-uniens.
Alors que les primaires sont sur le point de débuter (élections internes) du Parti républicain pour sélectionner leur candidat, Trump insiste sur le fait que l’administration fédérale encourage les immigrants à entrer en masse aux États-Unis de façon irrégulière pour les enregistrer afin qu’ils votent lors des élections de 2024. Le problème c’est que beaucoup, beaucoup de monde le croit.
À peine 28% des adultes disent être satisfaits de la manière que fonctionne la démocratie, selon la dernière enquête Gallup. En 1990, 61% des électeurs exprimaient leur satisfaction envers la démocratie. Ce qui se passe, c’est que dans la démocratie états-unienne, il n’y a pas de vote populaire direct pour élire un président.
Le système états-uniens n’a jamais été une démocratie intégrale : À deux occasions au cours des dernières années, le candidat qui gagna le vote populaire perdit la présidence : en 2000, lorsque le démocrate Al Gore obtint plus de suffrage, mais la Cour Suprême détermina que Georges W. Bush avait obtenu plus de grands électeurs en remportant la Floride par quelques votes, et en 2016, quand Hilary Clinton gagna le vote populaire, mais perdit en raison de l’ancien système du Collège électoral. C’est-à-dire que le système garantit que les multimillionnaires et les grandes corporations – alimentaires, cybernétiques, de l’armement, pétrolières, bancaires, etc., parmi d’autres, c’est-à-dire les intérêts financiers, continuent d’avoir un pouvoir sans limite.
Selon l’ex-président Jimmy Carter, ce qui auparavant définissait les États-Unis come un grand pays, en raison de son système politique, n’est plus désormais qu’oligarchique, la corruption politique illimitée étant l’essence pour obtenir les nominations comme président ou pour l’élire. La même chose s’applique dans le cas des gouverneurs, des sénateurs et des députés états-uniens.
Et la rénovation ?
Mais où est la rénovation des élites d’un pays qui ne parlait que de sa jeunesse et de sa capacité de réinvention? Le discours politique continue d’être paralysé et tout indique que la démocratie et non pas différentes propositions du gouvernement, est ce qui est en jeu. Pour Biden, la vérité est sous attaque par un « ex gouvernant extrémiste », mais l’appui au génocide d’Israël affecte la sympathie envers le chef de la Maison Blanche. Pour Trump, les communistes, les marxistes et les immigrants empoisonnent le sang du pays.
Nikki Haley définit le Sénat comme « l’asile d’ainés les plus privilégiés du pays ». Le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, a 81 ans, comme de nombreux autres collègues. Le sénateur Chuck Grassley compte 43 ans de ses 90 ans de vie, au Sénat, dont la moyenne d’âge est de 65 ans. Si la Chambre des représentants a été rajeunie, les plus hautes charges demeurent entre les mains des anciens.
En 2017, fatigués que le gouvernement « soit entre les mains d’une gérontocratie » et que la « jeunesse ait peu à dire », a surgi l’organisation Run for Something, qui aide les jeunes à se faire élire à des fonctions politiques. Tel que le système est fait, explique-t-il, « il y a de nombreux obstacles » qui empêchent les jeunes de postuler à des postes politiques. « Notre mission est de changer la politique et de construire les bases pour une nouvelle génération de politiciens qui représentent la diversité des États-uniens. »
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L’auteur est journaliste et communicateur uruguayen, créateur et fondateur de Telesur. Il est analyste stratégique pour la CLAE.
Texte traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Article complet sur : Biden y/o Trump: gerontocracia o democracia – Other News – Voz en contra de la corriente (other-news.info)
« Pour vaincre l’extrême-droite, les gouvernements de gauches doivent être radicaux”.
Par TAMARA OSPINA POSSE
Entrevue avec l’ex vice-président de Bolivie, Álvaro García Linera.
Dans le cadre de son voyage en Colombie pour inaugurer le cycle de réflexion : « Imaginer le futur depuis le Sud », organisé par le Ministère de la Culture de la Colombie par la philosophe Luciana Cadahia.
Question : Dans la région, le 21ème siècle a débuté par une vague de gouvernements progressistes qui ont orienté la trajectoire de l’Amérique latine, mais cette dynamique commença à s’essouffler après le triomphe de Mauricio Macri en Argentine en 2015, ce qui donna lieu à ce que plusieurs annoncèrent la fin du progressisme dans la région. Ainsi, débuta une vague de gouvernements conservateurs, mais, à l’inverse de cette tendance, dans des pays comme le Brésil, le Honduras ou la Bolivie, le progressisme est revenu. Et dans d’autres, comme le Mexique et la Colombie, il arriva au pouvoir pour la première fois. Comme interprétez-vous cette tension actuelle entre les gouvernements populaires ou progressistes et d’autres, conservateurs ou oligarchiques ?
Ce qui caractérise la période actuelle qui a débuté il y a 10 ou 15 ans et qui durera encore 10 ou 15 ans, c’est le lent déclin, angoissant et contradictoire, d’un modèle d’organisation de l’économie et de légitimation du capitalisme contemporain, ainsi que l’absence d’un nouveau modèle solide et stable qui reprenne la croissance économique, la stabilité économique et la légitimation politique. C’est une longue période, nous parlons de 20 ou 30 ans, à l’intérieur de laquelle, existe ce que nous appelons le « temps liminaire » – ce que Gramsci appelait « interrègne » -, où se succèdent des vagues et des contre-vagues de plusieurs tentatives pour résoudre cette impasse.
L’Amérique latine – et aujourd’hui le monde—, parce qu’elle a été la première à faire cette expérience qui s’est ensuite répandue au reste du monde, a vécu une vague progressiste intense et profonde, mais qui n’est pas parvenue à se consolider. Il s’en est suivie une contre-vague régressive conservatrice, suivi aussitôt d’une nouvelle vague progressiste. Possiblement, pendant les 10 à 15 prochaines années, se produiront ces vagues et ces contre-vagues de courtes victoires et de brefs revers, d’hégémonie courtes, jusqu’à ce que le monde redéfinisse un nouveau modèle d’accumulation et de légitimation qui rendra au monde et à l’Amérique latine un cycle de stabilité pour les 30 années suivantes. Tant que cela ne se produit pas, nous assisterons à ce vortex caractéristique du temps liminaire.
Comme je disais, nous assistons à une vague progressiste, à son épuisement, à des contre-réformes conservatrices qui échouent également, puis à une nouvelle vague progressiste… Et chaque contre-réforme et chaque vague progressiste, est distincte de la précédente. Milei est différent de Macri, même s’il se réfère à lui. Alberto Fernandez, Gustavo Petro et Andrès Manuel Lopez Obrador sont différents des figures de la première vague progressiste, même s’ils recueillent en partie son héritage.
Je crois que nous continuerons d’assister à une troisième vague et à une troisième contre-vague jusqu’à ce que, à un moment, l’ordre du monde se définisse, parce que cette instabilité et cette angoisse ne peuvent perdurer. Au fond, comme cela s’est produit dans les années 1930 et 1980, nous assistons au déclin cyclique d’un régime d’accumulation économique (libéral entre 1870 et 1920, du capitalisme d’État entre 1940 et 1980, néolibéral entre 1980 et 2010), au chaos que provoque ce crépuscule historique et à la lutte pour instaurer un nouveau modèle durable d’accumulation et de domination qui reprend la croissance économique et suscite l’adhésion sociale.
Question : Nous pouvons observer que la droite recommence à employer des pratiques que nous croyions avoir dépassées, incluant des coups d’État, de la persécution politique et des tentatives d’assassinat. Vous-même avez souffert d’un coup d’État. Comment croyez-vous que continueront d’évoluer ces pratiques ? Et comment pouvons-nous y résister depuis les projets populaires ?
Quelque chose de caractéristique du temps liminaire, de l’interrègne, c’est la divergence des élites politiques. Quand les choses vont bien – comme jusqu’au années 2000 -, les élites convergent autour d’un unique modèle d’accumulation et de légitimation et tous deviennent centristes. Même les partis de gauche deviennent plus modérés et se néolibéralisent, même s’il y aura toujours une gauche radicale, mais marginale et sans audience. Les droites aussi luttent entre elles, mais simplement pour des retouches et des changements circonstanciels. Quand tout cela entre dans son déclin historique inévitable, commencent les divergences et les droites se scindent en extrême-droites qui commencent à dévorer la droite modérée. Et les gauches plus radicales émergent de leur marginalité et insignifiance politique, commençant à acquérir une résonnance et une audience, gagnent en popularité. Dans l’interrègne, la divergence des projets politiques est la norme, parce qu’il y a des tentatives, dissidentes l’une de l’autre, pour résoudre la crise du vieil ordre, au milieu d’une société insatisfaite qui ne fait plus confiance et ne croit plus aux anciens « dieux », aux anciennes recettes, aux anciennes propositions qui garantirent la tolérance morale envers les gouvernants. Alors, les extrêmes commencent à prendre de la place.
C’est ce que nous allons voir avec les droites. Le centre-droit, qui gouverna le continent et le monde pendant 30 ou 40 ans, n’a plus de réponses aux manques économiques évidents du globalisme libéral et, devant les doutes et les angoisses des populations, surgit une extrême-droite qui continue de défendre le capital mais qui croit que les bons modèles de l’ancienne époque ne sont plus suffisants et que désormais il faut imposer les règles du marché par la force. Cela implique de domestiquer les gens, si nécessaire à coups de matraque, pour revenir à un libre marché pur et limpide, sans concession ni ambiguïté, parce que – selon eux – ce fut la cause de l’échec. Alors, l’extrême-droite tend à se consolider et à gagner plus d’adeptes en parlant « d’autorité », de « choc du libre marché » et de « réduction de la taille de l’État ».
Si des soulèvements sociaux se produisent, il faut utiliser la force et la coercition, et si nécessaire le coup d’État ou le massacre, pour discipliner les rebelles qui s’opposent à ce retour moral aux « bonnes coutumes » de la libre entreprise et de la vie civilisée : avec les femmes qui cuisinent, les hommes qui mènent, les patrons qui décident et les ouvriers qui travaillent en silence. Un autre symptôme du crépuscule libéral devient évident lorsqu’on ne parvient plus à convaincre ou à séduire personne et qu’il devient nécessaire d’imposer, ce qui implique qu’il est entré dans sa période crépusculaire. Il n’en demeure pas moins dangereux en raison de la radicalité autoritaire de ses impositions.
Face à cela, le progressisme et les gauches ne peuvent avoir un comportement condescendant, tentant de satisfaire toutes les factions et les secteurs sociaux. Les gauches sortent de leur marginalité dans les temps liminaires parce qu’elles se présentent comme des alternatives populaires au désastre économique qu’a provoqué le néolibéralisme entrepreneurial. Sa fonction ne peut être celle d’instaurer un néolibéralisme à «visage humain », « vert » ou « progressistes ». Les gens ne sortent pas manifester et voter pour la gauche simplement pour aménager le néolibéralisme. Ils se mobilisent et changent radicalement leurs anciennes adhésions politiques parce qu’ils sont écœurés de ce néolibéralisme, parce qu’ils veulent s’en défaire puisqu’il n’a servi qu’à enrichir quelques familles et quelques entreprises.
Et si la gauche n’accomplit pas cela, et cohabite avec un régime qui appauvrit le peuple, il est inévitable que les gens vont changer drastiquement leurs préférences politiques dans le sens de l’extrême-droite qui offre une sortie (illusoire) au grand mal-être collectif.
Les gauches, si elles veulent se consolider, doivent répondre aux demandes pour lesquelles elles ont été créées, si elles veulent vaincre les extrême-droites, elles doivent résoudre de manière structurelle la pauvreté dans la société, l’inégalité, la précarité des services, l’éducation, la santé et le logement. Et pour réaliser cela matériellement, elles doivent être radicales dans leurs réformes sur la propriété, les impôts, la justice sociale, la distribution de la richesse, la récupération des ressources communes en faveur de la société. S’arrêter dans cette tâche va alimenter la loi des crises sociales : toute attitude modérée devant la gravité de la crise, encourage et alimente les extrêmes. Si les droites font cela, elles alimentent les gauches, si les gauches le font, elles alimentant les extrême-droites.
Alors, la manière de vaincre les extrême-droites, en les réduisant à une petite niche – qui va continuer d’exister, mais sans irradiation sociale – réside dans l’expansion des réformes économiques et politiques qui se traduisent par des améliorations matérielles visibles et soutenues dans les conditions de vie des majorités populaires de la société; dans une plus grande démocratisation des prises de décisions, dans une meilleure répartition de la richesse et de la propriété, de sorte que la contention des extrême-droites ne soit pas qu’un simple discours, mais qu’elle s’appuie sur une série d’actions pratiques de distribution de la richesse qui résout les principales angoisses et les demandes populaires (pauvreté, inflation, précarité, insécurité, injustice…).
Parce qu’il ne faut pas oublier que les extrême-droites sont une réponse, pervertie, à ces angoisses. Quand on répartit davantage la richesse, cela affecte les privilèges des puissants, mais ils vont demeurer une minorité autour de la défense enragée de leurs privilèges, tandis que les gauches se consolideront comme celles qui se préoccupent et résolvent les besoins de base de la population. Mais, quand ces gauches ou progressismes se comportent de manière peureuse, timorée ou ambigüe, dans la résolution des principaux problèmes de la société, les extrêmes-droites grandissent et le progressisme demeure isolé dans l’impuissance de la déception. Les extrême-droites seront vaincues par davantage de démocratie et une meilleure répartition de la richesse, non pas avec modération ou conciliation.
Question : Il y a de nouveaux éléments dans les nouvelles droites? Est-ce correcte de les appeler fascistes ou devrions-nous les appeler autrement ? Les droites sont en train d’organiser un laboratoire post démocratique pour le continent (incluant les États-Unis)?
Sans doute, la démocratie libérale, comme simple changement des élites qui décident pour le peuple, tend inévitablement vers des formes autoritaires. Si, parfois, elle a pu produire des fruits de démocratisation sociale ce fut sous l’impulsion d’autres formes de démocratie populaires qui se déployèrent simultanément – syndicats, communautés agraires, comités de citoyens, etc. – Ce sont ces actions collectives multiples et multiformes de démocratie qui donnèrent à la démocratie libérale une irradiation universelle. Cela put se produire parce qu’elles étaient toujours refondées et tirées par l’avant.
Mais si on laisse la démocratie libérale telle quelle, comme un simple choix de ceux et celles qui nous gouvernent, inévitablement elle tend à la concentration des décisions, à sa conversion à ce que Schumpeter appelle la démocratie comme simple élection compétitive de ceux qui vont décider pour la société, ce qui est une façon autoritaire de concentrer les décisions. Et, ce monopole décisionnel par des moyens autoritaires, le cas échéant, au-dessus du processus même de sélection des élites, est ce qui caractérise les extrême-droites.
C’est pourquoi, il n’y a pas d’antagonisme entre les extrême-droites et la démocratie libérale. Il existe une collusion de fond. Les extrême-droites peuvent coexister avec ce type de démocratisation simplement élitiste qui alimente la démocratie libérale. C’est pourquoi il n’est pas rare qu’elles arrivent au gouvernement au moyen des élections. Mais, ce que la démocratie libérale tolère marginalement à contrecœur, et que les extrême-droites rejettent ouvertement, ce sont d’autres formes de démocratisation qui ont à voir avec les présences de démocraties construites à partir d’en bas (syndicats, communautés agraires, comités populaires, actions collectives…). Elles s’opposent à elles, les rejettent et les considèrent comme un obstacle. En ce sens, les extrême-droites actuelles sont anti-démocratiques. Elles acceptent seulement qu’on les élise pour diriger, mais elles rejettent les autres formes de participation et de démocratisation de la richesse, ce qui leur apparait une insulte, un affront ou une absurdité, qui doit être combattu avec la force de l’ordre et de la discipline coercitive. Sans doute, la démocratie libérale, comme simple changement des élites qui décident pour le peuple, tend inévitablement vers des formes autoritaires.
Maintenant, est-ce que c’est du fascisme? Difficile à dire. Il y a tout un débat académique et politique sur quel nom doit-on donner à cela et si cela vaut la peine d’évoquer les terribles actions du fascisme des années 1920 et 1940. Pour les universitaires, peut-être vaut-il la peine d’utiliser ce terme, mais cela a bien peu d’effets politiques. En Amérique latine les personnes de plus de 60 ans peuvent avoir des souvenirs des dictatures militaires fascistes et la définition peut avoir un effet sur eux, mais pour les nouvelles générations, parler de fascisme ne dit pas grand-chose. Je ne m’oppose pas à ce débat, mais je ne crois pas qu’il soit si utile. À la fin, l’adhésion ou le rejet social des propositions des extrême-droites ne viendra pas du côté des anciens symboles et images qu’ils évoquent, sinon par l’efficacité de répondre aux angoisses sociales actuelles que les gauches sont impuissantes à résoudre.
Qui sait, la meilleure façon de qualifier ces extrême-droites, au-delà de l’étiquette, soit de comprendre à quel type de demandes elles répondent, qui, bien entendu, sont des demandes distinctes de celles des années 1930 et 1940, quoi qu’avec certaines similitudes pour la crise économique des deux périodes.
Personnellement, je préfère parler d’extrême-droites ou de droites autoritaires, mais si quelqu’un emploie le terme fasciste, je ne m’oppose pas, quoique qu’il ne m’enthousiaste pas trop. Le problème peut venir si, dès le départ, on les qualifie de fascistes et qu’on laisse de côté la question à propos de : À quelle demande collective répondent-elles ou suite à quel type d’échec émergent-elles ? C’est pourquoi, avant de les étiqueter et d’avoir des réponses sans question, il est mieux de s’interroger sur les conditions sociales de leur émergence, le type de solutions qu’elles proposent et, sur leurs réponses, et ensuite s’interroger sur le type de qualificatif qui leur correspond le mieux : fasciste, néofasciste, autoritaire…
Par exemple, est-ce bien de dire que Milei est fasciste ? Peut-être, mais d’abord il faut se demander pourquoi il a gagné, avec le vote de qui, en répondant à quelle type d’angoisses. C’est ce qui est important. De plus, il faut se demander qu’est-ce que nous avons fait pour qu’il soit élu? Aujourd’hui, il est plus utile de nous demander cela que de lui apposer une étiquette facile qui règle le problème du rejet moral mais qui n’aide pas à comprendre la réalité ni à la transformer. Parce que si vous répondez que Milei a fait appel à l’angoisse d’une société appauvrie, alors il est claire que le thème c’est la pauvreté. S’il s’adressa à une jeunesse qui n’a pas de droits, alors il y a une génération de personnes qui n’a pas eu accès aux mêmes droits que les générations antérieures. C’est là que se situe le problème que le progressisme et la gauche doivent aborder pour freiner les extrême-droites et les fascismes.
Il faut détecter les problèmes aves lesquels les extrême-droites interpellent la société parce que leur croissance est aussi un symptôme de l’échec des gauches et du progressisme. L’extrême-droite ne vient pas de nulle part, mais après que le progressisme ne s’intéressa, ne put, ne voulut ou n’entendit pas, la classe et la jeunesse précaire, qu’il ne comprit pas l’impact de la pauvreté et de la crise économique devant les droits d’identité. C’est là que se situe le cœur du présent. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas parler d’identité, sino qu’il faut hiérarchiser les priorités, comprenant que le problème fondamental c’est l’économie, l’inflation, l’argent qui leur manque dans leurs poches. On ne peut pas oublier que l’identité même est une dimension du pouvoir économique et politique, ce qui détermine la position sociale de chacun. Dans le cas de la Bolivie, par exemple, l’identité indigène a conquis une reconnaissance en assumant le pouvoir politique, d’abord, et, graduellement, le pouvoir économique au sein de la société. La relation sociale fondamentale du monde moderne est l’argent, aliéné mais toujours la relation sociale fondamental, et s’il vient à manquer, il dilue toutes les croyances et les loyautés. C’est cela le problème à résoudre depuis la gauche et le progressisme. Je crois que la gauche doit apprendre de ses erreurs et qu’elle doit avoir une pédagogie sur elle-même pour trouver ensuite les qualificatifs pour dénoncer ou étiqueter un certain phénomène politique, comme c’est le cas actuellement avec l’extrême-droite.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Article intégral en espagnol à :
https://www.lahaine.org/mundo.php/garcia-linera-para-derrotar-a#:~:text=Garc%C3%ADa%20Linera%3A%20%22Para,Pensamiento%20Colombia%20Humana
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